Les marais d’Irak, asséchés par Saddam Hussein, se sont depuis refait une santé et attirent de nouveau des visiteurs friands de balades en barque en pleine nature, misant sur l’écotourisme pour redevenir le jardin d’Eden de Mésopotamie.
Devant une maison flottante faite de roseaux et de palmes de dattiers, un barbecue dégage un doux fumet de poisson grillé. Sur les flots, glissent des barques plates transportant couples ou bandes d’amis pour une promenade au son des percussions ou de mélopées chantées par les bateliers. « Je ne pensais pas trouver un endroit aussi beau et une telle étendue d’eau en Irak », où le désert couvre près de la moitié du territoire, s’extasie Habib al-Jourani, un Irakien expatrié depuis des décennies aux Etats-Unis.
« Pour beaucoup de gens, l’Irak c’est seulement les violences et le terrorisme », poursuit-il, « mais il y a des endroits merveilleux » dans un pays qui compte cinq sites inscrits par l’Unesco au Patrimoine mondial. Entre les fleuves Tigre et Euphrate, les marais du sud de l’Irak, un des plus grands deltas intérieurs du monde, ont été classés au patrimoine de l’humanité en 2016 pour leur biodiversité et leur richesse historique remontant à l’Antiquité.
En surface, rien ne semble avoir changé depuis 5.000 ans dans cette étendue paisible de verdure et d’eau au nord-ouest de Bassora. C’est là que se trouvait, selon certains, le jardin d’Eden où vécurent Adam et Eve. « Depuis nos ancêtres akkadiens et sumériens (IVe et IIIe millénaires avant Jésus Christ,), la vie dans les marais repose sur l’eau et les roseaux qui nourrissent les buffles », explique à l’AFP Mehdi al-Mayali.
A 35 ans, cet éleveur a pourtant connu la grande sécheresse et l’exode massif après la décision de l’ex-dictateur Saddam Hussein, dans les années 1990, d’assécher ces immenses marécages pour en déloger des insurgés. La population des marais, qui s’élevait à plus de 250.000 personnes avant l’insurrection de 1991, est alors tombée à 30.000.
Le drainage de ces zones humides uniques a été qualifié d’« un des pires crimes environnementaux de l’Histoire » par l’ONU, et un responsable de l’ancien régime a été condamné à mort en 2010 pour l’assèchement des « Ahwars » (marais en arabe). Dès la chute du régime de Saddam Hussein, la population des marais a commencé à détruire les canaux et les digues de terre qui avaient été érigés et de l’eau est revenue progressivement.
Mais des années de politique d’assèchement, cumulées à de graves épisodes de sécheresse, ont laissé de graves séquelles et amputé durablement la surface humide des marais. Elle était de 15.000 km2 et a été divisée par deux, selon Jassim al-Assadi, qui dirige l’association de défense de l’environnement Nature Iraq. Cette année, en raison des fortes pluies, les marais se sont remplis à plus de 80% selon l’ONU contre seulement 27% l’automne dernier.
Les habitants ont renoué avec les maisons d’hôtes ancestrales, les barques à rame unique et l’élevage des buffles au lait dense et gras. Et depuis l’inscription au Patrimoine mondial par l’Unesco en 2016, « le nombre de visiteurs a grimpé de 10.000 à 18.000 par an en 2018 », se félicite Assaad al-Qarghouli, de l’Autorité du tourisme de la province de Zi Qar, où près de la moitié des habitants vit sous le seuil de pauvreté.
« L’écotourisme a redonné vie aux marais, des visiteurs viennent de toutes les provinces d’Irak et même de l’étranger », se félicite M. Mayali. Ces touristes espèrent y voir des oiseaux migrateurs, mais aussi des loutres, des tortues de l’Euphrate ou des rousserolles, réapparues avec le retour de l’eau. Si la fréquentation touristique est en hausse, elle souffre toutefois de l’absence d’infrastructures.
« Il n’y a ni installations touristiques, ni hôtels parce que le budget de l’Etat a été absorbé par l’effort de guerre ces dernières années » contre le groupe Etat islamique, explique M. Qarghouli. Pour le moment, ce sont les habitants qui, chacun de leur côté, proposent des tours en barque pour l’équivalent d’une vingtaine d’euros ou un déjeuner typique dans un « moudhif », une salle de réception traditionnelle.
Depuis que Bagdad a annoncé avoir vaincu les jihadistes fin 2017, ils espèrent que des fonds seront alloués à des projets d’infrastructure. M. Qarghouli appelle à la construction d’« un complexe hôtelier et d’un village touristique écologique » dans les marais. Pourvoyeur d’emplois et de revenus, l’écotourisme dans les marais « est une activité bien plus durable que les hydrocarbures et l’industrie pétrolière », plaide M. Assadi, de Nature Iraq.
Pétrole et gaz constituent actuellement près de 90% des recettes de l’Etat irakien. Mais leur exploitation menace les marais, selon l’ONU qui appelle Bagdad à mettre en place des zones protégées pour sauver des espèces en danger et maintenir les marais luxuriants. Dans un des pays les plus chauds du monde où l’eau manque de manière chronique, le maintien de ces zones humides est crucial.
Or en Irak, surnommé depuis des millénaires « le pays des deux fleuves », le Tigre et l’Euphrate ne font que passer: ils prennent leur source en Turquie et leurs affluents viennent d’Iran ou de Syrie. A chaque barrage construit dans ces pays voisins, le débit s’amoindrit en Irak. Quand l’absence de pluie se combine à ce flux réduit, l’eau vient à manquer dans les marais. Celle qui reste stagne, se gorge de sel et les animaux ne peuvent plus s’abreuver.
« C’est déjà arrivé en 2009 et 2015, les buffles sont morts et beaucoup de monde a dû quitter les marais pour la ville », se rappelle, amer, Mehdi al-Mayali. Aujourd’hui, les habitants veulent croire en l’avenir de leur région: les marais, qui ont surpris tout le monde en se remplissant de nouveau après la chute de Saddam Hussein en 2003, se gorgeront à nouveau d’eau. Suffisamment pour que vive le jardin d’Eden « des aventuriers et des amoureux de la nature », dit Habib al-Jourani.
D.C avec AFP
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