Nahel, émeutes, violences policières: «Nous baignons dans l’hypocrisie» – Jean-Pierre Colombies
Jean-Pierre Colombies a exercé le métier de policier pendant 34 ans. Au cours de sa carrière, il a notamment travaillé à la brigade criminelle et à la brigade des stupéfiants du SRPJ de Marseille.
S’il a quitté la police en 2018 afin de se lancer dans une carrière de comédien et d’auteur, il est toujours porte-parole de l’Union des policiers indépendants nationaux (UPNI), une association dont l’objet consiste à défendre les intérêts du personnel de la police nationale.
Au cours de notre entretien, Jean-Pierre Colombies est notamment revenu sur le décès de Nahel Merzouk, adolescent de 17 ans tué par un policier à Nanterre le 27 juin à la suite d’un refus d’obtempérer.
Une affaire « qui pose beaucoup de questions », selon l’ancien commandant de police, notamment en ce qui concerne l’évolution de la législation sur le refus d’obtempérer.
« Sur le tir en lui-même, on va être très clair, il n’aurait jamais dû avoir lieu. Est-ce que le policier est en danger ? Est-ce qu’il ne l’est pas ? En se couchant sur le capot du véhicule, j’ai l’impression qu’il se met lui-même en danger. Est-ce qu’il doit tirer ? La réponse est non. »
« Après, il y a aussi la personnalité du jeune homme. Est-ce qu’il est normal aujourd’hui, parce qu’il n’est pas le seul, que nous ayons énormément d’adolescents, de jeunes qui s’installent dans un parcours de délinquance ? Parce que ce n’était pas la première fois qu’il était mis en faute. Il avait été interpellé deux jours avant, déjà en conduite sans permis, donc c’est quelqu’un qui s’était installé dans le processus de délinquance. Ce qui n’explique pas ni n’excuse le fait qu’on lui tire dessus, mais il n’est pas inintéressant de se demander comment toute une partie d’une jeunesse s’installe purement et simplement dans le monde de la délinquance », précise l’ancien policier.
Votée en 2017, la loi de sécurité publique autorise les policiers à tirer « en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée » sur un véhicule « dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ».
Une loi « trop vague » qui mériterait d’être réformée, selon Jean-Pierre Colombies.
« À partir du moment où il n’y a pas de mise en danger directe de la part de celui qui est au volant, est-ce qu’il vaut mieux laisser partir le délinquant, ou est-ce qu’il faut tout faire pour l’intercepter ? Le débat est ouvert, il est encore en cours parce que beaucoup demandent la réforme de cette loi. J’ai tendance à penser qu’on a eu quand même treize morts en 2022, c’est beaucoup trop », explique-t-il.
Alors que plusieurs voix se sont élevées, notamment à gauche de l’échiquier politique, pour dénoncer un racisme systémique dans la police à la suite du décès de Nahel Merzouk, l’ancien commandant de police estime que ces accusations sont dépourvues de fondement.
« Dire que la police est intrinsèquement raciste, c’est d’une mauvaise foi absolue. Allez dans les commissariats ou regardez les patrouilles de police et vous verrez quelle est la couleur des gens qui les composent. Vous avez de tout, vous avez une grande diversité. »
S’il estime que les accusations de racisme n’ont pas lieu d’être et que les comparaisons avec des événements survenus outre-Atlantique comme l’affaire George Floyd sont injustifiées, Jean-Pierre Colombies n’en admet pas moins que la police française n’est pas parfaite.
« Qu’il y ait des bavures, c’est incontestable, on ne va pas se cacher derrière le petit doigt, on ne va pas dire que la police ne commet pas de fautes, ce serait complètement crétin de le dire. Il y a des bavures, oui. Elles doivent être sanctionnées. »
Tandis que le décès de Nahel Merzouk a donné lieu à plusieurs nuits d’émeutes et à des scènes de pillages, de dégradations et de violences spectaculaires dans de nombreuses villes de France, Jean-Pierre Colombies souligne que cette explosion de colère est le produit de plusieurs facteurs et évoque notamment « le résultat d’une évolution de plusieurs années » pendant lesquelles les forces de sécurité ont « complètement déserté les quartiers ».
