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Ghislain Benhessa : « Emmanuel Macron tente de gagner du temps alors que le volcan de l’antisémitisme est au bord de l’éruption »

octobre 14, 2024 9:30, Last Updated: octobre 14, 2024 13:23
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ENTRETIEN – Montée de l’antisémitisme, hausses d’impôts et OQTF, l’avocat et essayiste Ghislain Benhessa, auteur de On marche sur la tête ! La France, l’UE et les mensonges (éd. L’Artilleur, 2024), livre son regard sur l’actualité pour Epoch Times.

Epoch Times – Lundi dernier marquait le triste anniversaire des massacres du 7 octobre 2023. Des massacres ayant notamment engendré une forte hausse des actes antisémites en France. Selon des données de la Direction nationale du renseignement territorial (DNRT) au ministère de l’Intérieur relayées par l’Express, 887 actes de ce type ont été enregistrés au premier semestre 2024, soit une hausse de 192 % par rapport au semestre de l’année précédente. Comment qualifieriez-vous cette hausse inédite ?

Ghislain Benhessa – Depuis un an, on observe une hausse dramatique de l’antisémitisme, qui se traduit par une multiplication d’insultes, de tags et d’agressions physiques. C’est un phénomène invasif qui terrorise la communauté juive.

Si nous devons à Gilles Kepel l’expression de « djihadisme d’atmosphère », je crois que s’est installé un véritable « antisémitisme d’atmosphère », alimenté par l’instrumentalisation des massacres du 7 octobre et de la politique conduite par le gouvernement israélien de Benyamin Netanyahou.

Ce nouvel antisémitisme soulève deux questions centrales. D’une part, il semble intrinsèquement lié à la culture arabo-musulmane. Preuve en est ce chiffre donné par Fondapol, la Fondation pour l’innovation politique dirigée par Dominique Reynié : 67 % des Français musulmans interrogés considèrent qu’Israël se comporte avec les Palestiniens comme les nazis se comportaient avec les Juifs. Un sentiment partagé par les proches de La France Insoumise, qui sont 58 % à être d’accord avec cette idée.

C’est là que surgit l’autre face de l’antisémitisme : l’antisionisme. Certes, il ne s’agit formellement pas de la même idée : théoriquement, on peut être hostile à l’égard d’Israël sans être antisémite pour autant. Il n’empêche. L’antisionisme est devenu le faux-nez de l’antisémitisme, en un brouillage des mots aussi grossier que problématique.

Souvenons-nous : au lendemain du 7 octobre 2023, la députée Insoumise Mathilde Panot refusait de qualifier le Hamas d’organisation terroriste. Depuis, de David Guiraud à Rima Hassan, l’égérie des pro-palestiniens, nombre de figures LFIstes ont accumulé les tweets et les formules choc visant à disqualifier, non seulement le gouvernement, mais l’État d’Israël lui-même. Voire le Crif, en un glissement rhétorique à la fois insidieux et dangereux.

Au bout du compte, tous ces propos se mélangent et conduisent à une « libération de la parole » antisémite. À confondre la Palestine et le Hamas, à ériger les Palestiniens en nouveaux damnés de la Terre, à voir de l’islamophobie partout au nom d’une guerre qui se déroule à des milliers de kilomètres de l’Hexagone, un certain nombre de politiques – à gauche – favorisent l’hostilité à l’égard des Français de confession juive – de plus en plus menacés et isolés.

À l’occasion du discours de Michel Barnier lors de la cérémonie du Crif d’hommage aux victimes du 7 octobre 2023, Emmanuel Macron a été hué. Le chef de l’État avait notamment appelé deux jours auparavant à l’arrêt des livraisons d’armes à Israël. Comprenez-vous que cette déclaration ait suscité de la colère ?

Le drame, c’est qu’Emmanuel Macron a choisi d’exprimer une telle position 48 h à peine avant l’anniversaire des massacres du 7 octobre, alors même que la France n’est pas un fournisseur majeur d’armes à Israël.

Toutefois, et c’est le plus inquiétant, ce n’est pas la première fois que le président de la République fait montre, soit d’un sens du timing discutable, soit d’une faculté à se dérober. J’en veux pour preuve une série de rendez-vous manqués qui ont témoigné d’une stratégie de l’évitement.

