L’Occident est fâché contre la Chine dont il craint la démarche totalitaire et dominatrice. Et réciproquement, la Chine est fâchée contre l’Occident qui, après l’avoir considérablement aidée, fait tout pour l’entraver. L’Inde, désormais plus peuplée que la Chine, pourrait-elle faire contrepoids ?
Quelques données de base sur la Chine et l’Inde
La Chine et l’Inde sont les deux nations les plus peuplées au monde avec 1,4 milliard d’habitants.
Militairement, la Chine est loin devant et grignote une partie du territoire indien de l’Himalaya, qui est peuplé de Tibétains. Ces derniers font partie de l’empire chinois pour Pékin, et sont tout ce qui reste d’un Tibet libre pour les Occidentaux et l’Inde. Et elle attire les États de l’Himalaya, Népal et Bhoutan, jusqu’à présent très liés à l’Inde, ce qui affaiblierait considérablement la frontière nord de l’Inde.
Dans le reste du monde, la Chine s’implante militairement petit à petit, annexant de fait toutes les îles de la mer de Chine du Sud et en multipliant ailleurs dans le monde les bases militaires (Djibouti) ou des ports, y compris en Europe, qui pourraient le devenir.
L’Inde commence à réagir et à se soucier de son environnement stratégique. Bien qu’étant au départ anti-impérialiste et socialiste, donc un vieil allié de l’URSS et (un peu moins) de la Russie, cela devrait la pousser dans le camp occidental.
Économiquement, la Chine a également une avance considérable, avec un PIB par personne de 4 fois celui de l’Inde. Ce développement a été possible parce qu’elle s’est libéralisée plus tôt et s’est développée ainsi grâce à un secteur privé qui représente maintenant 50% de son économie. Mais ce mouvement s’est inversé avec la reprise en main des entreprises chinoises et étrangères par le Parti communiste chinois (PCC).
Les premiers gouvernements de l’Inde étaient socialistes et ont donc raté le développement, mais le virage vers le privé des années 1990 est maintenant bien avancé. Et nous verrons que la divergence démographique peut accentuer cette remontée indienne.
Des cultures traditionnelles différentes
D’un côté, il y a la Chine, communiste, mais aussi confucéenne, avec une morale qui demande le respect de la hiérarchie et des anciens : jadis l’empereur ; maintenant, les dirigeants du PCC.
De l’autre, l’Inde, où la pensée hindouiste, à la fois religieuse et nationaliste, se fonde sur quatre principes – Kâma, le désir ; Artha, la prospérité matérielle ; Dharma, le devoir ; et Moksha, la délivrance finale – tout à fait compatibles avec le développement économique et politique du pays.
Diversité indienne contre uniformité chinoise
La Chine est une dictature communiste avec une économie largement dirigée, et une société que l’on veut uniformiser à tout prix. Par exemple, même les églises et les mosquées doivent être construites en style chinois. Les activités économiques privées ont été autorisées à la fin du XXe siècle, elles ont pris un développement considérable, mais sont de nouveau sous le contrôle du parti. Bref, la Chine est à mon avis en train de tuer la poule aux œufs d’or.
Par contre, l’Inde est la plus grande démocratie du monde, elle s’appuie sur une économie libéralisée depuis 30 ans. C’est un État fédéral avec 22 langues officielles et 1600 langues locales, plus l’anglais, langue commune à partir d’un certain niveau dans l’administration et donc apprise pour faire carrière.
Avec des dizaines, voire des centaines de millions de locuteurs pour les principales langues, il y a des médias de masse dans chacune et « Bollywood » serait le premier centre mondial de la créativité cinématographique, ou du moins l’un des trois premiers.
La grande complication de la religion hindoue ajoute à la diversité, et la complique par une stratification par castes, en principe interdites, mais en pratique toujours présentes. Tout cela est exalté par le parti national religieux au pouvoir. À cette extrême complexité de la religion hindoue s’ajoute sa cohabitation avec le christianisme et l’islam.
N’oublions pas que l’Inde est le 3e pays musulman du monde, même si ses plus de 180 millions de croyants ne font que 15% de la population. Si l’on ajoute cette diversité religieuse à la diversité linguistique, on voit qu’on est à l’opposé de l’uniformisation chinoise que je crois stérilisante.
Cette diversité culturelle engendre une grande créativité qui se constate déjà dans le domaine des nouvelles technologies.
Certes, la démocratie indienne est imparfaite. La presse d’opposition est sous pression, la majorité hindoue a un comportement agressif envers la minorité musulmane et parfois envers la beaucoup plus faible minorité chrétienne. Tout cela est dénoncé par le Parti du Congrès, socialiste, qui a longtemps gouverné et est maintenant dans l’opposition : « L’Inde n’est plus une véritable démocratie. Le Parlement, les médias, le milieu des affaires, les régulateurs, la justice : tous sont contrôlés par un seul et même parti. »
Par ailleurs, la fierté est omniprésente en Inde en ce moment avec la nomination d’un Premier ministre britannique d’ascendance indienne, Rishi Sunak, une première absolue dans l’histoire, qui apparaît nettement plus « sérieux », que ses deux prédécesseurs, Boris Johnson ou Liz Truss, qui a démissionné après seulement 45 jours en poste.
