Débit de mitraillette, discours de parfaits communicants, enthousiasme inébranlable: ils sont jeunes, « pressés », et se sont mis en tête de bousculer les vieux dinosaures de la politique tunisienne et de sensibiliser leurs semblables à l’élection présidentielle qui approche.
Dans un paysage politique éclaté, foisonnant, 26 candidats pour le premier tour du scrutin le 15 septembre, et où les enjeux restent difficiles à cerner, cette bande d’une dizaine d’amis a lancé une plateforme en ligne: « Chnowa barnemjek?« , « Quel est ton programme? » en français.
« Les jeunes sont dégoûtés de la politique, des politiques, qui passent depuis des années à côté de l’essentiel de nos préoccupations », s’enflamme Mohamed Ghedira, un jeune médecin interne de 25 ans. « Nous avions entre 10 et 17 ans en 2011 lors de la révolution, et depuis nous vivons dans une cacophonie politique. Ils ont discuté de choses qui ne nous intéressent pas, comme le niqab ou l’identité tunisienne ».
Ce qui préoccupe les jeunes, « ce sont des thématiques comme la santé, l’éducation, l’avenir, savoir s’il faut revaloriser le salaire minimum, pourquoi ils ne peuvent pas aller à l’hôtel avec leur copine sans présenter un certificat de mariage! », dit-il à l’AFP.
-Comparer leurs programmes avec 45 questions-
Le site, en français et en arabe tunisien, présente les 26 postulants et propose de comparer leurs programmes avec 45 questions regroupées par thèmes (société, environnement, affaires étrangères…) auxquelles les candidats, 16 ont joué le jeu, n’ont pu répondre que par « oui », « non » ou « ne se prononce pas ».
Certaines questions sont volontairement « choquantes » ou épineuses: « faut-il abolir le test anal » pratiqué sur des personnes soupçonnées d’avoir eu des relations homosexuelles, « faut-il permettre l’ouverture des cafés pendant le ramadan » ou supprimer l’inégalité hommes/femmes dans l’héritage…
A ceux qui les accusent de simplisme ou estiment, à l’instar de Wafa, une étudiante en informatique, qu’un programme ne se résume pas à « oui ou non », la bande d’amis, profil lisse et bien éduqué, assure donner aux jeunes « l’accès à l’information politique avec les moyens qu’ils connaissent ».
« Tout jeune Tunisien, où qu’il vive, a un smartphone et se connecte. On a choisi une plateforme 100% digitale, un langage percutant », explique M. Ghedira qui se défend d’être « dans l’entre-soi de Tunis ».
« On réfléchit depuis mai à cette plateforme, on a sillonné les régions, on est tous originaires de zones différentes. Et on n’oublie pas qu’il y a plus de sept millions de comptes Facebook en Tunisie et près de deux millions de comptes Instagram », souligne le jeune homme, qui cite comme source d’inspiration « La boîte à questions », une émission lapidaire et branchée de la chaîne française Canal+.
Pour qui votent-ils? « Nous sommes apartisans, ce qui ne veut pas dire que nous ne votons pas », répète sur les plateaux télé et radio un cofondateur du site, Ahmed Turki.
-1,5 million de nouveaux inscrits, des femmes et de jeunes de 18-35 ans-
Quant au financement? « Zéro », assurent-ils, « chacun est venu avec son savoir-faire ». Selon eux, la plateforme a reçu 30.000 visites dès le premier jour de sa mise en ligne, le 2 septembre. Plus de sept millions d’électeurs sont inscrits, un record, sur les listes électorales, avec 1,5 million de nouveaux inscrits, dont une majorité de femmes et de jeunes de 18-35 ans.
Ceux-ci représentent 63% du corps électoral, selon l’Isie, l’instance chargée des élections, qui a fait un gros travail de sensibilisation durant l’été. « L’Isie est littéralement allée les chercher », se félicite le sociologue Mohamed Jouili, ancien directeur de l’Observatoire de la jeunesse.
« Mais il n’est pas évident que ces jeunes voteront le jour J. Ils ont un point de vue très négatif sur la vie politique en général, malheureusement ».
A l’intérieur du pays, berceau de la révolution tunisienne, certains, totalement désabusés, balancent entre abstentionnisme et tentation de l’homme fort pour la deuxième élection présidentielle au suffrage universel dans l’unique pays rescapé du Printemps arabe de 2011.
Lors des municipales de 2018, l’abstention, qui avait atteint 65%, avait été particulièrement forte chez les jeunes.
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