« Il n’y a plus de dialogue, il n’y a plus rien. Ces quartiers n’ont plus la notion de ce que sont le service public, la police ou l’autorité. On a tout cassé dans ce pays, on a tout déstructuré, avec beaucoup de démagogie, sous les prétextes les plus fallacieux qui soient. »
L’ancien policier pointe notamment du doigt la politique menée par Nicolas Sarkozy en matière de sécurité.
« On voulait de la rentabilité à peu de frais. C’est ce que voulait Sarkozy, c’est-à-dire moins de policiers, moins d’argent à dépenser, plus de résultats. Sarkozy ne porte aucune idéologie, si ce n’est celle de la rentabilité et de la communication politique. Il a tout cassé, il a supprimé tout ce qui faisait l’interface – pas simplement policière, y compris dans le cadre de financements associatifs – pour montrer qu’il avait de gros bras, pour montrer que c’était quelqu’un d’actif. On a fait la confusion entre l’agitation de ce monsieur et l’action sur le terrain. Cela a donné lieu à une course-poursuite pour les chiffres. On a multiplié les interventions qui devaient provoquer des constatations de délits, notamment l’usage de stupéfiants, et on a totalement manipulé les statistiques. Il a créé une crispation irréversible entre ces quartiers et la police, parce que les chiffres faciles, c’est là-bas qu’on est allé les chercher, dans les quartiers, en multipliant les arrestations, notamment pour usage de cannabis, entre autres. À partir du moment où vous n’avez plus de dialogue, il ne reste que la colère. »
Une politique du chiffre qui n’a pas permis d’endiguer le trafic de drogue et la mainmise des caïds sur certaines banlieues, livrant les habitants au joug des bandits.
« Il y a une réalité, c’est qu’il y a quand même des caïds qui tiennent des quartiers entiers. Il faut être Darmanin ou Macron pour croire que la République va partout, ce n’est pas vrai, ou quand elle y va c’est à grand renfort de forces d’intervention, CRS ou compagnies spécialisées. Il y a des quartiers qui sont tenus par des voyous, clairement », souligne Jean-Pierre Colombies.
« Si les policiers ne vont plus dans ces quartiers, ça veut dire que les gens qui sont victimes d’agression, de violence, de ségrégation, ne sont plus protégés, c’est dégueulasse. L’État a renoncé à protéger ces gens-là, et c’est ce que je dénonce depuis longtemps. Je dis attention, c’est un jeu pervers que vous jouez. Vous n’osez pas affronter les voyous, les délinquants, c’est plus facile de matraquer des manifestants, des Gilets Jaunes ou ceux qui défendent leurs droits à la retraite, donc vous laissez ces cités sans intervention de l’État. Mais dans ces cités, il y a des gens qui se lèvent à quatre ou cinq heures du matin pour aller bosser. Ces gens-là sont les otages des voyous, on les a abandonnés. »
D’après Jean-Pierre Colombies, rétablir l’autorité de l’État dans les zones de non-droit nécessiterait un courage dont nos dirigeants sont entièrement dépourvus.
« Il faudrait avoir le courage de faire intervenir des forces qui seraient en capacité d’inverser la tendance. Mais ça nécessite l’idée que ça peut casser. Pour faire simple, qu’il y ait des morts. Quand vous intervenez sur des groupes armés, qui n’ont peut-être pas envie de se laisser désarmer, il faut être prêt à tirer aussi. Il faut être prêt à aller au contact, pas au contact de papi ou mamie qui défend le droit à la retraite de son fils, mais au contact de voyous armés de Kalachnikov. »
« Nous baignons dans l’hypocrisie, ce que j’appelle moi l’imposture et la posture. C’est gravissime dans une société qui est en équilibre comme aujourd’hui où, on le voit, la moindre étincelle peut enflammer des quartiers entiers et des villes entières », ajoute-t-il.
L’ancien commandant de police insiste également sur l’importance d’une réponse pénale efficace.
