Il n’a fallu que quelques instants à un porte-conteneurs de 95.000 tonnes, d’une longueur équivalente à trois terrains de football et chargé de 262.000 tonnes de marchandises, pour percuter et faire tomber des sections du pont Francis Scott de Baltimore, mais il pourrait falloir des années, voire des décennies, pour établir les responsabilités et accorder des indemnités d’assurance.
En fait, selon Grady S. Hurley, avocat maritime au cabinet Jones Walker LLP, basé à la Nouvelle-Orléans, « il faudra des semaines, voire des mois », simplement pour déterminer l’étendue des dommages, sans parler de savoir qui ou quoi est responsable de l’allision.
Il faudra un certain temps « avant que l’ensemble des assurances ne soient démêlées, en ce sens qu’il existe différents types de sinistres, différents niveaux de couverture, et tout comme [les médias] posent des questions, les assureurs posent également des questions pour lesquelles il n’y a pas de réponses simples ou immédiates », a-t-il déclaré.
M. Hurley est le vice-président élu de l’Association de droit maritime des États-Unis et s’est entretenu avec Epoch Times afin de fournir des informations générales sur le déroulement de la procédure judiciaire relative aux questions de droit maritime et aux réclamations d’assurance.
« Il serait irresponsable de parler de détails. Ce n’est pas juste pour qui que ce soit » à ce stade, a-t-il déclaré. Face à cette situation, les avocats suivent toujours le processus et la procédure pour représenter « à la fois l’assuré et les intérêts de l’assurance ».
« Ils rassemblent des faits et des informations et il s’agit d’un ensemble de faits très complexes, même si vous dites ‘Oh, c’est très simple. Il y a eu une allision » – qui commence par un « a » au lieu d’une collision qui commence par un « c » – et ça devrait être aussi simple que ça. Mais en droit maritime, ce n’est jamais simple du fait de tous les intérêts en jeu ».
Pour toutes les parties concernées, a souligné M. Hurley, « l’accent est mis aujourd’hui sur l’intervention et le rétablissement ».
« La première chose à faire est toujours de s’occuper des gens. Et comme vous l’avez vu, que ce soit dans les journaux ou ailleurs, des missions de sauvetage sont organisées en cas de décès, tout en reconnaissant que des personnes, des biens et des communautés sont impliqués. »
Une fois la phase initiale de choc et de rétablissement passée, les avocats prennent le relais. « Il faut considérer cette affaire comme un jeu d’échecs multidimensionnel où différents intérêts s’affrontent à différents niveaux », a-t-il ajouté.
À l’heure actuelle, on ne sait pas vraiment comment le cargo, le Dali, a perdu de la puissance et a percuté le pont, a expliqué M. Hurley.
« Il y a plus de spéculations que de faits pour le moment. Les gens doivent prendre une grande respiration, évaluer la situation et établir des priorités entre toutes les parties intéressées », a-t-il affirmé avant de dresser la liste des responsabilités et des pertes qui pourraient finalement être prises en compte pour déterminer qui paie qui pour quoi.
« Vous avez l’autorité portuaire, qui réfléchit à l’impact sur le commerce avec toutes les alternatives au transport intermodal« , a poursuivi M. Hurley.
Selon Loretta Worters, porte-parole de l’Insurance Information Institute, de nombreuses parties, non seulement dans le port de Baltimore, mais aussi dans le monde entier, et en particulier au Sri Lanka, où le navire se rendait, présenteront des demandes d’indemnisation au titre de l’assurance contre les pertes d’exploitation.
Ces demandes feront référence à des « problèmes de chaîne d’approvisionnement ». « La destruction du pont, la perte de la cargaison, les problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement et d’autres demandes d’indemnisation impliqueront plusieurs assureurs et réassureurs », a-t-elle déclaré. « L’enquête déterminera la cause du sinistre, et ses résultats entraîneront des questions juridiques. Tout cela va prendre beaucoup de temps ».
