ENTRETIEN – Christian Saint-Étienne est économiste et professeur au Conservatoire national des arts et métiers. Il livre son regard à Epoch Times sur le Budget 2025.
Epoch Times : Ce lundi 21 octobre, les députés ont commencé l’examen du projet de loi de finances 2025 qui prévoit 60,6 milliards d’économies, notamment pour ramener le déficit à 5 % du PIB en 2025 contre les 6,1 prévus pour 2024. En détail, on trouve 41,3 milliards d’euros de réduction des dépenses publiques et une hausse d’impôts de 19,3 milliards d’euros. Comment jugeriez-vous ce projet de loi de finances ? Peut-il, selon vous, permettre de réaliser de grandes économies ?
Christian Saint-Étienne : La recherche académique et les grandes organisations internationales à l’instar du FMI, de l’OCDE et de la Commission européenne ont produit un certain nombre d’études sur les ajustements de finances publiques, notamment dans des pays démocratiques avancés au cours des trente dernières années. Les conclusions de ces travaux indiquent que pour élaborer un budget qui ne brise pas les perspectives de croissance, l’idéal est que l’ajustement se fasse par 80 % de baisses de dépenses et au maximum 20 % de hausses d’impôts.
Et au regard de l’avis du Haut Conseil des Finances Publiques rendu ce mois d’octobre sur le projet de loi de finances du gouvernement Barnier, on peut considérer que la moitié de l’ajustement est consacré aux baisses des dépenses, et l’autre moitié, aux hausses d’impôts. Ce qui est extrêmement dommageable pour les perspectives de croissance.
Il est très important de noter que lorsqu’on fait un ajustement très significatif de finances publiques, la composition de l’ajustement entre baisse des dépenses et hausse des impôts est aussi importante que le montant lui-même. Donc, de ce point de vue, le budget présenté par Michel Barnier ne passe que très modérément le test. Il est trop chargé en hausses d’impôts et ne contient pas suffisamment de baisses des dépenses.
Cela étant, ce budget a été élaboré dans un contexte extrêmement difficile puisque les élites françaises, non seulement politiques, mais également médiatiques, considèrent que la dépense publique crée la richesse et que la dette n’a pas d’importance puisque c’est, au fond, le problème des créanciers et pas du débiteur.
Cette approche, qui est évidemment fausse, n’est pas partagée par la Commission européenne et les pays d’Europe du Nord. Mais en France, nos gouvernants se disent que si Bruxelles et les pays scandinaves s’opposent à cette vision économique, alors il faut par définition l’appliquer…
Quand elles s’attaquent à la dépense publique, nos élites ont l’impression de mettre à mal les perspectives de croissance, notamment parce que les grands modèles économiques qui permettent d’analyser les conséquences des coupes dans le déficit public surdimensionnent les effets de baisses de dépenses et sous-dimensionnent les effets de hausses d’impôts.
Par conséquent, l’ajustement de finances publiques du gouvernement Barnier est très significatif, mais sa composition n’est pas satisfaisante.
Donc, pour vous, les hausses d’impôts prévues par ce budget et durcies par l’Assemblée ne sont pas justifiées ? Les députés viennent de valider la pérennisation de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus.
Je pense que sur les 60 milliards d’ajustement à réaliser, le gouvernement aurait dû prévoir un budget composé de hausses d’impôts à hauteur de 12 milliards d’euros, et 48 milliards de baisses des dépenses.
Là, on va avoir 30 à 35 milliards de hausses d’impôts qui vont nous coûter 0,4 % de croissance pendant les trois prochaines années. D’ailleurs, c’est ce qui s’était passé quand François Hollande est arrivé au pouvoir en 2012. Il avait, lui aussi, augmenté fortement les impôts. Et la France avait une croissance inférieure à celle de la zone euro les deux ou trois années suivantes.
Je constate que nos dirigeants ne tirent pas les enseignements des expériences passées et répètent les mêmes erreurs…
Y a-t-il un risque que les hausses d’impôts visant les entreprises impactent durablement l’économie française ?
D’abord, la dissolution annoncée par Emmanuel Macron le 9 juin dernier a eu des effets catastrophiques : les principaux acteurs économiques ont différé leurs décisions, et même beaucoup d’entreprises, à cause des hausses d’impôts, ont renoncé à leurs investissements. Et on peut déjà s’attendre à ce que le taux de chômage remonte d’un point d’ici le mois de juin.
Si je devais proposer des corrections au budget du gouvernement Barnier, je dirais que les hausses d’impôts sur les entreprises devraient être réduites de 5 milliards d’euros. Je préfère un package à 55 milliards avec 5 milliards de hausses d’impôts en moins que le budget actuel à 60 milliards incluant plus de 30 milliards d’euros de hausses d’impôts.
Par ailleurs, pour accélérer la baisse des dépenses, je mettrais en œuvre le décret sur la réforme du système des allocations chômage qui avait été préparé par l’ancien Premier ministre Gabriel Attal, mais qui a malheureusement été enterré. Cette réforme permettrait de réaliser des économies de l’ordre de 3 milliards d’euros.
Si vous réduisez de 5 milliards d’euros les hausses d’impôts sur les entreprises, et augmentez de 3 milliards les baisses de dépenses, à la fin, vous pouvez obtenir un package efficace de nature à redynamiser l’économie française et à réduire l’impact de l’ajustement Barnier sur l’investissement et les décisions économiques.