« Quel est le meilleur moyen pour qu’une peine soit dissuasive ? Il faut qu’elle soit réelle. J’ai connu des individus qui avaient des dizaines d’antécédents judiciaires qui n’avaient pas fait un jour de prison. Il faut une répression, il faut un message dissuasif fort. »
« Il n’y a pas de dissuasion et donc vous avez des gamins qui arrivent à l’audience en rigolant parce qu’ils savent que quoi que dira le président du tribunal, ils n’iront pas en prison », ajoute-t-il.
Interrogé sur le fait de savoir si la police française faisait un usage légitime de la force dans le cadre de ses missions de sécurité publique et de maintien de l’ordre, Jean-Pierre Colombies est revenu sur les manifestations des Gilets Jaunes ayant émaillé le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, mais aussi sur celles qui se sont déroulées lors du projet de réforme des retraites.
« Je ne parle pas de violences policières, je parle de violences politiques, ce n’est pas la même chose. Il n’y a de violence policière que lorsqu’il y a un pouvoir politique qui l’ordonne ou qui le cautionne », explique-t-il.
« Quand vous avez un pouvoir politique qui nomme quelqu’un comme Didier Lallement, qu’on lui donne carte blanche, qu’on lui donne tout pouvoir pour organiser le maintien de l’ordre, on voit le résultat. Quand vous donnez les pleins pouvoirs à quelqu’un comme ça, vous obtenez ce à quoi on a assisté pendant les Gilets Jaunes, c’est-à-dire de l’ultraviolence. »
« Quand on assiste aux manifestations, on voit qu’il y a une manipulation des masses. On focalise les images sur les blacks blocs, quelques centaines de mecs habillés en noir qui mettent le feu aux poubelles et qui tapent sur les banques, alors que vous avez trois millions de manifestants derrière. Il faut remettre les choses en perspective. […] Au final, on garde des images catastrophiques où on voit des poubelles qui flambent, des policiers qui chargent. C’est de la mise en scène, c’est du théâtre », observe Jean-Pierre Colombies.
« Si vous voulez interpeller les petits malins qui mettent le feu, ce n’est pas un problème. Il suffit de se coordonner, il suffit de le vouloir. Lorsque vous laissez faire, c’est que vous voulez un effet contraire, un effet média. On laisse mettre le feu, on laisse le chaos s’installer. Et vous avez quoi sur BFM, CNews, LCI en permanence et en boucle ? Les incidents. Pas les deux millions de manifestants qui eux ont quelque chose à réclamer et à dire. Ça s’appelle de la propagande », ajoute-t-il.
D’après Jean-Pierre Colombies, les forces de l’ordre tendent de plus en plus à être instrumentalisées par l’exécutif et à être employées comme une garde prétorienne du régime.
« Emmanuel Macron est, on le voit bien, dans une dynamique de protection personnelle de son pouvoir et de sa gouvernance. Il utilise les forces de sécurité comme rempart à sa politique. Si vous enlevez ça, il ne reste pas grand-chose. La vraie question est jusqu’à quand cela va-t-il tenir ? Et que se passera-t-il lorsque cela ne tiendra plus ? Au Parlement, on ne tient quasiment qu’à coups de 49.3 et dans la rue ce sont des régiments de CRS. »
Une situation à l’origine d’un malaise de plus en plus profond dans les rangs de l’institution policière.
« Les policiers que je connais sont catastrophés. Ils sont écœurés, ils n’ont qu’une envie c’est de partir à la retraite, même s’ils sont loin de l’échéance », remarque l’ancien commandant de police.
« C’est une institution qui est profondément en crise. L’année dernière, il y a eu 10.000 démissions. Ce n’est pas rien. On recrute à des niveaux qui sont pitoyables. Aujourd’hui le niveau de recrutement au concours de police est aux environs de sept de moyenne. Je ne sais pas si on imagine la situation dans laquelle on est. »
Et Jean-Pierre Colombies de conclure : « Si certains ont de l’influence, qu’ils n’hésitent pas à secouer les politiciens qui sont autour d’eux et à leur dire : ayez un peu de courage, ça nous changera. S’il vous plaît, ne pensez pas qu’à vous, ne pensez pas qu’à votre nombril, ne pensez pas qu’à votre carrière, pensez à l’intérêt général parce que c’est fondamental dans le contrat qui unit une population, une communauté à ceux qui la représentent. »