En novembre 2023, Emmanuel Macron refuse de participer à la marche contre l’antisémitisme qui réunit plus de 100.000 personnes à Paris. Sous l’influence, semble-t-il, de Yassine Bellatar, que l’Élysée considère comme un « thermomètre » des banlieues. Alors même que l’humoriste abhorre le concept d’intégration à la française et venait d’être condamné à quatre mois de prison avec sursis pour menaces de mort. Question modèle à suivre, on a connu mieux…

Au fond, Emmanuel Macron applique son « en même temps » à la communauté juive : d’un côté, le 7 février 2024, il prononce un discours vibrant lors de l’hommage aux victimes françaises du 7 octobre, évoquant une France déchirée par un « antisémitisme rampant » ; de l’autre, il tergiverse à l’égard d’Israël, quitte à prendre ses distances vis-à-vis de l’État hébreu à quelques heures du triste anniversaire du pogrom.

Au fond, il n’est pas étonnant qu’une partie des Français de confession juive reçoive un tel message comme un affront. Emmanuel Macron, par crainte de voir les banlieues s’embraser, change de doctrine comme de chemise. Il cède face à la « rue arabe » en France, de peur que la guerre israélo-palestinienne n’embrase davantage les cités. Le problème, c’est qu’une telle politique n’aboutit à rien d’autre qu’à du surplace.

Emmanuel Macron tente de gagner du temps alors que le volcan de l’antisémitisme est au bord de l’éruption.

Pour combler la dette et le déficit public, Michel Barnier a notamment annoncé des hausses d’impôts pour « 300 entreprises » et les foyers les plus fortunés. Les hausses d’impôts représentent-elles, selon vous, une bonne solution pour réaliser des économies ?

Rappelons que Michel Barnier a été nommé par le président de la République dans un contexte de dette explosif. Chaque jour qui passe, on se rend davantage compte de la situation dramatique dans laquelle le pays se trouve, entre dérapage du déficit et insincérité du budget.

Le nouveau gouvernement, alors même qu’il ne dispose pas d’une majorité à l’Assemblée, est chargé de remettre de l’ordre dans les comptes publics après des années de gabegie. Voilà Michel Barnier contraint de jouer à « Comment gagner des milliards ? » alors même qu’il ne dispose d’aucune véritable légitimité.

S’agissant des hausses d’impôts annoncées, j’y vois spontanément deux limites. D’une part, je suis méfiant parce qu’en France, ce qui est annoncé comme provisoire a vocation à devenir définitif. Souvenez-vous de la CRDS, créée pour s’éteindre en 2009 et finalement toujours en place. D’autre part, même s’il n’est pas invraisemblable de taxer les « ultra-riches » ou les grandes entreprises aux revenus florissants en cette période de vaches maigres (pour ne pas dire agonisantes), je pense qu’il est impératif que quelqu’un s’attaque au chantier de la réduction de la dépense publique.

La Cour des comptes vient d’ailleurs de pointer, début octobre, un nombre excessif de 100.000 fonctionnaires, estimant qu’il est urgent de revenir « aux effectifs des collectivités […] du début des années 2010 ». Manifestement, la réforme des grandes régions voulue par François Hollande n’a fait qu’ajouter au millefeuille administratif à la française…

Toutefois, et c’est là un vieux tropisme, la plupart des politiques refusent de s’y atteler. Mieux vaut augmenter les impôts que tailler dans le « mammouth », pour reprendre l’expression de Claude Allègre rêvant de « débureaucratiser » l’Éducation nationale en 1997.

Rien de plus confortable qu’ajouter une virgule pour faire payer plus plutôt qu’amorcer une révolution structurelle d’envergure. Au fond, tout le monde sait que l’État est obèse, qu’un actif sur cinq travaille pour la fonction publique, que la pompe à subventions tourne à plein régime, que la dépense sociale crève tous les plafonds alors que les missions régaliennes les plus élémentaires (dont la sécurité et la santé) ne sont plus assurées.

Mais personne n’ose sortir du bois, par crainte des résistances qui ne manqueront pas de s’élever.

Michel Barnier est issu des Républicains. N’est-ce pas étonnant qu’un Premier ministre de droite préconise des hausses d’impôts pour réduire la dépense publique ?

Michel Barnier est pris dans la quadrature du cercle, et le sait pertinemment. Plus vous déversez d’argent, plus vous vous achetez la paix sociale.