Dans un entretien au Figaro, vous avez déclaré que nous traversons « la plus grave crise des finances publiques depuis la Guerre ». Cette crise dont vous parlez, est-elle le résultat de choix économiques faits ces dernières années ou faut-il remonter à plus loin pour comprendre l’état actuel de nos finances publiques ?
Cette crise résulte à la fois de décisions économiques prises sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, et de choix faits il y a une vingtaine d’années. Je pense notamment à l’instauration catastrophique des 35 heures payées 39 heures par le gouvernement de Lionel Jospin entre 1998 et 2000. Cette réforme est, entre autres, à la source du coût des allégements de cotisations sociales sur les employeurs qui représentent aujourd’hui 75 milliards d’euros.
Et en raison du mécanisme d’ajustement permanent du SMIC et l’impact sur les salaires plus élevés, on peut déjà anticiper que ces allègements vont coûter 80 milliards d’euros en 2025 et 85 milliards d’euros en 2026. In fine, ils vont nous coûter 10 milliards d’euros en plus. Nous payons toujours aujourd’hui les effets néfastes de la réforme des 35 heures.
L’autre source des difficultés économiques dans lesquelles nous nous trouvons actuellement est bien sûr le « quoi qu’il en coûte » qu’Emmanuel Macron a mis en œuvre lors de la crise sanitaire, en 2021 et 2022, et a prolongé ensuite au moment de la crise énergétique entre 2022 et 2023. Et à chaque fois, le gouvernement a été trop généreux. Par exemple, pendant ces périodes, un tiers des restaurateurs ont gagné plus qu’en temps normal en raison des compensations trop importantes. La France a été beaucoup plus généreuse que ses voisins européens, et cela a été une erreur majeure.
Pour résumer, la crise de nos finances publiques résulte des mauvaises décisions prises sous Lionel Jospin, et du « quoi qu’il en coûte » sans contrôle d’Emmanuel Macron.
De quel type de réforme le pays a-t-il besoin pour assainir les comptes publics ? Certains experts parlent de réforme de l’État et de redéfinition de son périmètre d’intervention. Quel est votre regard là-dessus ?
Ces pistes sont effectivement intéressantes. Mais il y a des réformes immédiates qu’il faudrait mettre en œuvre en complément de ce que propose Michel Barnier : celle de l’assurance-chômage que je viens d’évoquer, et une deuxième visant à forfaitiser les allègements de cotisations parce qu’actuellement, ils se calculent en fonction d’un pourcentage du SMIC.
Je propose de forfaitiser les allégements à hauteur de 500 euros jusqu’à deux SMIC. On pourrait d’ailleurs forfaitiser les allégements à 500 euros entre un SMIC et un SMIC et demi et à 400 euros entre un SMIC et demi et deux SMIC. Si on veut vraiment éviter des effets de seuil, on peut mettre en place un forfait de 300 euros par mois entre deux SMIC et deux SMIC et demi. Ensuite, on gèle le forfait en nominal pendant trois ans et on met un terme aux mécanismes d’indexation du SMIC et d’allègements des charges faisant que l’État se retrouve à payer en permanence des sommes qui augmentent sans contrôle.
La forfaitisation que je propose permettrait de rester au niveau actuel de cotisations, mais également de faire entre 5 et 7 milliards d’euros d’économies par rapport au coût actuel des allègements qui s’élève à 75 milliards d’euros, et nous éviterions de passer à 85 milliards en 2026.
Si nous parvenons à redescendre à 70 milliards contre les 85 milliards prévus dans deux ans, nous pouvons économiser 15 milliards. Ainsi, en ajoutant les 15 milliards d’économies sur les allègements de cotisations aux 3 milliards récupérés grâce à la réforme de l’assurance-chômage, nous pouvons atteindre 18 milliards !
Ce sont des économies pérennes de baisses de dépenses qui ont l’avantage d’augmenter l’offre puisque cela encourage les demandeurs d’emploi à revenir plus rapidement sur le marché du travail.
Concernant d’autres chantiers à mettre en œuvre, je pense qu’il faut impérativement réformer le bloc communal et revenir à la réforme territoriale de 2010 de Nicolas Sarkozy avec la création du conseiller territorial unique pour les départements et les régions, en divisant par deux le nombre de conseillers. Cette réforme permettrait d’obtenir une meilleure cohérence d’action entre les départements et les régions.
Les réformes que vous préconisez ne risquent-elles pas de provoquer un mouvement social d’ampleur ?
Je ne crois pas parce que c’est justement au moment précis où tout le monde est « pris à la gorge » avec des hausses d’impôts importantes que l’on peut mettre en œuvre des réformes comme celle de l’assurance-chômage.
Par ailleurs, avec cette mesure, on ne baisse pas les allocations elles-mêmes, on réduit les durées pendant lesquelles elles peuvent être versées. Et on recule de deux ans l’âge à partir duquel un individu peut rester au chômage plus longtemps, de 55 ans à 57 ans. Ce qui est cohérent avec la réforme des retraites qui a repoussé de deux ans l’âge de départ.
Cela étant, en cas d’application de ces réformes, il y aurait quand même des manifestations organisées par les partis de gauche, à commencer par LFI.
Mais nous jouons la survie de la France, alors faisons ces réformes !
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