Tête en bas, des centaines de chauves-souris sont pendues à , l’une des îles d’une réserve naturelle ivoirienne dans une lagune proche du Ghana, que la Côte d’Ivoire aimerait voir entrer au Patrimoine mondial. Certaines de ces « roussettes de palmiers » grimpent de manière pataude sur les troncs d’arbre à l’aide des pinces situées à l’extrémité de leurs ailes. Soudain, des nuées de chauves-souris, dont de nombreuses avec leur bébé accroché au ventre, s’envolent en poussant des cris stridents, dérangées par le bruit du garde forestier.
Les hommes les laissent généralement tranquilles: les habitants de la région estiment que ces animaux ont un lien avec les esprits de leurs parents décédés. Balouaté est l’une des six petites îles Ehotilé, une réserve qui se trouve dans la lagune d’Aby (sud-est) située à la frontière avec le Ghana, près de la station balnéaire huppée d’Assinie. L’archipel compte un peu plus de 30.000 habitants. Les autorités ivoiriennes espèrent que cette réserve et ses mangroves, classées Site Ramsar (Convention internationale sur les zones humides) depuis 2005, seront inscrites un jour sur la Liste du Patrimoine mondial par l’Unesco.
Lors du dernier conseil des ministres, le gouvernement ivoirien a agrandi la surface protégée à 720 hectares, contre 550 hectares jusque-là. « On a créé une zone d’exclusion à 25 m du rivage de chaque île pour éviter que les pêcheurs ne viennent trop près des palétuviers », souligne le colonel Adama Tondossama, directeur de l’Office ivoirien des Parcs et Réserves (OIPR), qui compte organiser une campagne de sensibilisation pour informer les populations.
Les îles Ehotilé ont longtemps été une zone d’affrontements entre différentes ethnies de la région, mais aussi entre Français et Hollandais. L’origine du nom et la signification du mot « Ehotilé » sont controversés. Les explications varient selon qu’on « veuille donner une image héroïque ou péjorative au peuple (local) face à l’envahissement des Agnis », un peuple d’Afrique de l’Ouest, explique Yao Saturnin Davy Akaffou, anthropologue à l’université Houphouët-Boigny.
« Mais Ehotilé semble signifier ceux qui ont perdu la tête, pour qualifier ce peuple devenu esclave, battu à la guerre », dit-il. Sur la même île de Balouaté, deux canons qui datent de Louis XIV croupissent dans une mare boueuse. L’OIPR tente de trouver des fonds pour les restaurer et les exposer, explique le sergent Tahirou Silue tandis qu’un grand varan disparaît dans la mangrove. Les canons étaient la propriété de la Compagnie de Guinée, créée par Louis XIV et qui s’adonnait à la traite négrière.
De cette époque date une histoire originale, entre faits réels et légende: lors du passage d’un bateau français, Aniaba, un prince Ehotilé, est envoyé en France où il réussit à tirer son épingle du jeu à la Cour du roi Soleil. Il embrasse alors la religion catholique et est baptisé par Bossuet en personne, célèbre homme d’Eglise et écrivain de la cour de Louis XIV.
« Par permission expresse de monseigneur l’archevêque a été baptisé en la chapelle du séminaire des Missions étrangères Louis Jean Aniaba, âgé d’environ vingt ans, fils du roy d’Issigny (Assinie) en Guinée, en Afrique. Au nom et par ordre du roy, ledit baptême a été célébré en présence du curé de cette paroisse par l’évêque de Meaux (Bossuet) », selon l’acte de baptême cité par Henriette Diabaté dans « Aniaba, un Assinien à la Cour du roi Soleil ».
Il hérite même de la charge honorifique mais lucrative d’officier dans le régiment du roi. Il s’agit là du « premier officier noir de l’armée française », estime Frédéric Couderc dans son roman Prince Ébène. Apparemment la France, qui surestime la richesse de la Côte d’Or, fait alors revenir Aniaba dans le but de le faire devenir roi et de commercer en sa faveur. L’entreprise échouera et Aniaba sera délaissé par les Français et même soupçonné de s’être allié avec les Hollandais…
Loin des querelles historiques, la réserve des îles Ehotilé est aujourd’hui un havre pour plus de 100 espèces d’oiseaux différentes. « C’est une zone riche en oiseaux et animaux mais aussi pour la botanique… », explique le sergent Tahirou Silue qui évoque civettes, crocodiles et potamochères. Il regrette la disparition récente des lamantins: « Il y en avait encore il y a quelques années. »
Sur une île voisine de Balouaté, des milliers et des milliers de petits crabes ainsi que des criquets font le bonheur d’aigrettes, hérons et cigognes alors que martins-pêcheurs, guêpiers ou tisserins volent à droite et à gauche. Le sergent connaît chaque recoin de cinq îles qu’il surveille et fait visiter. Mais la sixième île, Bosson Assoun, conserve son mystère: c’est une île sacrée et seuls les initiés peuvent s’y rendre, explique-t-il. « Même nous, nous n’avons pas le droit! »
DC avec AFP
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