Dans son dernier livre « Entre guerres » (Gallimard, 2024) l’ancien chef d’état-major des armées François Lecointre revient sur son très riche parcours militaire marqué par plusieurs conflits, et les sentiments et interrogations qui traversent l’esprit d’un soldat prêt à être envoyé « au feu ». Plus qu’un récit relatant des faits de guerre, le général nous propose une immersion dans la vie de ceux qui ont juré de défendre la patrie.
Différents théâtres d’opérations et de nouvelles guerres
La fin du XXe siècle a été marquée par diverses guerres désormais entrées dans les livres d’histoire auxquelles celui qui a été chef d’état-major des armées entre 2017 et 2021 a participé : la Première guerre du Golfe, la guerre civile somalienne, le conflit entre les Hutu et les Tutsi au Rwanda et la guerre de Bosnie-Herzégovine.
Dans cet ouvrage, il présente le point de vue et le vécu d’un soldat sur ces conflits en ne manquant pas de rappeler l’extrême dureté du terrain, que ce soit de se retrouver « au contact immédiat » de l’ennemi et d’anticiper une éventuelle attaque chimique en Irak ou encore de perdre un camarade officier dans d’atroces circonstances à Sarajevo. « Le récit que j’ai voulu faire […] est un témoignage d’une confrontation à la réalité de la violence que pendant ces quarante années, nous avons vécu dans l’indifférence et l’ignorance délibérée de la plupart de nos concitoyens », écrit-il.
À l’aune de ces conflits, François Lecointre se penche également sur la problématique du sens de la guerre et du changement de nature de cette dernière à partir des années 1990. Pour les soldats des armées occidentales, ces nouvelles guerres n’avaient rien à voir avec ce qu’avaient connu leurs prédécesseurs. Il fallait par exemple en Irak, combattre « au nom d’une légalité internationale et non pour défendre son pays ». Et à ce changement de configuration, s’ajoutent de nouveaux concepts militaires comme celui « d’intervention humanitaire » développé à l’occasion de la guerre civile somalienne ou de « soldats de la paix » lors de la guerre de Bosnie-Herzégovine dont le général Lecointre critique les contradictions. Il estime qu’un soldat « combat et qu’au risque de sa vie, il met en œuvre la force, de manière délibérée, jusqu’à donner la mort ».
Les motivations de l’engagement
Qu’est-ce qui encourage un individu à s’engager dans l’armée ? L’ex-chef du cabinet militaire de Bernard Cazeneuve et d’Édouard Philippe répond aussi à cette question dans son dernier ouvrage et y consacre même un chapitre intitulé « Vocation ». Pour lui, sa famille a joué un rôle considérable dans sa carrière militaire et plus précisément son père et son oncle. L’un est commandant de sous-marin et l’autre a combattu lors de la guerre d’Algérie, conflit au cours duquel il trouva la mort. Deux figures inspirantes qui ont forgé les débuts de sa carrière militaire et qui continueront à le guider.
Mais au-delà des références familiales, les motivations pour devenir soldat trouvent également leur source dans la volonté de se dépasser soi-même, de s’imposer des épreuves permettant de s’améliorer. C’est ce que constate l’ancien chef d’état-major des armées dans les premières pages de son livre lorsqu’il évoque des soldats qu’il commande qui « étaient là pour s’éprouver ». Des soldats auxquels il va très vite s’identifier. « C’est à leur contact, en me découvrant si semblable à eux, mes soldats, que je commençais à saisir ce qu’était notre vocation », raconte-t-il.
Les épreuves que doit traverser le soldat
Être militaire n’est pas un métier comme les autres. Il s’agit de savoir composer avec des questionnements ou des sentiments auxquels nulle autre profession n’est confrontée, notamment la peur de mourir. François Lecointre aborde longuement ce sujet dans Entre guerres qu’il décrit comme une « douleur lancinante avec laquelle on doit s’habituer à vivre ».
Être soldat, c’est aussi parfois assister à des scènes d’une violence insoutenable et perdre le contrôle de soi-même. Le général raconte qu’au Rwanda, théâtre de nombreuses horreurs, il a dû se retenir de ne pas exécuter un individu qui avait été accusé par la population d’avoir massacré des enfants.
À la fin de son livre, il revient sur la mort de « son lieutenant » lors de la mission de reprise du poste de Vrbanja pendant le conflit en ex-Yougoslavie, et écrit qu’il sentit monter en lui « une bulle de haine comme revenue d’un fond d’un étang de vase » et qu’il voulait « tuer ».
En décrivant ces moments tragiques, celui qui est grand chancelier de la Légion d’honneur depuis février 2023 rappelle que s’engager dans l’armée peut donc constituer une série d’événements mettant à l’épreuve l’être humain physiquement et psychologiquement.
Cependant, pour l’ancien chef d’état-major des armées, la peur et le fait d’être animé par la rage ou la vengeance ne sont pas une fatalité et il décrit notamment le « collectif » comme un moyen de lutter contre ces sentiments. « Je ne sais pas comment nous sommes revenus à la raison. Probablement parce que nous étions ensemble », se remémore François Lecointre avant d’ajouter une dizaine de pages plus tard qu’ « aujourd’hui, je suis convaincu que toute peur peut être dépassée par la puissance du collectif ».
Le dernier ouvrage du général Lecointre nous transporte des décennies en arrière et nous fait vivre des conflits avec ce qu’il y a de plus intime chez un soldat, à savoir ses plus grandes peurs. Un livre nous invitant, à nous, civils, à faire preuve de plus de résilience quand on sait les conditions difficiles dans lesquelles évoluent nos soldats.
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