Début 2023, l’Union européenne (UE) adoptait la directive dite « CSRD » (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui renforce les exigences de reporting de durabilité des sociétés et en élargit progressivement le champ d’application (exercices 2024 à 2028).
L’objectif principal de la CSRD est, comme le souligne l’Autorité des marchés financiers (AMF), « d’harmoniser le reporting de durabilité des entreprises et d’améliorer la disponibilité et la qualité des données environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) publiées ». L’ancien président de l’AMF a notamment estimé, dans un discours prononcé en juin 2022, que cette directive constituait :
« Le cœur du réacteur de la finance durable ».
Une directive ambitieuse
La directive a comme objectif de permettre aux acteurs financiers de disposer des informations nécessaires à la fois pour répondre à leurs propres obligations de reporting et aussi pour exercer leur activité.
Les limites actuelles sont bien connues des investisseurs institutionnels et des gérants de fonds qui doivent publier leurs propres informations en matière de durabilité : il existe un manque de consensus sur la définition des mesures d’impact, sur l’accessibilité et la comparabilité des données.
Afin d’atteindre son objectif, la directive s’appuie sur trois changements essentiels en matière de publication d’informations non financières. Tout d’abord, elle prévoit que :
« Les sociétés devront publier des informations détaillées sur leurs risques, opportunités et impacts matériels en lien avec les questions sociales, environnementales et de gouvernance, selon un principe de « double matérialité » ».
Ainsi, deux points de vue sont considérés : celui des risques pour l’entreprise et celui des incidences de l’entreprise. La diffusion de ces informations permettra aux acteurs financiers d’établir leurs rapports en termes de « double matérialité » : effets financiers sur les portefeuilles des critères ESG et incidences des portefeuilles sur les domaines ESG.
Ceci est en cohérence avec l’obligation, prévue dans le règlement du 27 novembre 2019 dit « SFRD » (Sustainable Finance Disclosure Regulation), de prendre en compte les principales incidences négatives en matière de durabilité au niveau des produits financiers (contribution au changement climatique, atteinte à la biodiversité, pollution de l’eau, discrimination des genres, etc.).
Deuxième changement, la directive CSRD instaure une autre mesure favorable à la transparence avec la création de normes obligatoires d’information relatives au reporting durabilité. Auparavant, les entreprises bénéficiaient d’une notable liberté car l’UE se contentait de proposer des lignes directrices facultatives. Désormais, la Commission européenne choisira les indicateurs obligatoires sur proposition de l’European Financial Reporting Advisory Group (Efrag), une association sans but lucratif de droit belge. Ce dispositif devra démontrer sa perméabilité aux lobbies et éviter une surcharge administrative pour les entreprises.
Une longueur d’avance pour la France
Enfin, troisième changement majeur, la directive CSRD prévoit que, désormais, les informations du reporting durabilité seront auditées. La réglementation durcit le droit antérieur car la précédente directive laissait le soin à chaque État membre de rendre obligatoire un tel audit. Sur ce point, la France avait instauré un tel audit dès 2010, dans la loi dite Grenelle 2, avec la figure de l’organisme tiers indépendant (OTI). En conséquence, les entreprises et les auditeurs français disposent aujourd’hui d’une expérience source et d’un avantage comparatif à l’échelle de l’Union européenne.
Afin de laisser du temps aux entreprises européennes pour s’adapter à la nouvelle législation, l’auditeur réalisera une mission limitée dans un premier temps. Ensuite, à l’horizon 2028, l’objectif de l’UE est de passer à une mission qui implique plus de tests de validation de la part de l’auditeur.
L’absence d’un audit obligatoire était l’un des vices originels de la directive de 2014 car les parties prenantes ne pouvaient pas comparer un reporting audité avec un autre qui ne l’était pas. Cette carence pouvait aboutir à une sélection au détriment d’entreprises vertueuses dont certaines faiblesses étaient mises en lumière. Le droit de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) doit démasquer les entreprises qui jouent la comédie des apparences.
En définitive, le travail du législateur européen depuis quelques années a permis de dessiner une trajectoire pour la finance responsable qui a l’ambition de répondre aux nouvelles aspirations de la société en termes d’exigences environnementales, sociétales et de gouvernance. Les objectifs sont loin d’être réalisés puisqu’il faut faciliter l’opérationnalité de ces mesures pour les entreprises et les investisseurs. Par ailleurs, il est important d’inscrire ce travail dans une vision mondiale et globale pour éviter que le continent européen se retrouve comme un village gaulois !
Article écrit par Pierre Chollet, Professeur Émérite, Montpellier Management, Montpellier Recherche en Management (MRM), Université de Montpellier; Nicolas Cuzacq, Maître de conférences HDR, Droit privé et sciences criminelles, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Souad Lajili Jarjir, Professeure Agrégée des Universités en Sciences de Gestion, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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