ENTRETIEN – La troisième programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3) qui entend fixer la politique énergétique de la France sur la période 2025-2035 continue de susciter de nombreux débats. Alors que le décret relatif à sa publication pourrait être publié d’ici la fin de l’été, certains experts et spécialistes des questions relatives à l’énergie voient en cette feuille de route une impasse stratégique majeure.
Samuel Furfari est ancien haut fonctionnaire européen, professeur de géopolitique de l’énergie et auteur de Énergie, mensonges d’État. La destruction organisée de la compétitivité de l’UE (L’artilleur, 2024). Les défenseurs de la PPE3 sont dans l’idéologie et non la rationalité, estime-t-il.
Epoch Times : Samuel Furfari, vous faites partie des experts opposés à la PPE3. Vous estimez qu’elle mise trop sur l’électrification des usages, notamment à travers les énergies renouvelables. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Samuel Furfari : Tout d’abord, La demande en électricité n’augmente pas depuis quelques années en Europe et en France et ce, pour plusieurs raisons.
Nous sommes depuis longtemps en période de récession ou de stagnation économique, l’activité industrielle a diminué, entraînant avec elle une stabilisation de la demande.
Ensuite, il y a eu une nette réduction de la consommation d’électricité grâce à l’efficacité énergétique des appareils. À titre d’exemple, le programme européen EcoDesign a facilité la mise en place sur le marché d’appareils électroménagers qui consomment peu. Et les progrès continuent en la matière.
Par conséquent, quand j’entends les défenseurs de la PPE3 affirmer que nous allons avoir besoin de plus d’électricité, je me dis que nous sommes en plein dans l’idéologie et non dans la rationalité.
Ils ignorent d’ailleurs que l’énergie finale la plus consommée reste la chaleur et non l’électricité. L’électricité ne représente qu’environ 25 % de la demande d’énergie finale. En se focalisant sur l’électricité, ils mettent de côté 75 % de la problématique…
Cette stratégie du « tout électrique » via les énergies renouvelables n’est d’ailleurs pas sans conséquences sur le portefeuille des Français. Leur facture augmente depuis une dizaine d’années à cause de cette feuille de route européenne absurde.
La facture s’est tellement alourdie pour les citoyens européens que Mario Draghi a tiré la sonnette d’alarme dans son dernier rapport en septembre 2024.
Si nous ne faisons pas marche-arrière en termes de politique énergétique, les plus démunis vont être grandement pénalisés.
À la suite de la méga panne ayant frappé l’Espagne en avril, certains responsables politiques espagnols ont mis en cause les énergies renouvelables. Qu’en pensez-vous ?
J’alerte depuis des années sur les risques de la mise en œuvre d’une politique 100 % énergies renouvelables. Ce qui s’est passé en Espagne au mois d’avril me donne raison.
Il faut bien comprendre qu’un système électrique est plus complexe que certains veulent nous faire croire : il y a tout un système de connexion du réseau électrique. Le cœur de l’électricité, c’est le réseau et non pas l’interrupteur ou la centrale.
Et ce réseau doit être constamment équilibré en fonction de la consommation. Aujourd’hui, avec le grand nombre d’utilisateurs, cet équilibre est précaire, mais gérable.
Mais à partir du moment où vous avez trop d’énergies intermittentes variables, c’est-à-dire trop de solaire ou d’éolien, vous êtes obligé d’arrêter les centrales classiques (nucléaire, gaz, charbon) en raison de la priorité européenne accordée à ces énergies.
En Espagne, le jour de la méga-panne, 75 % de la production de l’électricité venait du solaire et très peu des énergies conventionnelles.
Puis, si vous n’avez pas une production classique dans votre réseau électrique, il n’y a pas ce qu’on appelle une masse tournante. Un incident peut donc se produire. C’est ce qui est arrivé en Espagne.
Le gouvernement de gauche espagnol, par dogmatisme vert, fait tout pour cacher cette réalité.
« Il est essentiel de ne pas tourner trop vite le dos au gaz naturel et de laisser une chance au biogaz, dont le développement peut constituer un atout précieux », avez-vous écrit dans un article dans la Tribune. Pourriez-vous développer ?
L’agriculture produit des déchets agricoles dont il faut se débarrasser. Il y a deux solutions pour le faire : soit vous les laissez pourrir quelque part, soit vous les valorisez.
La valorisation la plus simple reste la biométhanisation. Cette solution énergétique est d’ailleurs intéressante sur le plan environnemental puisqu’elle traite des déchets.
Je pense qu’elle devrait être subventionnée. Contrairement aux éoliennes, il s’agit d’un sous-produit qu’il faut traiter.
Retenez-vous malgré tout des points positifs dans cette PPE3 ? Elle prévoit une relance de la filière nucléaire…
Après une vingtaine d’années de stigmatisation du nucléaire bien orchestrée par Berlin et après la politique désastreuse de François Hollande et d’Emmanuel Macron en la matière, le retour de l’atome est désormais acté.
C’est une victoire. Pendant longtemps, les experts défenseurs de l’énergie nucléaire comme moi ont été ostracisés et ringardisés.
Je pense que la forte réaction des États membres nucléarisés à la taxonomie européenne de 2020 a joué un rôle majeur dans ce retour en grâce du nucléaire.
La Commission a également dû commencer à se poser de sérieuses questions au sujet du Traité Euratom. L’article 1 de ce traité l’oblige à développer le nucléaire pour le bien des populations. Or, elle fait exactement l’inverse depuis des années. Elle ne respecte plus un traité pourtant toujours en vigueur !
Heureusement que les choses sont en train de changer.
Parlons désormais des prix du pétrole. L’escalade en cours au Moyen-Orient fait craindre une flambée des prix de l’or noir. L’Iran a notamment menacé de fermer le détroit d’Ormuz et donc d’affecter le trafic maritime mondial. Qu’en pensez-vous ?
En fermant ce passage, Téhéran causerait surtout des ennuis à son partenaire chinois qui dépend de son or noir clandestin. Je ne crois pas que ce soit l’objectif de l’Iran de mettre son allié dans l’embarras. Ensuite, la République islamique a besoin de vendre son pétrole pour survivre.
Par ailleurs, il n’y a pas que le pétrole qui passe par ce détroit, mais aussi le gaz naturel liquéfié produit par le Qatar et les Émirats Arabes Unis. Ces derniers n’accepteraient pas d’être pénalisés.
Croire que le détroit va être fermé est donc à mon sens, une bêtise.
Concernant la flambée des prix, rappelons que ceux-ci augmentent à cause des traders et non pas à cause du vrai marché. Le vrai marché du pétrole et du gaz se fait de gré à gré. Vous avez observé le brusque retour à la réalité d’un prix relativement bas puisque le marché est super abondant grâce à l’arrivée de nouveaux pays producteurs. On est loin des chocs pétroliers des années 1970 mais certains continuent à agiter des peurs du passé. La technologie et la géopolitique de l’énergie ont balayé tout cela.
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