Ensuite, « vous avez le Corps des ingénieurs et l’État qui déterminent quels sont les dommages causés par le blocage des voies navigables et ce qu’il faut faire pour y remédier ». a indiqué M. Hurley.
Le simple fait de faire le tri entre les parties impliquées prendra du temps. Le Dali appartient à un groupe basé à Singapour, Grace Ocean Pte. Ltd, qui appartient à un groupe basé à Hong Kong, et qui transportait des marchandises pour la compagnie maritime danoise Maersk, selon Reuters. Le navire était exploité par Synergy Marine Group, également basé à Singapour.
En réponse à l’allision, le président Joe Biden a déclaré qu’il demanderait au Congrès de fournir tous les fonds nécessaires pour remettre le pont en état le plus rapidement possible.
« Je pense que le président voulait dire qu’il ne souhaitait pas retarder la construction du pont. Il ira de l’avant et demandera l’argent au Congrès pour financer intégralement la construction du pont, et nous réglerons probablement cela plus tard avec la réassurance », a souligné Mme Worters. Mais on ignore comment fonctionnera ce processus auprès des réassureurs. iSelon elle, il essaie d’accélérer les choses, mais elle n’est pas sûre qui en définitive paiera quoi et quand ça se produira. »
Ensuite, il y a les réclamations pour dommages corporels et matériels, et « lorsque des intérêts de cargaison sont en jeu », la « réclamation d’avarie commune », a expliqué M. Hurley, qui est un processus de responsabilité en vertu du droit maritime qui rend généralement les propriétaires de cargaison, et non les transporteurs maritimes, responsables de la perte ou des dommages causés à la cargaison et au navire lui-même.
Ce n’est peut-être pas le cas pour le Dali qui a percuté le pont Francis Scott Key.
« Ce sera probablement la compagnie maritime » qui pourrait être mise en cause, « mais tout dépendra des conclusions de l’enquête », a précisé Mme Worters. « Ce sera une affaire très complexe, évidemment, donc il y a un grand nombre d’éléments qui entrent en jeu. »
Les compagnies de réassurance, qui fournissent essentiellement une assurance aux compagnies d’assurance, « supporteront la majeure partie du coût de l’effondrement du pont », a-t-elle ajouté. « Il y aura une couverture de responsabilité pour la plupart des navires, donc tout dépendra des décisions juridiques. Mais c’est ainsi que les choses se présentent : les réassureurs supporteront la majeure partie du coût engendré par l’effondrement du pont. »
Selon elle, la responsabilité de l’« avarie commune » n’est pas automatiquement engagée lorsqu’il est prouvé qu’une erreur humaine a été commise par l’équipage ou les propriétaires du navire.
« Les personnes qui ont une cargaison sur ce navire ne seront pas responsables des dommages », a déclaré Mme Worters, précisant que la responsabilité sera établie « là où se trouve la négligence ».
« Ce serait le propriétaire du navire qui vraisemblablement aurait la responsabilité. »
Selon M. Hurley, ce cas de figure pourrait compliquer davantage les décisions en matière de droit et d’assurance.
« Les armateurs se demandent s’ils vont ou non intenter une action en limitation de responsabilité », a-t-il rappelé. Il y a aussi des avocats représentant des particuliers et des entreprises qui se demandent : « Quand dois-je intenter une action ? Où dois-je le faire ? Car les avocats réfléchissent toujours à la forme et à la juridiction qui pourraient permettre de résoudre les litiges le plus efficacement possible et, selon certains, dans un sens favorable à leurs intérêts. »
Il s’attend à ce que la Garde côtière participe à une enquête du Conseil national de la sécurité des transports (NTSB), ainsi que toutes les parties intéressées, pour déterminer les responsabilités des assureurs.
Le NTSB (National Transportation Safety Board) a en effet ouvert une enquête sur l’accident. La présidente du NTSB, Jennifer Homendy, a annoncé l’ouverture de l’enquête depuis Baltimore mardi en début d’après-midi.
