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Comment le « pont impossible à construire » a été construit

Dans « Cette semaine dans l'histoire », les citoyens de San Francisco ont choisi de construire le pont impossible à construire et de s'en remettre à un brillant concepteur pour ouvrir la voie
janvier 28, 2025 21:44, Last Updated: janvier 30, 2025 0:40
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Lorsque John A. Roebling a achevé le pont Covington-Cincinnati en 1866, il s’agissait du plus long pont suspendu du monde. Peu après avoir achevé ce pont, qui traversait la rivière Ohio, il a été engagé pour concevoir le pont de Brooklyn. Ce pont devait dépasser d’un tiers la longueur du pont de Covington-Cincinnati. Malheureusement, M. Roebling est mort avant d’assister à la construction du pont à New York, mais son fils, Washington, et sa belle-fille, Emily, ont achevé le projet à sa place.

On peut dire que l’influence de M. Roebling a été le plus fortement ressentie par sa famille immédiate et que son héritage est lié au pont de Brooklyn. Mais environ 25 ans après sa mort, un jeune ingénieur sera influencé par M. Roebling et étendra directement l’héritage du constructeur de ponts suspendus à l’autre bout du pays, à San Francisco.

Avant de recevoir son diplôme de l’université de Cincinnati en 1892, Joseph Strauss s’est retrouvé à l’hôpital pour se remettre d’une maladie. Le président et poète de la classe, qui mesurait 1,60 m, avait été placé dans une chambre d’hôpital avec une vue qui allait changer le cours de sa vie. Par la fenêtre, il pouvait voir le pont Covington-Cincinnati. Cette structure l’a incité à poursuivre une carrière dans la conception de ponts.

Le pont suspendu de John Roebling en 1907 (Domaine public)

Lors de la cérémonie de remise des diplômes à l’université, il a mentionné son objectif de construire une voie ferrée qui traverserait le détroit de Béring. Ses objectifs étaient ambitieux, voire impossibles, mais c’est cette volonté qui l’a amené à créer « le pont impossible à construire ».

L’idée d’un pont s’étendant à travers le détroit du Golden Gate avait été discutée pendant des décennies. Elle avait été évoquée pour la première fois en 1872 par Charles Crocker, le magnat des chemins de fer qui avait fait partie des « Big Four » (Quatre grands) pour fonder la Central Pacific Railroad. (Joshua Norton, le spéculateur de la ruée vers l’or qui a fait faillite et est devenu fou, est également connu pour avoir lancé les premiers appels en faveur du pont en 1869, bien qu’il n’ait guère été pris au sérieux.)

Alors que la population de la région de la baie continuait de croître de manière exponentielle au cours des dernières décennies du XIXe siècle, il semblait impératif de construire un pont sur le détroit. Mais les problèmes auxquels les ingénieurs étaient confrontés étaient nombreux. L’océan Pacifique et ses fortes marées se jetaient directement dans le détroit, sans parler des rafales de vent qui balayaient la côte et du célèbre brouillard de la ville. De plus, la faille de San Andreas s’étendait à onze kilomètres de la côte de la ville, ce qui pouvait provoquer des tremblements de terre dévastateurs, comme les citoyens l’ont découvert en 1906.

Dix ans après le tremblement de terre, la question du pont est à nouveau sérieusement abordée. James H. Wilkins, rédacteur en chef et éditeur d’un journal local, ainsi qu’ancien ingénieur en structures, entame une campagne visant à promouvoir la nécessité de construire le pont.

« En 1872, se souvient-il, j’étais présent lors d’une session des superviseurs de Marin lorsque Charles Crocker a expliqué ses plans, parmi lesquels figurait un pont suspendu traversant le Golden Gate. Les plans détaillés et les devis d’un tel pont avaient été réalisés par les ingénieurs de la Central Pacific. »

Mais ceci datait de près de 50 ans, de nouvelles estimations étaient donc nécessaires. La campagne de M. Wilkins a attiré l’attention de Michael M. O’Shaughnessy, l’ingénieur de la ville de San Francisco. M. O’Shaughnessy a commencé à demander l’avis des ingénieurs. Leurs avis n’étaient pas positifs. Le coût de 100 millions de dollars était prohibitif.

