Tout a commencé avec « la République ». Puis il y a eu « les hommes libres » et maintenant « les martyrs »: à Bagdad, la nouvelle ligne de front se trouve sur les ponts aux noms symboliques qui mèneront, assurent les manifestants, à « la chute du régime ».
Prendre le contrôle des ponts qui enjambent le Tigre dans la deuxième capitale la plus peuplée du monde arabe est désormais stratégique.
Il y a l’attaque: prendre les institutions vers lesquelles ils mènent et décréter la désobéissance civile générale dans Bagdad.
« On veut tout bloquer, plus personne ne doit aller travailler, c’est comme ça que les gens qui ne manifestent pas peuvent nous aider à faire tomber ce gouvernement qui nous opprime », explique à l’AFP Imed Hassan, 45 ans, une pancarte accrochée sur la poitrine proclamant « Je veux mon pays ».
Les ponts ne sont plus entre leurs mains
Et il y a la défense: si les ponts ne sont plus entre leurs mains, les forces de l’ordre ne peuvent pas s’y déployer pour charger sur la place Tahrir et ses dizaines de milliers de manifestants.
« On va rester là, on va résister, pour protéger la zone » et « la révolution », lance Abbas, 24 ans, qui a récupéré un gilet multipoches d’un surplus militaire où il stocke une bouteille de Pepsi et d’autres outils anti-lacrymogènes
« Parce que sinon ils attaqueront les manifestants de Tahrir avec leurs canons à eau chaude, leurs grenades lacrymogènes, des balles réelles, du gros calibre, qui tuent tous les jours », assure-t-il.
L’unique obstacle qui sépare l’emblématique place de la Zone verte, où siègent sous haute protection les autorités, est le pont al-Joumhouriya, la République en arabe.
Créer un paravent, un barrage, empêcher la mort des manifestants
C’est le premier où les manifestants se sont élancés. Depuis, il a été hérissé de trois barrages de béton par les policiers antiémeute qui tirent leurs grenades lacrymogènes et assourdissantes de derrière ces blocs.
Les manifestants, eux, ont hissé plaques métalliques, barils rouillés et couvertures au-dessus du béton dans l’espoir de créer un paravent sans jusqu’ici avoir pu empêcher la mort de plusieurs d’entre eux, le crâne déchiqueté par des grenades lacrymogènes.
Quelques centaines de mètres plus au nord, les ponts al-Ahrar, les hommes libres en arabe, et al-Chouhada, les martyrs en arabe, mènent eux au quartier où se trouvent les bureaux du Premier ministre Adel Abdel Mahdi, la télévision d’Etat et le ministère de la Justice.
Manifestation monstre à Bag
? »عناصر » مليونية في ساحة التحرير #العراق_تنتفض pic.twitter.com/eNjN0hcj
— Djalel Fatnassi (@dfatnassi) October 29, 2019
Le quatrième pont, Senek, un terme hérité de l’époque ottomane, va tout droit vers l’ambassade d’Iran, dont le drapeau est désormais brûlé en place publique par les manifestants qui l’accuse d’avoir amené au pouvoir « les corrompus » et les « milices ».
La police fluviale tire des grenades sur les manifestants
A chaque fois que les manifestants ont tenté de s’y engager, le béton a fleuri là aussi: sur les trois derniers ponts les forces de l’ordre ont monté à la hâte deux barrages de T-Walls, ces pans grisâtres que le gouvernement s’enorgueillissait d’avoir fait disparaître de Bagdad ces derniers mois.
De chaque côté du béton, chaque jour, c’est le même ballet qui se répète. D’un côté, les policiers antiémeute tirent grenades lacrymogènes et assourdissantes et parfois des balles réelles, au fusil ou à la mitrailleuse lourde.
De l’autre, les manifestants arment leurs frondes et font pleuvoir une pluie de billes à jouer sur les forces de l’ordre. Ou alors ils pointent sur eux des lasers verts et rouges dans l’espoir de les aveugler et de les empêcher de tirer.
Les affrontements ont aussi lieu à l’étage du dessous: sur le Tigre. La police fluviale tire elle aussi ses grenades sur les manifestants postés sur les rives. Là, sous les structures métalliques des ponts, les explosions des grenades sont démultipliées par l’écho, rappelant aux Bagdadis le son des attentats des années passées.
Ces affrontements débutent généralement dans l’après-midi et font vibrer tout le centre de Bagdad au gré des explosions et des ondes de choc jusque très tard dans la nuit. Avant de s’arrêter. Et de reprendre le lendemain.
Jeudi encore, les forces de l’ordre ont tiré à balles réelles quand les manifestants se sont approchés de la Banque centrale. Située exactement entre « les hommes libres » et « les martyrs ».
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