Un nouveau document publié par l’Église catholique en Australie incite les élus à repenser radicalement leur approche politique afin de résoudre les problèmes d’exclusion économique et d’inégalité.
En exigeant « une économie qui marche pour tous », ils soulignent le consensus croissant sur le fait que le fondamentalisme néolibéral détruit l’espoir des citoyens tant en Australie qu’au-delà. Ce document fait partie d’un effort continu de l’Église Catholique pour attirer l’attention sur le sort des personnes les plus démunies dans une société profondément inégalitaire.
Ce document est intéressant, à la fois parce qu’il souligne les problèmes causés par le néolibéralisme et le fameux « effet de ruissellement », largement démystifié aujourd’hui, mais aussi parce qu’il exprime le besoin d’une plus grande participation de la société civile à la résolution de ces problèmes.
Bien qu’ils plaident en faveur de plusieurs mesures de gouvernance, les auteurs du document mettent en avant une mesure particulièrement intéressante, étant donné qu’elle n’est pas mise en œuvre ailleurs. Celle qui consiste à créer un siège au conseil d’administration de la banque centrale d’Australie (Reserve Bank of Australia, « RBA ») pour que « les pauvres y soient représentés ». Comment cette idée pourrait-elle mis en œuvre ? Et quelles en seraient les répercussions majeures ?
Les banquiers centraux oublient les inégalités
Le document soutient qu’un nouveau siège devrait être créé au conseil de la banque centrale afin « qu’un Australien prééminent qui a la connaissance et l’expérience des conséquences de la politique monétaire sur les pauvres et les marginalisés, favorise l’interconnexion des politiques économique et sociale, et appuie le rôle que la RBA peut jouer pas sa politique monétaire pour améliorer la vie des plus pauvres et des plus marginalisés de notre société ».
C’est à la fois une proposition intéressante et non testée. Les banquiers centraux oublient l’inégalité et ont tendance à se concentrer sur la gestion d’un petit nombre de variables macroéconomique et en particulier l’inflation (« stabilité des prix »). En agissant ainsi, ils sont surtout soucieux de maintenir leur crédibilité.
En tant que telles, les banques centrales efficaces sont généralement animées par un fort sentiment d’indépendance, ce qui les aide à résister à la pression politique pour injecter sans cesse de l’argent dans le cadre du cycle des affaires politiques.
Maintenir ce sentiment d’être une institution crédible implique la nécessité de présenter leur leadership (le conseil de la banque) comme un groupe d’« experts » ayant une vision économique à long terme, et donc leur profil de compétences tend à être fortement orienté vers l’économie traditionnelle, ce qui signifie également qu’ils sont influencés par les idéologies économiques du jour (telles que le néolibéralisme). Il faut souvent un profond bouleversement pour que les banquiers centraux remettent en question les idéologies qui sous-tendent leurs actions.
Plus important encore, les banquiers centraux n’ont jamais considéré l’égalité économique comme une de leur principale préoccupation ; raison pour laquelle ils sont décrits (assez généreusement) comme des « spectateurs innocents » lorsque l’inégalité ne cesse de s’aggraver.
Un « siège pour les pauvres » dans une banque centrale
Lorsqu’on plaide pour un « siège pour les pauvres », il y a plusieurs éléments qui doivent être examinés.
Le premier est la question de la responsabilisation de la banque centrale. Avoir un « siège pour les pauvres » signifie qu’il y aurait une personne au sein du conseil d’administration qui questionne et défie constamment ce qu’avancent les autres membres (puissants) du conseil.
C’est ce qu’on appelle « responsabilité horizontale » (horizontal accountability) parce qu’il s’agit d’un type de responsabilisation entre égaux (membres du conseil). Cela contribuerait à contester le consensus général du conseil, et c’est une partie importante (mais sous-utilisée) du processus existant.
On le voit par exemple dans les procès-verbaux des réunions du conseil d’administration de la banque centrale.
La deuxième question porte sur les outils et les indicateurs que ce membre du conseil utiliserait pour présenter des opinions différentes. Si le membre du conseil se fond sur la structure habituelle des paramètres que les banquiers centraux surveillent, tels que les chiffres du marché du travail et les niveaux des prix, il va parvenir à des points de vue similaires à celui des autres.
L’utilité réelle de ce « représentant des pauvres » sera de défendre une vision pertinente pour l’analyse de l’inégalité économique. Ses indicateurs à lui seront la répartition des revenus, le comportement d’épargne, la dépendance à l’aide sociale et les variables socio-économiques, y compris en matière de santé et d’éducation.
Bien que cela ne soit pas habituel pour les discussions à la banque centrale, cette approche serait extrêmement utile pour réaligner le travail des banques centrales sur le problème pressant de l’inégalité économique.
La troisième question porte sur la désignation des représentants eux-mêmes et de leur propre idéologie. Comment choisir un « représentant des pauvres » ? Comment cette personne afficherait-elle et conserverait-elle sa crédibilité professionnelle ? Comment jonglerait-elle avec des préoccupations macroéconomiques plus larges avec ses propres inclinations idéologiques ?
L’idée qu’une personne désignée par l’église puisse intercéder dans la délibération monétaire est une idée qui semble plutôt archaïque. Il faut donc trouver d’autres formules de nomination d’une telle personnalité.
Les outils fiscaux et monétaires sont tous deux importants
Dernier point – et peut-être le plus important – c’est, en fait, la politique budgétaire, et non la politique monétaire, qui est vue traditionnellement comme le meilleur outil pour lutter contre les inégalités. Cela parce que les décisions fiscales comme le niveau des impôts et taxes et les allocations et revenus de transfert sont plus directes et immédiates.
Donc, c’est le domaine de la politique fiscale qui aurait le plus besoin d’un « représentant des pauvres ». Mais la politique fiscale est si éminemment politique et si profondément enracinée dans les sociétés démocratiques, qu’un régime fiscal « dépolitisé » n’existe que dans les rêves des universitaires (y compris les miens).
Néanmoins, un impact beaucoup plus important de la politique économique favorable aux pauvres n’est possible que lorsque la politique budgétaire est pleinement engagée dans la réduction des inégalités.
Cela ne veut pas dire que la politique monétaire n’a pas, elle aussi d’influence important sur le creusement ou la réduction des inégalités. Au contraire, il est clair qu’au cours des dernières années, les régimes monétaires des pays occidentaux ont aggravé les inégalités.
Usman W. Chohan, Economist, UNSW
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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