Une France submergée par le narcotrafic : c’est le tableau brossé par une commission d’enquête sénatoriale, qui a proposé mardi la création d’un parquet anti-stups et d’une « DEA à la française », étrillant l’exécutif qui n’a pas pris la mesure de « l’ampleur de la menace ».
Le rapport des sénateurs pose ce constat : un trafic qui s’étend sur l’intégralité du territoire national façon « start-stups nation » – ubérisation du trafic –, avec des zones rebond aux Antilles et une flambée de la violence liée à la concurrence entre les organisations criminelles. « On n’est pas encore un narco-État », a balayé d’entrée le président de la commission d’enquête Jérôme Durain (PS).
Dans leur rapport, les membres de la commission d’enquête ont pourtant étrillé la gestion de l’exécutif, qui n’a pas pris selon eux la juste mesure du narcotrafic, notamment dans le plan antidrogue que le gouvernement doit présenter prochainement.
« On l’a jugé famélique, indigent. Cela semble évoquer que la question du narcotrafic n’a pas été jugée à sa juste mesure par l’exécutif », a affirmé le rapporteur Étienne Blanc (LR).
« Les magistrats ont expliqué que la complexité du code de procédure pénale présentait un certain nombre de failles qui faisaient tomber toute une procédure », a souligné M. Blanc, évoquant par ailleurs les manques « criants de moyens humains, techniques et juridiques ».
Dossier « coffre »
Les sénateurs proposent une série de recommandations afin de faciliter le recours aux « repentis », mettre la procédure pénale à la hauteur des enjeux en créant un dossier « coffre » (contenant les éléments sur les techniques utilisées par la police qui ne seraient pas divulgués à la défense, ndlr) et en facilitant le recours aux techniques spéciales d’enquête.
« Nous proposons la création d’un parquet national anti-stupéfiants (Pnast), sur le modèle du PNF (parquet financier) ou du Pnat (parquet anti terroriste), qui permettra de spécialiser et d’incarner la lutte contre le narcotrafic, avec pour compétence de s’intéresser au ‘haut du spectre’ », a détaillé Jérôme Durain.
« Corollaire de cette organisation, côté répressif, il faut renforcer l’Ofast créé en 2019, chef de file de la lutte anti-stup mais qui aujourd’hui ne l’est qu’en titre », a poursuivi le président de la commission. « Nous avons l’ambition, a-t-il dit, de faire de l’Ofast une DEA à la française. Cela implique une véritable autorité sur les enquêtes et les moyens alloués ». La Drug Enforcement Administration (DEA) est une agence fédérale américaine, créée au début des années 70 et chargée de la lutte contre le trafic des drogues aux États-Unis.
Des opérations « places nettes » aux résultats « modestes »
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, ainsi que les patrons de la police et de la gendarmerie Frédéric Veaux et Christian Rodriguez avaient rejeté cette suggestion devant la commission, estimant que l’Ofast était « le bon outil ». Dans son rapport, la commission s’est aussi montrée critique sur le bilan des opérations « places nettes » et « places nettes XXL » au regard des moyens considérables déployés. « Elles sont utiles mais les résultats sont modestes. »
La commission a insisté sur l’importance de taper les trafiquants au porte-monnaie. Étienne Blanc a rappelé que le chiffre d’affaires du trafic de drogue en France représentait « entre 3 et 6 milliards d’euros » par an. Mais, a-t-il ajouté, seulement 100 millions d’euros sont saisis ».
Sur ce volet, la commission suggère de rendre « systématiques les enquêtes patrimoniales dans toutes les enquêtes ». Elle propose en outre que « les commerces de façade » qui servent à blanchir l’argent de la drogue fassent « l’objet de fermetures administratives ».
« Une augmentation de la corruption »
Autre proposition : la création d’une « injonction pour richesse inexpliquée » quand « un réseau tombe ». Il faut demander « aux trafiquants comment ils ont constitué leurs avoirs et s’ils n’y parviennent pas, ils s’exposent à la saisie ou la confiscation », a développé M. Blanc.
Enfin, les deux sénateurs ont insisté sur la lutte contre la corruption, qui prend la forme de la consultation de fichiers de police, d’achat de services auprès des dockers, etc. « Il est temps de réagir avant de connaître le même sort que les pays voisins, a estimé Jérôme Durain, pour qui « le risque est immense ». « Il n’y a pas de corruption de basse intensité. »
« Aucune profession n’est épargnée : dès lors que les trafiquants offrent des sommes extrêmement élevées, certains personnels peuvent céder, à un moment donné, à l’appel de ces sirènes criminelles », soulignait fin novembre Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l’Ofast.
« Chaque personne a un prix et les moyens de ces réseaux sont quasiment illimités. Oui, on constate une augmentation de la corruption », affirmait pour sa part le procureur de la République à Marseille Nicolas Bessone.
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