Législatives : « Nous assistons à la revanche des parias » – Ivan Rioufol
Ivan Rioufol est journaliste, éditorialiste et essayiste. Il a exercé l’essentiel de sa carrière au Figaro et intervient désormais régulièrement sur la chaîne Cnews en tant que chroniqueur.
Si la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée par Emmanuel Macron dans la foulée des élections européennes a fait l’effet d’un séisme dont l’onde de choc s’est propagée jusque dans les rangs de la majorité présidentielle, Ivan Rioufol salue « un acte éminemment démocratique » et estime que la décision prise par le chef de l’État est cohérente avec la lourde défaite essuyée par son camp au soir du 9 juin.
« Là où cela achoppe, c’est que j’ai le sentiment que le Président a été persuadé de faire une bonne opération, pensant qu’il pourrait se rétablir auprès des Français dans le rôle de sauveur de la Nation et de rempart aux extrémismes », précise l’éditorialiste.
« Je crains pour lui que ce pari qu’il s’est donné à lui-même lui fasse comprendre que l’opinion, non seulement le rejette mais pour partie le déteste. C’est surtout cela qui apparaît maintenant dans les discours et dans les réactions de l’homme de la rue : une profonde détestation du personnage et un rejet de sa politique », ajoute-t-il.
« C’est un homme qui vit sur son nuage, qui ne comprend pas comment vivent les gens, qui ne comprend pas leur misère et qui, quand ces gens-là se plaignent, les traite de populistes, de racistes, de xénophobes et les insulte en règle générale », poursuit Ivan Rioufol.
Un rejet des élites politiques traditionnelles
Selon l’essayiste, la percée du Rassemblement national est ainsi le produit de la « profonde colère » des Français, de cette « colère enfouie que le président de la République n’a jamais voulu entendre ».
« Nous vivons, de mon point de vue, un effondrement de toutes les idéologies, pas simplement de l’idéologie mondialiste mais de tout le reste, de ces prêts-à-penser qui s’effondrent sous nos yeux. Il suffit de voir l’état de l’école, de l’hôpital, de la cohésion nationale, etc., Nous assistons à un coup d’État des réalités », observe-t-il.
« Or, cette révolution du réel est une révolution qu’Emmanuel Macron n’a pas analysée. C’est en cela qu’il n’a pas les éléments, me semble-t-il, de réponse à ce nouveau monde qui advient et qui fait s’effondrer ce vieux monde, ce vieux monde politique qui est dans l’entre-soi depuis cinquante ans, et qui s’est écarté à ce point du peuple français que celui-ci ne fera plus confiance à ceux qui disent qu’ils l’ont entendu, parce qu’il est trop tard. »
La revanche des parias
Bien que le Rassemblement national soit régulièrement dépeint comme un parti d’extrême droite qui n’aurait jamais rompu avec ses vieux démons, l’ancien journaliste du Figaro estime pour sa part que le mouvement présidé par Marine Le Pen n’a désormais rien d’un parti fasciste et qu’il ne représente aucune menace pour la démocratie, soulignant que la sociologie des électeurs du RN est très proche de celle de Nicolas Sarkozy lors de ses dernières campagnes.
« C’est une insulte que de faire croire que ce peuple majoritaire […] serait un peuple fasciste, nazi, qui réclamerait le retour d’Hitler. Au fou ! »
Et Ivan Rioufol de se montrer dubitatif quant à l’efficacité des appels à faire barrage à l’extrême droite qui continuent de fleurir ici et là : « J’ai maintenant l’impression que plus vous dites aux Français qu’ils sont d’extrême droite, plus ils sont prêts à envoyer balader tous ceux qui les insultent. Je crois que nous assistons à la revanche des parias, à la revanche des oubliés, à la revanche de cette France invisible, de cette France silencieuse, de toute cette France que j’ai profondément respectée quand elle était gilet jaune, quand elle était bonnet rouge, quand elle était révolutionnaire. »
« On voit qu’aujourd’hui le rejet du système est tel, le rejet du politiquement correct est tel, le rejet des interdits de penser est tel que le Rassemblement national s’est institué – sauf dans les médias où il est encore diabolisé comme étant un parti d’extrême droite, fasciste et nazi – comme un parti quasiment modéré », poursuit l’essayiste.
