Croyant peut-être faire diversion dans un climat politique délétère, le 13 septembre 2022, le président de la République a annoncé le lancement d’une large consultation citoyenne sur la fin de vie pour réfléchir à une éventuelle évolution de son « cadre légal » d’ici la fin 2023. A cet effet, il a confié au CESE la mise en place d’une nouvelle convention citoyenne de 185 membres tirés au sort qui se sont déjà réunis deux fois en décembre et devront rendre leurs conclusions au printemps 2023. Ils répondront à la question posée par le Premier ministre : « Le cadre de l’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? »
Car la loi Claeys-Leonetti n° 2016-87 du 2 février 2016 encadre déjà l’accompagnement de la fin de vie. Elle confirme l’importance du droit aux soins palliatifs, renforce le rôle de la personne de confiance, reconnaît l’autorité des directives anticipées, sauf cas particuliers, et offre une possibilité de sédation profonde et continue jusqu’au décès aux personnes souffrant d’une affection grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à court terme et subissant une souffrance réfractaire aux traitements. Les maisons de soins palliatifs sont d’ailleurs aujourd’hui, de l’avis général, des lieux d’accueil et de sollicitude remarquables des personnes en fin de vie.
Désormais, la loi voudrait s’occuper de la prise en charge des personnes qui ont une maladie grave, douloureuse, souvent évolutive et incurable, mais dont le pronostic vital n’est pas engagé « à court terme ». La vraie question posée est celle de l’aide active à mourir et de l’arrêt des traitements de soutien vitaux des patients maintenus en vie « artificiellement ».
L’entraînement aux extrêmes
Certes, le gouvernement est plus prudent qu’il ne l’avait été avec la Convention citoyenne pour le climat dont M. Macron s’était engagé à reprendre « sans filtre » les propositions. Cette fois-ci, Elisabeth Borne précise : « Les conclusions de la Convention citoyenne recueillies par le Cese serviront à éclairer le gouvernement ». Au surplus, d’autres consultations auront lieu et un groupe de travail parlementaire élargi y travaillera. Enfin, les travaux de la consultation citoyenne s’appuieront sur l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) rendu public le 13 septembre 2022. On peut craindre que cette dispersion du débat ne favorise une montée aux extrêmes où sombre toujours la démocratie des comités dans la surenchère des spécialistes de l’agitprop qui s’y infiltrent. Déjà, non sans prudence, le CCNE « considère en effet qu’il existe une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir ». Il observe que sont encadrées, mais autorisées l’euthanasie en Belgique, l’assistance au suicide en Suisse, aux Etats-Unis (dix états) et en Autriche, et enfin à la fois l’euthanasie et l’assistance au suicide aux Pays-Bas, au Luxembourg, en Espagne, au Canada, en Australie (cinq Etats) et en Nouvelle-Zélande. Alors pourquoi pas nous ? Un débat qui conclurait qu’il ne faut rien faire ne serait-il pas considéré comme un échec, comme l’incapacité des participants à prendre en compte les besoins nouveaux, l’évolution du monde ?
Il est vrai que le regard sur la mort a changé. On ne veut plus la regarder d’ailleurs. On ne la voit plus parce qu’on meurt entre vieux et loin des autres. On ne la côtoie plus, sinon de manière aseptisée, « sanitarisée ». Le christianisme disparaît et avec lui l’importance de quitter la vie en paix et les rites qui l’accompagnaient. La mort n’est plus la poursuite de la vie autrement, mais la fin de la vie. Il reste la souffrance redoutée et parfois insupportable.
Et pourtant
Que l’on considère l’Homme comme une créature de Dieu ou qu’on admette tout simplement, avec Emmanuel Kant, qu’il existe comme fin en soi plutôt que comme le moyen arbitraire de la volonté d’un autre, suppose qu’il soit toujours respecté inconditionnellement comme tel. L’Homme ne peut pas utiliser son corps ou celui d’autrui comme une chose voire seulement comme un moyen. Le fait que l’homme s’estime propriétaire de son corps ne réduit pas la portée de cette règle éthique mais la consolide parce que tout propriétaire est responsable de sa propriété et de l’usage qu’il en fait par rapport à sa finalité. La dignité humaine consiste ainsi à respecter l’intégrité de l’être, celle de l’autre comme celle de soi-même. On peut reconnaître à cet égard un droit à la vie et à la reconnaissance de son être propre, ce qui justifie les réserves sur l’avortement, le changement de genres, la GPA et la PMA et l’euthanasie. Le devoir et le respect humains invitent à réparer l’homme, à l’améliorer, pas à en détruire ou en modifier les fonctions ou la nature constitutives de son être.
Nous ne pouvons pas juger la volonté d’une personne au bout de ses souffrances de vouloir y mettre fin en quittant la vie. Mais elle seule peut en décider et s’exécuter. Il est impossible de demander aux mêmes professionnels d’aider des patients à mourir après s’être démenés pour les faire vivre.
Au demeurant, la question la plus importante que soulèverait la légalisation de l’assistance active à mourir serait celle des limites, ou plutôt de la suppression des limites entre la vie et la mort, entre aider à vivre et aider à mourir. Certes, on peut imaginer des comités éthiques, des décisions collégiales, des formations au discernement pour permettre à ceux qui en seraient en charge de décider, ou non, d’aider activement une personne à mourir, c’est-à-dire de la tuer.
Tuer, voici un bien vilain mot. Mais n’est-il pas exact en l’occurrence ? Les mots sont des armes. Le débat ne s’est pas engagé sur l’aide active à mourir, alors que la question en est au cœur, mais sur la fin de vie. C’est plus gentil ! En charge du dossier, la ministre chargée des professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, a demandé à l’académicien Erik Orsena de construire un glossaire pour définir les mots de la fin de vie et peut-être pour les adapter à notre époque, nous faire accepter l’inacceptable. Mais sous les mots, la réalité a la vie dure. Elle est ce qu’elle est. Quand la limite entre la vie et la mort sera gommée, elle pourra être déplacée indéfiniment. L’assistance active à mourir est une ouverture à l’eugénisme que pratiquaient nombre de civilisations antiques (Spartes, Rome) ou néo-païennes (nazisme). A cet égard, elle marquerait un changement de civilisation. Une loi entrouvre la porte et le vent de l’opinion la pousse toujours plus loin. Le délai légal de l’IVG s’allonge ainsi (loi du 2 mars 2022). Demain on étendra le champ de l’euthanasie assistée quand il y aura trop de vieux.
Toute mort est un drame, une épreuve physique et métaphysique, plus tragique encore lorsque la souffrance est trop grande, que le malade exténué refuse, souvent à juste titre, l’acharnement thérapeutique, en vient à espérer la mort plus que la vie. Dans le for de leur conscience, les médecins et les familles ont toujours su prendre les décisions appropriées, et la justice ne les a jamais condamnés sinon quand ils n’agissaient pas dans le strict intérêt légitime du malade. En soumettant ces cas particulièrement délicats à des lois, générales par principe, et à des procédures, on ampute la conscience, on l’enrégimente, on la déshumanise. Ne faut-il pas laisser la part intime de chacun à l’abri des lois ?
Article écrit par Jean-Philippe Delsol, avec l’aimable autorisation de l’IREF.
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