Le paradoxe de la situation présente est que l’Inde est devenue tout à la fois un modèle et un contre modèle. Elle exploite avec talent les cartes qui sont les siennes dans le monde, mais elle les dilapide sur la scène intérieure, en laissant prospérer la haine entre ses communautés à un niveau inégalé depuis la partition sanglante du sous-continent en 1947.
Sur la scène internationale, on vante les succès de l’Inde. Mais se pourrait-il qu’elle bénéficie davantage des erreurs ou des faiblesses de ses rivaux et partenaires que de ses mérites propres ?
Malgré tout, l’Inde reste quand même à des années-lumière du régime chinois en matière de liberté.
La démographie pèse en faveur de l’Inde
La Chine va se trouver handicapée par la baisse de sa population active, ce qui pèsera sur son poids économique alors que l’Inde est plutôt dans sa période de « dividende démographique », avec beaucoup d’adultes, relativement peu de personnes âgées et de moins en moins d’enfants, la fécondité restant néanmoins très au-dessus du niveau chinois, avec une fécondité de 2,1 enfants par femme contre 1,15 enfant par femme en Chine.
En Chine, les classes creuses gagnent du terrain chaque année : les moins de 33 ans sont déjà moins nombreux que leurs parents, et en 2030 ce sera les moins de 40 ans, en 2050 les moins de 50 ans.
C’est l’inverse en Inde : même si la fécondité décroît, le nombre de parents continue à augmenter.
De plus, Pékin sera bientôt confronté au problème majeur des retraites qui pourrait nuire à sa richesse nouvellement acquise, laissant le champ libre à l’Inde.
À ce propos, je vous invite à écouter la récente émission de France Inter La Chine sera vieille avant d’être riche donc la réforme des retraites s’y annonce drastique, qui décrit bien ce phénomène.
Un développement récent similaire
Si les deux pays divergent sur de nombreux points, ils ont suivi deux chemins de développement grossièrement parallèles.
D’abord des expériences socialistes calamiteuses pour l’Inde et catastrophiques pour la Chine, puis une libéralisation économique, dont les bénéfices ont été partiellement réinvestis en infrastructures.
Mais il y a aujourd’hui un oubli des conditions politiques de cette libéralisation, avec le poids du Parti communiste en Chine et le déclin de la liberté des oppositions en Inde, qui s’ajoute à la création de monopoles de connivence.
La libéralisation économique
Je ne reviens pas sur la résurrection de la Chine après Mao grâce à sa libéralisation économique, et notamment l’autorisation du secteur privé. J’ai développé ce sujet dans mes précédents articles sur la Chine.
En résumé, j’y décris le cercle vertueux qui a permis l’enrichissement d’une classe moyenne et supérieure, résultant en partie de l’exploitation des migrants ruraux, classe moyenne simultanément transformée en gigantesque marché qui a attiré les investissements du monde entier.
La même étape apparaît en Inde, mais seulement depuis quelques années.
Le marché intérieur a été récemment matérialisé par une taxe uniforme sur les biens et services (GST) remplaçant les très nombreuses taxes locales qui faisaient obstacle à ce marché national.
Et, comme en Chine, la numérisation débloque l’économie en permettant l’arrivée à qui de droit de l’argent public comme privé, en évitant une partie de la corruption et des détournements. Et cette numérisation sécurisante s’appuie également sur l’attribution à tous les Indiens d’une carte d’identité biométrique.
Et, comme en Chine, surtout au début de son développement, mais encore un peu aujourd’hui, le réservoir des campagnes souvent misérables donne une réserve de main-d’œuvre bon marché aux conglomérats indiens.
Les infrastructures
Dans les deux cas, les gouvernements se sont à juste titre souciés des infrastructures, souci qui est allé jusqu’au gâchis en Chine, qui s’est couverte de TGV et d’autoroutes… échange probable de bons procédés entre grands entrepreneurs et administrations.
Le fait qu’une partie des infrastructures semble sous-employée laisse supposer d’importantes dettes, plus ou moins cachées, et une surestimation de la croissance passée du PIB. Cela devient évident notamment pour les logements qui ne trouvent plus preneurs.
L’Inde, de son côté, est encore en retard côté infrastructures, malgré le progrès des routes, du réseau électrique, de l’assainissement, de l’éducation et de la capacité numérique. Il est remarquable que le pays se soit équipé en dépensant beaucoup moins d’argent qu’en Chine.
Un capitalisme de connivence
On déplore par ailleurs dans ces deux pays l’apparition d’un capitalisme « de connivence ». À côté des énormes entreprises privées chinoises, l’Inde a ses « champions nationaux », conglomérats oligopolistiques privés, dont le plus connu est le groupe Tata, qui contrôlent des pans importants de l’économie.
Comme en Chine, ils ont un niveau de compétitivité mondiale, mais cette connivence sera un frein à l’avenir.
En effet, on constate qu’ils diminuent la concurrence et donc la créativité en rachetant systématiquement des start-ups et en remportant les appels d’offres publics par « copinage ».