Menace fasciste à gauche de l’échiquier politique
Si certains renvoient dos à dos le Rassemblement national et l’alliance des gauches représentée par le Nouveau Front Populaire, y voyant deux mouvements extrêmes dont l’accession au pouvoir représente un danger équivalent pour la démocratie, Ivan Rioufol considère que la véritable menace fasciste se situe dorénavant du côté de l’extrême gauche « qui menace de contester par la rue le résultat des urnes » et qui ne craint pas de frayer « avec tout un monde antisémite ».
« Là, il y a une vraie menace fasciste, une menace fasciste qui est présente également avec cet islam politique devenu l’allié notamment de Jean-Luc Mélenchon. Je n’entends pas tous ces hommes politiques, soi-disant à l’affût d’un dérapage totalitaire, mettre en garde contre ce totalitarisme-là. »
Alors que certaines figures de la gauche sociale-démocrate comme les anciens ministres Bernard Cazeneuve, Jean-Yves Le Drian ou Manuel Valls ont témoigné leur désapprobation vis-à-vis du Nouveau Front Populaire, fustigeant notamment la présence de La France insoumise (LFI) et du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) dans ses rangs, Ivan Rioufol déplore le silence et les compromissions de ceux des ténors de la gauche républicaine qui n’ont rien trouvé à redire à une alliance donnant la part belle aux partis d’extrême gauche.
« Je n’ai même pas les mots pour montrer le mépris que suscitent tous ces gens, tous ces donneurs de leçons, de ceux qui se réclamaient d’une sociale-démocratie, qui intimaient et qui intiment encore à la droite de ne pas s’allier avec le Rassemblement national au prétexte que ce serait une insulte à la démocratie. Et eux se permettent toutes les pires bassesses qui soient en s’alliant maintenant avec des partis violents, antisémites et avec des partis qui sont prêts, si Bardella arrivait à gagner ces élections, à redescendre dans la rue dès le 8 juillet afin de contester les résultats par la violence. »
« Nous ne sommes pas sortis du nazisme, du communisme et du maoïsme pour retomber maintenant dans l’islamisme. Or ce sont toutes ces gauches-là – qui, décidément, n’arrivent pas à se réconcilier avec la liberté – qui sont prêtes aujourd’hui à se soumettre à une idéologie intimidante qui est celle de l’islam dit révolutionnaire », observe l’éditorialiste.
Le piège de Matignon
Si les sondages donnent pour l’instant une avance confortable au Rassemblement national au premier tour des législatives, sans que le parti de Marine Le Pen ne soit toutefois assuré d’obtenir la majorité absolue qu’il réclame pour gouverner, Ivan Rioufol estime que la nomination éventuelle de Jordan Bardella à Matignon pourrait bien faire figure de cadeau empoisonné.
« Emmanuel Macron laisse une France exsangue, avec une crise d’endettement, une crise financière considérable. Les scénarios sont noirs, qu’il soit là ou pas, remarque-t-il. Je vous rappelle que la France est endettée à plus de 3000 milliards d’euros, dont 1000 milliards qui ont été dépensés très récemment par Macron lui-même. »
« Je ne vois pas que le Rassemblement national puisse davantage que Macron gérer ce cataclysme économique qui se profile. Et je trouverais plus logique de laisser Macron se débrouiller avec ce qu’il a produit en endettement, en taux d’intérêt et en possible krach », poursuit l’éditorialiste.
Répondre au sentiment d’abandon
Pointant une France en proie à « une déroute monétaire, budgétaire, civilisationnelle, identitaire, éducative et sanitaire », Ivan Rioufol souligne que la tâche s’annonce particulièrement rude pour le prochain gouvernement, qui devra s’armer de patience, mais aussi de courage et d’abnégation afin de ne pas décevoir cette « France invisible » qui ne supporterait sans doute pas de voir ses espoirs une nouvelle fois trahis par la classe politique.
« Il va falloir maintenant s’attacher à réparer. Il faut s’attacher à survivre, il faut s’attacher à avancer à petits pas, au jour le jour, et à essayer de répondre au plus près aux désirs des gens, à leur sentiment de dépossession et d’abandon », conclut Ivan Rioufol.