Sonder le détroit

L’intérêt pour le pont ne faiblissait pas, même s’il s’est atténué pendant la Première Guerre mondiale, car le pays s’était engagé peu après que M. Wilkins a commencé sa campagne. Vers la fin de l’année 1918, l’intérêt reprend. Richard Welch, membre du conseil des superviseurs de San Francisco, a demandé au Congrès d’autoriser une étude fédérale du détroit, plus précisément entre le parc Presidio, situé à l’extrémité nord de la péninsule de San Francisco, et la péninsule de Marin, sur le côté nord du détroit.

Le Congrès a accédé à cette demande et l’USS Natoma, de l’United States Coast and Geodetic Survey (Service des côtes et de la géodésie des États-Unis) a effectué des sondages dans la région à la fin du mois de mai 1920 et a présenté son rapport.

Le navire Natoma de l’United States Coast and Geodetic Survey (Service des côtes et de la géodésie des États-Unis) (Domaine public)

Le rapport a été soumis à M. O’Shaughnessy, qui a ensuite contacté trois constructeurs de ponts renommés : Francis McMath, Gustav Lindenthal et Joseph Strauss. Dans la lettre qu’il leur a adressée, il a écrit : « Tout le monde dit que c’est impossible et que cela coûterait plus de 100 millions de dollars américains si c’était possible. »

M. Lindenthal a répondu par un devis de 50 à 60 millions de dollars. M. McGrath n’a pas répondu. M. Strauss, après s’être entretenu avec M. O’Shaughnessy, a suggéré que le projet pourrait être réalisé pour un montant d’environ 25 millions de dollars.

Joseph Strauss, les comtés et le ministère de la Guerre

Statue de l’ingénieur Joseph B. Strauss, devant le pont du Golden Gate (Blanscape/Shutterstock)

À cette époque, M. Strauss était déjà devenu l’un des principaux constructeurs de ponts du pays. Il avait commencé sa carrière comme dessinateur pour la New Jersey Steel and Iron Company, puis pour la Lassig Bridge and Iron Works Company de Chicago. Il travaillait alors avec Ralph Modjeski, sans doute le plus grand constructeur de ponts d’Amérique. Cependant, M. Strauss souhaitait poursuivre la construction de ponts basculants, qui sont des ponts-levis. En 1904, il fonde la Strauss Bascule Bridge Company, qui construira environ 400 ponts.

Compte tenu de sa réputation, il était évident que M. Strauss savait quelque chose que les autres ignoraient. M. Strauss a été engagé, mais le processus ne faisait que commencer et la construction ne devait être lancée que plus de dix ans plus tard.

Des institutions ont été créées, comme l’Association of Bridging the Gate, qui regroupait des représentants des comtés environnants. Leur objectif était de s’assurer que tous les comtés étaient favorables à la construction du pont et d’obtenir l’autorisation de la législature de l’État pour créer un district légal, qui gérerait l’ensemble du processus de construction et d’entretien du pont et de la route. En mai 1923, le Congrès de l’État adopte le Golden Gate Bridge and Highway District Act of California, autorisant l’Association à créer le district susmentionné, qui voit le jour en décembre 1928.

Le district devait contrôler le projet, mais le parc Presidio était un avant-poste de l’armée américaine et relevait donc de la juridiction du ministère de la Guerre. En fait, les deux côtés des emplacements proposés pour le pont relevaient de la juridiction du ministère, et pour que la construction puisse avoir lieu, le district devait obtenir un permis délivré par le gouvernement fédéral. Le ministère de la Guerre se demandait si le pont n’entraverait pas la navigation et la logistique, et s’il ne risquait pas de devenir un obstacle s’il venait à être détruit. La veille de Noël 1924, le secrétaire à la Guerre John Weeks a délivré un permis temporaire.

Les représentants des comtés de Del Norte, Marin, San Francisco, Sonoma et de certaines parties des comtés de Mendocino et Napa ont formé le nouveau Golden Gate Bridge and Highway District, dont Joseph Strauss était l’ingénieur en chef. M. Strauss était déterminé à construire « le plus grand ouvrage de ce type qu’un homme puisse construire » et, au fur et à mesure que les questions préliminaires se mettaient en place, il allait bientôt en avoir l’occasion.

Changement de plans

M.Strauss intègre à son équipe Charles Ellis, professeur d’ingénierie des structures et des ponts à l’université de l’Illinois, pour mettre à jour les plans de conception et garantir l’intégrité structurelle. Cette relation a fini par s’envenimer, au point que M. Strauss a démis M. Ellis de ses fonctions. Il n’a pas non plus été crédité par M. Strauss pour ses contributions.

