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Apprendre à l’ère du numérique : penser et faire à nouveau réunis

avril 13, 2017 12:05, Last Updated: avril 8, 2017 10:08
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Comment peut-on reconstruire le lien entre « faire » et « penser » au cœur du monde qui vient ? Pour un enseignant, qui se réjouit d’être aussi, et de plus en plus, un mentor, c’est à dire celui qui accompagne et guide, bienveillant, par son expérience, c’est un programme exaltant.

Reconstruire le lien intime entre « faire » et « penser »

Êtes-vous un manuel ? La séparation radicale, issue de la révolution industrielle, entre « cols bleus » en bas, ceux qui font, travaillent la matière et exécutent, et « cols blancs » en haut, ceux qui pensent, décident et ordonnent, devient toujours plus artificielle même si elles fondent toujours pour une large part notre système de diplômes.

Certains qui se pensent « cols blancs », devraient toutefois aujourd’hui y regarder à deux fois. La pensée qui ne fait que reproduire et le tableur sur écran ne mettent certes pas du côté du travail manuel, mais de là à dire qu’ils mettent du côté de ceux qui pensent, décident et ordonnent… Une certitude par contre, ce nouvel exécutant « col blanc » est séparé du monde réel par un écran qui est son nouveau monde.

En fait, la distinction fondée sur la séparation entre « faire » et « penser » ne paraît même plus une grille de lecture pratique à défaut d’être justifiée, qui permet d’aborder l’évolution future des compétences et des métiers à l’âge du monde numérisé. C’est ce que rappelle et développe Matthew Crawford dans son livre intitulé en français, Éloge du Carburateur.

Dans la vidéo suivante, on voit Manu Prakash, chercheur à Stanford, qui présente sa centrifugeuse en papier, inspirée par le mouvement d’une toupie.

À mes yeux, c’est époustouflant. Mais la capacité d’un chercheur comme Manu Prakash à créer des objets à partir de pratiquement rien n’est pas fondée sur son seul génie. Il est bien sûr fascinant parce qu’il produit de l’information utilisable, transférable et multipliable, pour transformer le réel n’importe où avec un minimum de ressources. Quelle créativité dans cette action sur le réel ! Mais c’est certainement d’abord un état d’esprit, une émulation dans un environnement favorable, positif et stimulant.

Serait-ce une façon de définir des écoles de demain ? La créativité s’appuie chez lui sur une formation en sciences expérimentales de très haut niveau. Comme professeur de physique, j’en suis profondément heureux. Et puis, analyser sa centrifugeuse en papier en revenant à la physique de base m’est un bonheur. Accumuler l’énergie liée à l’action répétée, au travail périodique des mains sans la perdre dans les frottements, c’est bien joué. Simple et de bon goût. Pour un physicien, c’est du petit lait.

Ce que l’on voit ici rejoint le programme du cours FabLab Jam Session que nous développons à l’Université Grenoble Alpes avec le centre de culture scientifique technique et industrielle La Casemate, organisateur de la Maker Faire Grenoble en mars 2017. C’est aussi celui du cours « Learning by doing », du Master Edtech au CRI Paris où j’enseigne.

Le livre de Matthew B. Crawford.

Éditions la Découverte

Expérience du réel

Ce qui compte ici, c’est l’alliance de l’expérience du réel et de sa complexité avec l’accès facile à l’information. Quel que soit le projet, l’objectif premier n’est pas le projet lui-même mais la construction de sa propre capacité à lire une situation réelle et à agir sur elle au-delà d’une approche systématique et prévisible, au-delà de méthodes préfabriquées apprises et répétées à l’identique, au-delà de ces méthodes que des robots mettront en œuvre sans nous.

On voit avec Manu Prakash combien associer une créativité joyeuse, une connaissance scientifique de haut niveau et un réel talent d’expérimentateur est ici fécond et fascinant. On dira avec raison que c’est bien le moins que l’on peut attendre ici tant la formation du chercheur, comme celle de ses collaborateurs, est d’un niveau scientifique élevé. Manu Prakash est un pionnier, mais passer par la science n’est qu’une des modalités de mise en œuvre de ce si joli programme.

Intelligence collective

Il faut reconnaître qu’échapper ainsi à la concurrence des systèmes artificiels intelligents en s’inscrivant dans cette démarche paraît ambitieux et plutôt difficile. C’est la sortie par le haut. C’est clairement une véritable rupture qu’on ne distingue aujourd’hui que dans chez les précurseurs que sont les Makers par exemple.

S’il y a bien une certitude, c’est celle-là : l’humanité n’a pas connu une évolution biologique dans les dernières décennies qui aurait fait progresser radicalement notre intelligence individuelle et qui serait le moteur de la métamorphose du monde en cours.

La révolution d’une ampleur invraisemblable dans cette même période est bien celle des machines qui accèdent à l’information, deviennent ses véhicules et transforment l’humanité en profondeur. En fait, elles conduisent d’abord à la découpler du réel.

Elles sont alors les tambours des faits alternatifs, et de la post-vérité. Il apparaît particulièrement difficile de construire son expérience du réel à l’ère du numérique. En l’absence d’accompagnement pédagogique pour organiser ce bain d’information, pour le structurer et en faire de la connaissance, c’est bien ce qui se produit : le réel ne passe pas la barrière des écrans.

Permettre au réel de passer la barrière des écrans.

Rawpixel/Flickr

Au contraire, comme le montrent nombre de précurseurs, nous avons la possibilité d’utiliser ces systèmes artificiels de traitement de l’information pour mettre en route notre intelligence collective comme jamais, dans le but d’agir et de transformer le monde réel avec nos têtes et nos mains, pour revenir au réel. Il s’agit donc d’accompagner la construction de notre habileté manuelle, de notre capacité à apprécier, à diagnostiquer, en partant de cette connaissance disponible partout et des échanges faciles par delà les distances, pour modifier notre environnement, pour ajouter au réel, pour réparer. Cela concerne alors toutes les formes de connaissances et d’expertises que l’on soit plombier, médecin ou scientifique…

Joel Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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