Comment construire les avions de demain ? Avec des Lego tout simplement. Nous ne parlons pas ici des célèbres briques que vous allez offrir à vos enfants pour Noël mais d’une technique de modélisation informatique permettant de minimiser la quantité de matière nécessaire à la construction d’une structure tout en respectant le cahier des charges de robustesse et de solidité.
Mon équipe de recherche au sein de l’Institut Clément Ader (ICA, UMR CNRS 5312) explore cette voie aux côtés d’AIRBUS pour la construction des mâts-réacteurs de demain. Prenons l’exemple de la figure ci-dessous (un bon croquis vaut mieux qu’un long discours).
Cette vidéo illustre les résultats de l’optimisation sur la structure en « forme de L ». Les petites boîtes sont les éléments structuraux (les fameux Lego ou plus scientifiquement Poutres d’Euler-Bernoulli). En quelques secondes, un ordinateur de bureau permet de donner le concept innovant de manière explicite. La structure optimale s’agence automatiquement au cours des itérations en fonction des conditions aux limites et des forces extérieures pour ne former la structure idéale (pour un ingénieur en mécanique) qu’à la toute dernière itération. L’objectif est atteint : la structure est très rigide…
Quelques chercheurs autour du monde tentent aussi de résoudre ce problème de reconnaissance d’éléments structuraux pour des structures plus complexes. En règle générale, plus on a d’éléments structuraux, plus le problème d’optimisation est grand et difficile à résoudre. Ce phénomène est appelé le fléau de la dimension (en anglais, curse of dimensionality). Lorsque le nombre de variables d’un problème d’optimisation grandit (il faut imaginer des millions de variables) alors le coût pour résoudre le problème explose de façon exponentielle. Dans cette situation les résultats d’optimisation seront faussés. L’équipe du professeur Guo en Chine (Dalian University of Technology) a développé une des techniques d’optimisation topologique explicite les plus abouties. Elle est intitulée moving morphable components (MMC), que l’on peut traduire par « éléments structuraux transformables ».
Il s’agit là aussi de reconnaître le meilleur assemblage possible de Lego (appelé ici éléments structuraux de type poutre par exemple) maximisant la rigidité tout en allégeant la structure. Le problème d’optimisation est lui aussi transformé. On retourne dans le monde continue avec cette fois-ci beaucoup moins de variables. On exprime explicitement les quelques éléments constituant la structure. Ceux-ci s’allongent, se dilatent et s’agencent automatiquement pour former la structure idéale.
Chalet enneigé et optimisation topologique
Imaginer un monde de 0 ou de 1. Un monde de variables discrètes. Non, en fait on y vit déjà mais en calcul de structures on appelle cela l’optimisation topologique. Cela revient à placer de la matière là où il y en a besoin pour que la structure résiste aux différents chargements (penser au toit d’un chalet à la montagne, devant résister à la neige qui s’y accumule).
Formuler autrement on va placer des 0 (le vide) et des 1 (de la matière) sur un quadrillage (appelé maillage) afin de minimiser une quantité appelée souplesse (qui n’est autre que l’inverse d’une rigidité reliant les déplacements aux chargements et vice versa) tout en respectant une contrainte (au sens mathématique, pas mécanique) de gain en masse.
Ce problème fort discret (des 0 ou des 1) fait actuellement beaucoup de bruit. Récemment dans Nature l’équipe du professeur Sigmund a utilisé des supercalculateurs pour optimiser les structures internes d’une aile d’avion en utilisant un code de calcul de simulation haute performance.
Le résultat appelé « giga-voxel computational morphogenesis » met en évidence des détails structuraux 3 000 fois plus petits que les plus grands éléments structuraux sur un maillage comportant 141 millions de petits voxels (la version 3D des pixels).
Le traditionnel caisson formé de longerons et nervures est remplacé par une version plus naturelle, une sorte de squelette avec de tout petits ossements.
Le gain en masse associé à ce design est de l’ordre de 5 %, quantité non négligeable lorsque l’on réfléchit « globalement » en termes de bilan écologique. La méthode de l’équipe du professeur Sigmund utilise une astucieuse méthode d’homogénéisation avec facteur de pénalisation permettant de rendre le problème continue, cassant ainsi la combinatoire impossible à traiter à cette dimension. En effet le problème original est purement discret. Un problème d’optimisation topologique utilise des variables discrètes du type 0/1 (vide ou matière en chaque point d’espace). On le transforme ainsi en un nouveau problème d’optimisation où la variable est la densité de matière (parcours l’intervalle complet [0,1]). Le problème d’optimisation devient ainsi continu et plus facile à résoudre.
C’est là tout l’art de cette méthode qui la rend plutôt sympathique. Pour les ingénieurs il reste cependant un côté obscur : les structures optimisées ont un rendu « en marche… d’escalier » qui doit être lissé.
Ils n’ont donc pas fini leur travail. Il faut encore à partir de tout ces 0 et 1, identifier des éléments de structures continues… C’est la force des méthodes explicites citées plus haut…
Des ailes d’avion en champignon ?
C’est une autre histoire mais une piste possible pour élaborer les structures d’avion du futur.
Les cloisons bioniques développées par les algorithmes de conception générative de l’éditeur de logiciel Autodesk amène à des structures 45 % plus légères. Pour le cadre on s’inspire des schémas de croissance des myxomycètes, organismes monocellulaires capables de se fixer simultanément en plusieurs points avec une efficacité surprenante. L’algorithme dimensionnant le bloc interne de la cloison est basé lui sur des structures quadrillées que l’on retrouve dans la croissance osseuse des mammifères.
Ces microstructures si performantes doivent beaucoup au formalisme mathématique développé depuis 20 ans, en France, par l’équipe du Professeur Grégoire Allaire (CMAP, Polytechnique).
De récents travaux communs avec le professeur de l’INP Grenoble Yves Bréchet ouvrent aussi d’ailleurs à la conception optimisée de microstructures multimatériaux. Bien sûr le biomimetisme structural si cher à Yves Bréchet est aujourd’hui un point de convergence fort entre chercheurs et industriels.
Ceci prouve à nouveau que nos meilleurs chercheurs et ingénieurs ne peuvent que s’approcher de la perfection de la nature et que les recherches d’optimisation seront toujours perfectibles grâce aux nouveaux supercalculateurs, mais surtout grâce à un des miracles de l’évolution : leur cerveau !
Joseph Morlier, Professeur en optimisation de structures et multidisciplinaire, ISAE-SUPAERO
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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