L’actualité du mois de février 2023 a mis en évidence le conglomérat indien Adani, accusé de doper son cours de bourse de manière frauduleuse par la société américaine d’investissement Silène Hindenburg Research, ce qui a amené des enquêtes sur sa croissance ultrarapide et sa proximité avec le premier ministre.
Mais, si ça passionne la planète boursière, ça laisse indifférente l’opinion indienne et la popularité du premier ministre, qui s’appuie sur une affirmation nationale et religieuse.
À l’inverse de ce qui se passe en Chine, les « champions » indiens ont orienté la politique. L’innovation et les start-ups sont souvent éliminées, on est tombé dans le protectionnisme, avec substitution des importations par des productions nationales subventionnées.
Et l’Inde n’adhère d’ailleurs pas aux accords commerciaux régionaux ou mondiaux.
Cette évolution indienne rappelle les réussites de la Chine sous Hu Jintao (2002-2012) et celle de la Corée du Sud dans les années 1990 avec ses grands chaebols dont le pays était fier.
Il faut souhaiter que le gouvernement indien ne soit pas trop lié à ces champions nationaux qui financent largement ses campagnes électorales…
Et l’avenir ?
La Chine voudrait passer de « l’atelier du monde », au « laboratoire du monde », passant d’une économie de production industrielle à celle de création technique et technologique.
Son atout principal est un marché intérieur important avec une classe moyenne relativement riche, mais son handicap pour y parvenir est le manque de liberté intellectuelle.
Inversement, une Inde plus diverse et nettement plus libre paraît mieux armée dans ce domaine, ce qui devrait se constater au fur et à mesure de la diminution de la pauvreté de sa population. Ce qui n’empêche pas l’Inde d’être par ailleurs un nouvel « atelier du monde » du fait de ses bas salaires actuels, comme elle l’est d’ailleurs actuellement pour le textile.
Pour l’instant, le retard indien est tel que les forces de rattrapage suffisent pour assurer sa croissance, et le protectionnisme ne fait qu’atténuer le phénomène. Mais il est dangereux pour l’avenir.
Un tour d’horizon géopolitique
L’Inde et la Chine seront au cœur des préoccupations du reste du monde dans les années à venir. La Chine est théoriquement l’allié de la Russie, et l’a assurée de son amitié éternelle, mais elle craint des sanctions économiques occidentales dont elle a été menacée si elle vend des armes à sa voisine.
En tant qu’ancien pays socialiste, l’Inde a gardé des liens étroits avec l’URSS puis la Russie, qui est son principal fournisseur d’armes. Les Rafales qu’elle nous a achetés sont un pas vers une diversification, mais en attendant elle offre à la Russie un débouché pour son pétrole, moyennant d’importants rabais.
Bref, l’Inde et la Chine jouent d’abord pour elles-mêmes.
Théoriquement, la Chine pourrait profiter de sa supériorité actuelle pour « régler son compte » à ce concurrent qu’est l’Inde. Mais elle risque alors de renvoyer l’Inde vers l’Occident, alors que le souci premier de la Chine est d’envahir Taiwan. On ne peut pas tout faire en même temps.
La Chine garde néanmoins « un levier » contre l’Inde : son alliance avec le Pakistan musulman, ennemi historique de Dehli.
Par ailleurs, l’Inde et la Chine émettent une forte partie du CO2 mondial ainsi que des pollutions de toute nature, et notamment du plastique.
Officiellement elles ont toutes les deux décidé la décarbonisation de leurs économies… du moins tant que ça ne freine pas leur développement !
L’Inde et la Chine s’alignent pour ne pas soutenir l’Ukraine, mais cela n’a rien d’un front commun, comme l’illustrent des manœuvres militaires communes entre l’Inde et le Japon : Face à la menace chinoise, l’Inde et le Japon lancent leurs premières manœuvres aériennes.
En conclusion : le choc de deux hubris
Le nationalisme, l’orgueil et le tempérament dominateur de la Chine sont maintenant des données de base de la géopolitique, même pour des pays neutres ou sympathisants.
Le nationalisme et l’orgueil indien, identitaire et religieux, est moins agressif à l’extérieur comme à l’intérieur, où il est freiné par le fédéralisme, la démocratie et une grande diversité culturelle. Il n’en demeure pas moins en dehors des clous par rapport aux principes occidentaux.
Mais tant l’Inde que l’Occident n’ont pas d’autre choix que de s’entendre face à la Chine, surtout si cette dernière vassalise la Russie et met de fait la main sur ses matières premières.
Face à cette démarche totalitaire et dominatrice, l’Occident a donc découvert l’Inde dont nous avons vu les atouts. Et logiquement l’Inde devrait constater qu’elle a besoin de l’Occident, tant face à la Chine que pour accélérer son développement. Lequel développement indien est aussi dans l’intérêt de l’Occident…
Cet intérêt réciproque devrait logiquement l’emporter sur les divergences en matière démocratique, de droit des minorités et de gestion d’environnement et conduire à un rapprochement entre l’Inde et l’Occident.
Cet article a été initialement publié sur le site d’Yves Montenay.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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