Dans la cloison en bois d’une masure, des impacts de balles témoignent des affrontements entre narco-trafiquants qui terrorisent Tumaco, port du Pacifique colombien, où des déplacés, déjà victimes de violences du conflit armé, se retrouvent pris entre deux feux.
Un an après la signature de l’accord de paix avec les Farc, visant à clore le chapitre de la plus longue guerre des Amériques, des groupes armés se disputent les anciens fiefs de la guérilla, aujourd’hui reconvertie en parti politique.
« Nous nous sommes jetés à terre. (…) Le bébé hurlant de peur », a raconté à l’AFP Marcia Perea. Une dizaine de balles se sont fichées dans les planches qui séparent la salle commune de la chambre, ont éclaté un cadre, déchiqueté les pieds de chaises en plastique.
Comme tous ses voisins à Ciudad 2000, cette grand-mère de 50 ans ne parle qu’à mots couverts des fusillades opposant les gangs qui sèment la panique dans plusieurs secteurs de Tumaco (Nariño, ouest), dont ce bidonville cerné par la mangrove.
Fuyant le conflit qui déchire le pays depuis les années 1960 et se solde par 7,4 millions victimes de déplacement interne, selon l’ONU, la plupart des habitants ont échoué là, dans ce quartier informel de maisons sur pilotis, reliées par des passerelles précaires qui enjambent les eaux putrides du marécage.
« Tumaco est l’un des épicentres du conflit qui persiste en Colombie », a déclaré à l’AFP Christian Visnes, directeur du Centre norvégien pour les réfugiés (NRC), ONG présente depuis 1991 en Colombie.
Entre Pacifique et frontière de l’Équateur, jungle et mangrove difficiles à contrôler par les forces de l’ordre, cette municipalité d’environ 208.000 habitants, dont plus de 70% au chômage, est un noeud stratégique du narco-trafic vers l’Amérique centrale et les États-Unis.
Tumaco compte la plus grande superficie du pays de cultures de coca, composant de la cocaïne, dont la Colombie est le premier producteur mondial avec 866 tonnes en 2016, selon l’ONU.
La paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) s’est certes traduite « par une diminution des attentats à la grenade », rappelle Jenny Lopez, représentante locale du Défenseur du peuple, entité publique de protection des droits.
Mais la tranquillité n’a pas duré. « Ce qui nous préoccupe beaucoup, c’est la hausse des homicides », souligne-t-elle, déplorant « l’arrivée d’autres organisations illégales qui génèrent cette situation de violence ». Selon M. Visnes du NRC, le Nariño compte aujourd’hui « jusqu’à 15 groupes » armés.
Entre autres atrocités, Mme Lopez évoque le récent assassinat d’un homme auquel « on a coupé la tête, les bras ».
À Ciudad 2000, début octobre, « il y a eu un affrontement d’un quartier contre l’autre (…) de membres d’une organisation contre une autre et 320 familles se sont déplacées », précise-t-elle.
Le mur extérieur d’une autre maison, sur la place poussiéreuse où jouent les enfants, garde aussi le souvenir des fusillades qui ont émaillé tout un weekend, avec des impacts de balles autour de l’inscription: « Bienvenus à Ciudad 2000 ».
Le NRC a dénoncé dans un communiqué « qu’au moins 2.625 personnes ont été obligées d’abandonner leurs foyers entre janvier et octobre 2017 » dans la municipalité de Tumaco.
Faute de structures d’accueil adéquates, ces déplacés, certains de zones rurales, d’autres fuyant d’un quartier de la ville à l’autre, « continuent à souffrir de la peur car les victimes s’installent dans des secteurs informels, où sont aussi présents des groupes armés », ajoute Mme Lopez.
Arnulfo Mina, vicaire du diocèse auquel appartient Tumaco, dénonce pour sa part « qu’en moins de trois mois, on compte déjà plus de 145 morts ».
L’an dernier, avec 152 victimes, le nombre d’homicides à Tumaco avait atteint trois fois la moyenne nationale, soit 74,5 pour 100.000 habitants.
« La coca est le détonnant de cette problématique dans le Pacifique (…) région totalement marginalisée », explique-t-il.
Ce responsable religieux redoute « davantage de difficultés si le gouvernement n’a pas de programme d’investissements sociaux » pour la population, dont 48,7% vit dans la pauvreté et beaucoup sans eau potable.
Connue comme « la perle du Pacifique » du fait de ses plages et paysages côtiers d’une beauté à couper le souffle, Tumaco semble un paradis aux portes de l’enfer. Ou peut-être est-ce l’inverse.
R.B avec AFP
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