« La France est fragilisée par 20 ans de lâcheté et de compromissions » – Philippe Murer
Philippe Murer est économiste, spécialiste des questions liées à l’énergie et à l’environnement.
Alors que la Commission d’enquête parlementaire visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France a multiplié les auditions des acteurs ayant joué un rôle clé dans le secteur de l’énergie ces dernières années, Philippe Murer estime que la crise énergétique que nous connaissons est le produit de « 20 ans de lâcheté et de compromissions des gouvernements français ».
« On a confié les clés de la politique énergétique de la France à des ignorants, voire à des corrompus », affirme l’économiste.
Selon Philippe Murer, la situation d’EDF illustre les errements des différents responsables politiques qui se sont succédé ces dernières années.
Entré en vigueur en 2011 dans le cadre de la loi NOME, le mécanisme de l’Accès régulé au nucléaire historique (Arenh), qui oblige EDF à vendre chaque année une partie de sa production d’électricité à ses concurrents à un tarif fixé par l’État, est l’une des raisons qui explique les difficultés de l’énergéticien français.
« EDF est obligé de vendre un quart de sa production d’électricité 30% en dessous de son coût de revient à des concurrents privés. Ces concurrents achètent l’électricité 30% en dessous du coût de revient d’EDF pour la vendre quatre fois plus cher aux consommateurs, c’est un scandale absolu », explique Philippe Murer.
« Ils n’ont investi dans pratiquement aucune production d’électricité, la majorité de ces concurrents ne produit rien. Je les appelle des parasites et des sangsues, puisqu’ils ne font rien pour la production d’électricité, mais qu’ils boivent le sang d’EDF », ajoute l’économiste.
Outre le dispositif de l’Arenh, imposé à la France par l’Union européenne, Philippe Murer estime également que le mécanisme de fixation des prix de l’électricité sur le marché européen de l’énergie – fondé sur le coût marginal du dernier moyen de production appelé, généralement une centrale au gaz ou au charbon – pénalise EDF et la filière nucléaire française au profit de l’Allemagne.
« Il est absolument nécessaire de sortir du marché européen de l’électricité, qui est une façon de subventionner l’électricité allemande, observe le spécialiste de l’énergie. Les ménages et les entreprises sont les dindons de la farce, ils paient une énergie très chère et complètement instable. »
« L’Allemagne mène une guerre énergétique contre la France. Elle sait que le nucléaire français permet de produire de l’électricité peu chère et constitue un avantage compétitif pour nos industriels. L’Allemagne fait tout pour détruire le nucléaire français et pour détruire EDF, renchérit Philippe Murer. Il faut arrêter d’être naïf : il n’y a pas de couple franco-allemand qui tienne ! »
Si Emmanuel Macron a fait de la réindustrialisation de la France l’un de ses chevaux de bataille, Philippe Murer considère que la flambée des prix de l’énergie compromet les ambitions françaises en la matière : « Cette énergie chère va pousser à la désindustrialisation. Macron nous ment ou alors il se trompe complètement ! »
La concurrence des États-Unis, qui bénéficient d’une énergie moins onéreuse et qui ont mis en place l’Inflation Reduction Act (IRA), un plan de 370 milliards de dollars de subventions pour attirer les industriels et promouvoir le développement de technologies vertes sur leur sol, risque également de fragiliser le secteur industriel français et européen.
« Ils nous imposent des sanctions sur l’énergie contre la Russie, ils nous vendent leur gaz de schiste anti-écologique dix fois plus cher que ce que nous avions avant, et derrière ils prennent le programme de subventions IRA pour nous désindustrialiser et nous déshabiller », constate Philippe Murer.
D’après l’économiste, la perte de plusieurs fleurons industriels français ces dernières années sonne d’ailleurs le glas de notre prospérité.
« Sans industries, nous deviendrons, à terme, un pays du tiers-monde. Nous voyons que la France emprunte la voie du déclassement, du point de vue des palmarès économiques, mais tout simplement dans la rue. Et nous le voyons aussi au niveau des services publics qui sont en train d’être détruits. Il y a une vraie baisse du pouvoir d’achat, une vraie dégradation de l’économie française », souligne Philippe Murer.
« La France et l’Occident en général vont dans le mur parce qu’ils ne produisent plus rien. Comme ils ne produisent plus rien, ils créent de la fausse richesse en faisant monter les marchés boursiers, en faisant monter l’immobilier, en recourant aux paradis artificiels de la dette », ajoute-t-il.
Selon lui, la progression du déclassement et la précarisation accrue des classes moyennes et populaires risque d’attiser la colère des Français et d’entraîner des mouvements de contestation de grande ampleur : « L’appauvrissement, les Français le sentent et ça leur fait mal. La France est un pays extrêmement éruptif. On le voit en ce moment avec cette réforme des retraites que les Français ne veulent pas. Une vraie guerre et un vrai chaos sont en train de se mettre en place. »
Et l’économiste de conclure : « Il faut arrêter de mettre la pression sur les gens. Il faut une économie qui permette plus de partage, pas seulement aux milliardaires, Bill Gates et toutes les multinationales, mais que tout le monde gagne sa vie, les petits entrepreneurs, les salariés, etc. Il faut vraiment arrêter le désastre vers lequel les élites mondialisées nous emmènent. »