L’équipe d’enquête, composée de 24 membres, a immédiatement recueilli des informations, notamment des données sur les opérations du navire, ses antécédents en matière de sécurité, son dossier de sécurité et son opérateur.
« Nous avons ici un expert en performance humaine. Nous avons une équipe d’ingénieurs. Nous avons des facteurs de survie. Et puis nous avons une équipe qui s’occupe des enregistreurs », a-t-elle poursuivi, faisant référence aux enregistreurs de voix et de données présents à bord du navire.
« Au fur et à mesure que les différents dommages et réclamations seront identifiés », a poursuivi M. Hurley, « ils déclencheront diverses couvertures d’assurance et les souscripteurs examineront leurs polices, leurs manifestes ou les règles de leur club afin de déterminer l’étendue de la couverture. »
En fin de compte, a-t-il ajouté, les nombreux procès que l’allision engendrera seront probablement « regroupés, sous forme d’un tribunal fédéral, pour traiter tous les intérêts en présence ».
M. Hurley a déclaré que la procédure devrait se dérouler « comme lors de l’incident du Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique, où des pertes de vies humaines ont été enregistrées et où les intérêts des navires et de la communauté ont été regroupés devant un juge du tribunal fédéral qui a ensuite mis en place une procédure ordonnée afin de traiter toutes les demandes et tous les intérêts et de proposer un forum permettant aux gens de travailler rationnellement sur toutes les questions ».
Deepwater Horizon a donné lieu à des poursuites pénales en vertu de la loi sur la propreté de l’eau (Clean Water Act), entraînant la plus importante sanction pénale infligée à une seule entité de l’histoire des États-Unis. BP (British Petroleum) a plaidé coupable pour la marée noire d’avril 2010 à la fin de l’année 2012 et s’est vu infliger une amende de 4 milliards de dollars.
Il est possible qu’aucune responsabilité pénale ne soit engagée dans l’accident du Dali sur le pont Francis Scott Key, qui, selon certains, dont le magazine Insurance Insider, pourrait être « l’un des plus grands sinistres » de l’histoire des infrastructures maritimes. D’autres affirment que le prix à payer pourrait dépasser les 1,5 milliard de dollars versés par les assureurs pour l’accident du Costa Concordia, un navire de croisière, qui avait heurté une corniche sous-marine en mer Méditerranée en 2012.
Toute estimation des dommages à ce stade relève de la spéculation, ont convenu M. Hurley et Mme Worters.
« Il faut tenir compte d’un grand nombre de facteurs. Le prix du métal, par exemple. Différentes choses voient leur prix augmenter aujourd’hui. [Le pont] a été construit en 1977, donc reconstruire un pont coûtera beaucoup plus cher aujourd’hui qu’il y a 50 ans. »
Certains ont déjà des coupables en vue: un système mondial de transport maritime qui encourage des navires gigantesques soumis à des délais serrés à aller vite et à se poser des questions sur la sécurité après coup.
« Alors que nous attendons une enquête officielle du NTSB, nous nous remémorons sobrement l’expression cruelle de notre industrie : ‘les règles sont écrites dans le sang' », a déclaré la Marine Engineers’ Beneficial Association (association de protection des ingénieurs maritimes) dans un communiqué.
« Cet incident malheureux met en évidence la nécessité de disposer de normes de sécurité strictes dans l’industrie maritime mondiale, qui ne sont pas à la hauteur de celles appliquées dans la marine marchande des États-Unis », a déclaré la Commission. « Alors que nous continuons à en apprendre davantage sur ce qui s’est passé en ce jour tragique, tous les exploitants de navires du monde entier doivent prévenir les accidents futurs causés par des normes de travail et d’exploitation médiocres qui utilisent des équipages réduits pour faire du profit au détriment de la vie humaine et de la sécurité. »
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