Dès le week end du 13 novembre, l’Éducation Nationale a mis en place 250 cellules de crises et mobilisé des psychologues scolaires. Aujourd’hui, un certain retour à la normalité s’amorce dans la société, depuis les attentats du 13 novembre. Écoles, collèges, lycées ne font pas exceptions : à partir de décembre, les sorties scolaires reprendront –exceptées celles en rapport avec la COP21.
Le plan d’alerte Vigipirate était déjà à son niveau le plus élevé depuis janvier dans les académies de Paris, Versailles, Créteil. Certains établissements envisagent de monter leur niveau de sécurité, en installant des visiophones, ou en incitant les élèves à ne pas s’attrouper en bord d’établissement.
Mais le combat devra aussi se porter sur d’autres terrains. La sécurité morale et affective des élèves ne se décrète pas. Face à l’inquiétude des élèves et l’angoisse des parents, les professeurs doivent aujourd’hui trouver des réponses pédagogiques appropriées. Pas toujours évident, sur le terrain.
Une communauté durement touchée
La communauté éducative a été durement touchée par les attentats du vendredi 13 novembre. On compte au moins une vingtaine de victimes parmi lesquelles des professeurs, un directeur d’IUT, une lycéenne de 17 ans et une dizaine d’étudiants.
Au collège Victor Hugo, dans le 3ème arrondissement, un surveillant a été abattu. Kheireddine Shabi, 29 ans, a trouvé la mort alors qu’il raccompagnait un ami dans le 11ème. Un mémorial a été érigé à l’entrée de l’établissement dont il surveillait la sortie. A l’école, un garçon rapporte aux professeurs : « je connais dix personnes mortes : cinq au Bataclan, quatre dans les cafés, et une rue Voltaire».
Dans les établissements scolaires parisiens, mais aussi en proche banlieue, il n’est pas rare de connaître quelqu’un qui est mort ou a qui été touchée le 13 novembre. Lundi matin, les professeurs ont rencontré toutes sortes de situations : certains enfants étaient présents au Stade de France, d’autres avaient suivi de près le déroulement des attentats dans les médias, certains déclaraient voir leur parents pleurer sans comprendre eux même.
Un enseignant du collège Victor Hugo témoigne : « J’enseigne depuis quinze ans. Lundi, c’était la journée la plus dure de ma vie. Notre responsabilité est énorme. Les enfants ont une immense soif d’explications. Les parents nous les confient. Et ici, nous ne sommes pas loin des endroits visés par les terroristes. »
Recueillir la parole des élèves
Les premières heures du lundi 16 novembre, dans une école de la banlieue parisienne, les élèves lèvent le doigt. Chacun lance un mot, quelque chose qu’il a entendu à la télé ou dans la bouche de ses parents. Le prof inscrit un à un les mots au tableau : « guerre », « rester chez soi », « ceinture d’explosifs », « kamikazes ».
Durant cette matinée, conformément aux consignes du ministère de l’Éducation, un temps est pris avant la minute du silence pour l’échange. « La consigne était de recueillir la parole des élèves, sans forcément répondre toute de suite », relève la directrice de l’école Victor Hugo.
Marie-Sandrine, prof de français en lycée, témoigne sur le Huffington Post : « la ministre dans sa lettre nous a remerciés pour notre professionnalisme. Elle nous a donné des ressources pour aborder le sujet en classe et parle désormais de « minute de recueillement » et plus de « minute de silence », c’est important. »
En janvier, de nombreux établissements avaient reporté des incidents durant la minute de silence. Cette fois-ci, l’ambiance semblait très différente. « En janvier, on était à la limite du « c’est bien fait pour eux » », relève Éric, directeur d’un établissement accueillant des élèves de l‘école au lycée, dans la région parisienne. Mais à l’heure de midi, le 16 novembre, les 1 000 élèves de son groupe scolaire étaient réunis au gymnase sans qu’il y ait « un mot de trop ». Éric s’est contenté d’un discours introductif : « Viendra le temps des explications. Pour l’instant, c’est la minute de silence ».
D’autres témoignages d’enseignants et d’élèves évoquent un moment très solennel. « Pour des lycéens, il est facile de s’identifier à des personnes qui boivent un verre en terrasse ou qui vont à un concert », fait remarquer Philippe Tournier, secrétaire général du syndicats des chefs d’établissements (SNPDEN).
Un problème en suspens
« Avec le recul, j’ai le sentiment qu’en janvier, on ne parlait pas d’attentats, mais de liberté d’expression. Aujourd’hui, on est dans un état de terreur amené par les terroristes », continue Éric. Durant l’attaque de Charlie Hebdo, le directeur d’établissement évoque le cas d’une élève qui pensait que rien n’était arrivé. Un journaliste de Radio France Info avait dû intervenir dans l’établissement.
La différence, aujourd’hui, c’est que contrairement à Charlie Hebdo, le problème reste en suspens. Et amène de nouvelles difficultés aux enseignants. « Quand une élève dit : « ça ne se peut pas ! », on peut le gérer, quand un élève de quatrième veut se faire remarquer et dit une ânerie, ça peut se gérer, quand un élève dit : « mon père a dit que… » c’est beaucoup plus difficile », remarque le directeur. « On est nous aussi touchés, on doit faire abstraction de tout ça, et mettre toute notre énergie pour expliquer », conclut-il.
Prendre le temps du dialogue
Une question demeure donc : comment et avec quels moyens évoquer les attentats terroristes, rassurer les élèves, parler du « vivre ensemble » ? Un travail de reconstruction qui se fera petit à petit. Jusqu’ici, malgré les consignes et l’encadrement de l’Éducation nationale, il n’y a aucune recette miracle. « Une heure de doctrine par semaine pour dire « La République est grande », ça ne marche pas », rétorque François Dubet, sociologue et directeur d’études à l’École des hautes études des sciences sociales.
« La tendance, portée par une vieille tradition laïque, serait de dire que les valeurs s’enseignent comme les mathématiques, qu’on pourrait donner des « cours de la République ». Je crois au contraire que c‘est dans son fonctionnement même que l’Institution doit mettre en œuvre ces valeurs », continue le sociologue dans une récente interview accordée au Parisien.
Au collège Victor Hugo, chaque professeur y est allé de sa méthode. En cours de musique, l’enseignante a passée une vidéo de Kheireddine jouant du violon. En cours de français, les élèves de 5ème ont eu droit à une diffusion de Timbuktu, un film expliquant le fondamentalisme religieux. Le prof d’histoire-géo a parlé du lieu des attentats. Pour sa part, Éric pense mettre en place dans son établissement des petits groupes de réflexions. « Pour qu’il puisse se projeter, un jeune a besoin de savoir qu’une problématique est terminée », remarque t-il.
Marie-Sandrine, enfin, n’écarte pas l’idée de passer la chanson Ma France de Jean Ferrat si les choses sont « trop pesantes ». « Je leur dirai que la mort fait partie de la vie, elle surgit parfois en cours de français quand un élève perd un proche par exemple. Là, il n’y a pas de psychose supplémentaire à avoir. La mort n’est jamais juste. J’aimerais aussi leur donner des clés pour faire la différence entre les informations et les rumeurs », déclare t-elle.
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