« Le capitalisme de connivence est porteur d’une banqueroute de l’État » – Éric Verhaeghe
Ancien haut fonctionnaire, Éric Verhaeghe est désormais entrepreneur et essayiste. Il est notamment le fondateur du média Le Courrier des Stratèges et de l’association Rester Libre !
Il vient de publier un nouvel essai intitulé Traité pour le monde d’après : sortir de l’avachissement par le retour à l’ordre spontané, aux éditions Culture & Racines.
Un ouvrage dans lequel Éric Verhaeghe essaie notamment d’imaginer, secteur par secteur, à quoi pourrait ressembler une société organisée autour de « l’ordre spontané », c’est-à-dire une société qui privilégie la responsabilité individuelle et la subsidiarité, et dans laquelle l’État se concentre sur ses fonctions régaliennes ainsi que sur la protection des droits naturels des citoyens (liberté, respect de la propriété privée, sécurité, résistance à l’oppression).
« L’ordre spontané est un principe d’organisation de la société opposé à l’ordre vertical imposé par la caste qui domine le monde d’avant. Cet ordre spontané repose sur l’instinct vital de la société. Il suppose de restituer le libre choix face aux constructions collectives imposées chaque fois que cela est possible », écrit l’essayiste.
Capitalisme de connivence et banqueroute de l’État
D’après lui, le capitalisme de connivence, un système économique où le succès dépend étroitement des relations que les entreprises entretiennent avec les représentants du gouvernement, représente d’ailleurs la plus grande « menace pour la spontanéité de nos sociétés ».
« En soi, le capitalisme de connivence n’a rien à envier au communisme. Il consiste à imbriquer intérêts publics et intérêts privés, sous la conduite d’une caste, anciennement appelée nomenklatura en Union soviétique. Cette caste fait de l’intérêt public sa chose, son objet de prédation, s’exonérant volontiers des lois auxquelles elle soumet le reste de la société », observe le fondateur du Courrier des Stratèges.
« Ainsi se met en place une redoutable mécanique où une caste confond ses intérêts propres avec ceux de la société, et entreprend ainsi un parcours d’asservissement de la société à ses propres intérêts », ajoute-t-il.
Alors que la dette publique s’élève à près de 3200 milliards d’euros et que la France fait désormais l’objet d’une procédure pour déficit excessif de la part de l’Union européenne, Éric Verhaeghe souligne que le capitalisme de connivence « est porteur d’une banqueroute de l’État ; il faut toujours plus d’impôts, confiscatoires de toujours plus de richesses et de forces vives pour financer l’expansion permanente de la bureaucratie. Ce mouvement d’épuisement débouche tôt ou tard sur une crise économique majeure ».
Au regard du niveau d’endettement de l’État français, dont la note de crédit a également été dégradée par l’agence Standard & Poor’s au mois de mai, il n’exclut d’ailleurs pas la possibilité d’un scénario à la grec qui conduirait à l’intervention de l’Union européenne et de la Banque centrale ou du FMI, et à la mise en place de mesures d’austérité en échange d’argent frais.
Il n’écarte pas non plus la perspective d’une crise bancaire liée à une crise de la dette publique, comme celle survenue à Chypre entre 2012 et 2013.
« La crise bancaire peut venir d’une crise de la dette, on a connu ça au moment de la crise de l’euro, on a connu ça à Chypre notamment, mais la Grèce n’en était pas très loin, les États ont pioché dans les comptes en banque. Comme vous le savez, les comptes en banque sont garantis jusqu’à cent mille euros. Rien n’exclut qu’un jour, on dise : “Il n’y a plus d’argent, au-dessus de cent mille euros, on écrête.“ »
« Les Chypriotes ont vécu ça. Les Libanais l’ont vécu. Les banques libanaises ont bloqué les avoirs de leurs clients et l’État en a récupéré, à ma connaissance, une partie. Ce sont des scénarios qui existent, qui sont déjà inscrits dans le mécanisme dit de résolution bancaire de l’Union européenne, que la France appliquera. Donc c’est tout à fait plausible », observe l’ancien haut fonctionnaire.
Une nouvelle forme de servitude volontaire
Dans son essai Traité pour le monde d’après, Éric Verhaeghe dénonce également « l’avachissement » qui a gagné les sociétés occidentales – un phénomène qui correspond à une forme de servitude volontaire entretenue par les élites afin de conserver leurs prérogatives, et qui repose sur deux principaux leviers : la société du spectacle et l’État-Providence.
Deux leviers qui peuvent d’ailleurs être résumés par la célèbre formule « du pain et des jeux » forgée dans la Rome antique.
« Il faut que chaque jour les gens utilisent leurs loisirs, leur temps libre, à recevoir passivement des images qui les sidèrent, qui les avachissent et qui les convainquent que le monde est sous le contrôle inconditionnel de la caste, que ce soit pour le meilleur ou pour le pire », explique Éric Verhaeghe.
« Au fond, la caste a fait le pari qu’elle maintiendrait la société dans la passivité et l’obéissance en lui “cirrhosant” la tête à coup d’imbécillités permanentes », ajoute-t-il.
« Dans une très large mesure, nos modes de vie sont aujourd’hui essentiellement fondés sur la recherche d’un divertissement consumériste permanent », poursuit l’ancien haut fonctionnaire.
Il relève également le développement croissant de la « militarisation de l’information ». Un processus qui vise à soumettre l’information aux objectifs politiques des pouvoirs en place grâce à différentes techniques « qui mobilisent les médias, bien entendu, mais aussi la psychologie sociale », dans l’optique de « sophistiquer la manipulation des masses ».
Selon lui, le second grand levier utilisé pour nourrir et propager l’avachissement des masses réside dans la distribution de subventions publiques et d’aides sociales afin de prévenir toute révolte populaire en rendant « le chômage et le déclassement supportables ».
« Pour la caste, inonder d’argent le petit peuple sans lui demander de travailler, au contraire même : en le fixant dans un canapé, devant un écran qui occupe le cerveau et le distrait, est un enjeu politique majeur », explique l’essayiste.
Et Éric Verhaeghe de conclure : « Le sens de l’existence n’est plus de se construire dans l’effort, mais de s’avachir le plus possible dans la jouissance, le “bien-être”, le plaisir, le prétendu bonheur. Cette addiction au confort est le poison qui tue l’Occident et sa capacité à l’ordre spontané. »