Cependant, avant ces déboires relationnels, M. Ellis a joué un rôle essentiel dans le développement du pont et M. Strauss s’est beaucoup appuyé sur lui. Avec Leon Moisseiff, qui avait conçu le pont de Manhattan, il a fourni des rapports sur leurs préoccupations concernant le pont à poutres en porte-à-faux et à suspension proposé par M. Strauss. Il semble que ce soit au cours de l’été 1929 que M. Strauss a décidé de renoncer à son pont à poutres en porte-à-faux et à suspension en faveur d’un pont suspendu.

Le projet du Golden Gate semblait sur le point d’être lancé, mais une nouvelle catastrophe a mis le projet en attente. Rappelant les décennies passées, comme le tremblement de terre de 1906 et la Première Guerre mondiale, la bourse s’est effondrée le 29 octobre 1929, plongeant finalement le pays dans la Grande Dépression. Les permis et les plans étaient une chose, mais le soutien de la population à un projet aussi coûteux en était une autre. Le district a décidé de faire voter la population.

La construction du pont s’était heurtée, pour diverses raisons, à l’opposition d’écologistes et d’exploitants de traversiers, ainsi qu’à celle d’ingénieurs qui estimaient le projet irréalisable. Le district a soumis aux électeurs l’émission d’un emprunt obligataire de 35 millions de dollars. Cette obligation exigeait des habitants qu’ils utilisent leurs entreprises, leurs fermes et leurs maisons comme garantie. Malgré le grand risque personnel qu’elle impliquait, l’obligation a été votée avec une écrasante majorité le 4 novembre 1930, par 145.057 voix contre 46.952 voix.

En moyenne, à l’époque, un accident mortel était recensé pour chaque million de dollars qui était dépensé sur un chantier de cette envergure. À 35 millions de dollars, le district pouvait s’attendre à environ 35 décès liés au travail. M. Strauss souhaitait toutefois inverser cette tendance. Avant le début de la construction, il avait mis en place de nouvelles mesures de sécurité et de nouveaux équipements, notamment des lunettes antireflets et des casques de protection obligatoires, semblables à ceux portés par les mineurs. De plus, au cours des dernières étapes de la construction du pont, il a dépensé 130.000 dollars pour placer un immense filet de sécurité qui pourrait recevoir à la fois les ouvriers maladroits ou malchanceux, et d’éventuels objets qui seraient tombés pendant la construction. Au total, ce filet a sauvé la vie de 19 hommes, qui s’autoproclamaient membres du « Halfway-to-Hell Club » (Club du mi-chemin vers l’enfer). Onze hommes sont morts au cours des quatre années qu’a duré le projet, dont dix lors d’un seul accident, lorsqu’une pièce d’échafaudage de cinq tonnes est tombée dans l’eau à travers le filet.

La Grande Dépression battait son plein au moment où la construction a démarré, les hommes ne manquaient pas pour participer à ce projet d’envergure, d’autant plus que les salaires versés par les syndicats dépassaient de loin ceux que l’on pouvait trouver ailleurs. Le 22 décembre 1932, les ouvriers ont commencé à construire une route d’accès de 520 mètres vers l’ancrage marin du pont.

Photographie du pont du Golden Gate en construction, vers 1934, par Chas. M. Hiller. Bibliothèque du Congrès. (Domaine public)

C’est au cours de cette semaine de l’histoire, le 5 janvier 1933, que la construction du pont suspendu, qui allait devenir célèbre sous le nom du pont du Golden Gate, a commencé. La première partie du projet consistait à enlever plus de 92.000 mètres cubes de terre pour les deux ancrages du pont. Sans compter ces ancrages, le pont devait peser environ 380.000 tonnes. Son point culminant au-dessus de l’eau atteindrait 227 mètres et, avec sa célèbre couleur « orange international », il était visible même par temps de brouillard. Le pont était suspendu par 27.572 câbles d’acier, assez longs pour faire plus de trois fois le tour du monde. Et, rappelant l’inspiration initiale de M. Roebling et sa détermination personnelle, le pont de M. Strauss a conservé le titre du plus long pont suspendu du monde pendant 27 ans après l’achèvement des travaux de construction le 27 mai 1937.

Le pont du Golden Gate (Trevor Piper/Epoch Times)
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