À l’inverse, si vous annoncez une baisse drastique de la dépense publique, vous risquez de vous heurter, au mieux à la rue, au pire à une explosion de la pauvreté. Laquelle est partiellement mise sous cloche – ou tempérée – par la subvention et la dépense sociale.

L’immobilisme vaut mieux qu’une France à feu et à sang. C’est pourquoi Michel Barnier pare au plus pressé – et au plus pratique : la hausse d’impôts. Peu sont ceux qui la sentiront passer – hormis les foyers fortunés ou les entreprises à gros revenus, qui ne risquent guère d’instiller le poison de la rébellion ou de la manifestation.

N’oublions pas un élément essentiel : Michel Barnier est le Premier ministre du gouvernement le plus illégitime de la Ve République, fruit d’élections législatives cacophoniques, à l’issue desquelles les Républicains ont fini loin derrière le Rassemblement national, premier parti à l’Assemblée nationale. Le gouvernement est aujourd’hui à la merci du RN qui peut, à tout moment, voter une motion de censure et mettre en pièce l’exécutif.

Sans parler du Nouveau Front populaire, qui ne manquera pas de s’opposer à chacun des projets de loi jaillis des ministères. L’équation est complexe, mais son résultat est limpide. Si Michel Barnier tente de mettre en œuvre une politique ambitieuse et risquée, donc clivante, au point de s’attirer les foudres du RN déjà dans les starting-blocks, il risque de sauter immédiatement. S’il choisit de n’agir qu’à la marge, en une sorte de gestion des affaires courantes, il peut ne déplaire à personne et passer à travers les gouttes.

À mon avis, Michel Barnier est condamné à naviguer à vue. À faire le technicien quitte à ne pas faire de politique.

Ne voyez-vous pas dans ces hausses d’impôts des causes idéologiques ? La droite française n’a jamais été libérale, mais plutôt gaulliste…

C’est exact. Même si, en réalité, la droite n’est plus gaulliste depuis bien longtemps. L’étiquette perdure, mais sans le produit. Un gaullisme « canada dry », en somme.

À ce titre, je suis toujours frappé quand j’entends des observateurs présenter Michel Barnier comme un « gaulliste social » – ce qu’il fait d’ailleurs lui-même. Rappelons qu’il a été Commissaire européen pendant des années et négociateur en chef du Brexit pour l’Union européenne. J’imagine mal un gaulliste canal historique, attaché à la souveraineté nationale et à l’indépendance des peuples, accepter de telles fonctions, qui impliquent de jouer le rôle de « majordome de Bruxelles », en tapant sur les doigts des gouvernements récalcitrants aux injonctions de l’Union européenne.

Quoi qu’il en soit, s’agissant de la droite, je dirais plutôt que le libéralisme n’a guère eu le vent en poupe ces dernières décennies. Même si, de Giscard à Macron, le centre s’en est souvent réclamé, au nom de la modernité et de la construction européenne. Un centre qui d’ailleurs, et c’est peu de le dire, n’a jamais aimé le général de Gaulle, et s’est régulièrement opposé à lui.

Quoi qu’il en soit, si la droite conserve une fibre sociale, qui consiste à privilégier l’impôt et la redistribution de richesses au détriment du capital et de l’accumulation, c’est effectivement sous l’influence de de Gaulle.

Dès son discours d’Oxford de 1941, il vitupère, avec des intonations quasi marxistes, contre l’aliénation de l’ouvrier placé sous la coupe de la machine et du capital : « Un jour, la machine a paru. Le capital l’a épousée. Le couple a pris possession du monde. […] Les ouvriers sont tombés sous sa dépendance. Liés aux machines quant à leur travail, au patron quant à leur salaire, ils se sentent moralement réduits et matériellement menacés. Et voilà la lutte des classes ! Elle est partout, aux ateliers, aux champs, aux bureaux, dans la rue, au fond des yeux et des âmes ».

Et n’oublions pas que de Gaulle était un ardent lecteur de Péguy qui, dès 1913 dans son fabuleux texte L’Argent, décrivait une société « où la population est coupée en deux classes si parfaitement séparées que jamais on n’avait vu tant d’argent rouler pour le plaisir, et l’argent se refuser à ce point au travail ».

Une sorte d’anticipation des sommes faramineuses aujourd’hui raflées par la spéculation, au détriment de l’effort, du travail et même de l’entreprise. Péguy, comme de Gaulle, étaient des catholiques enracinés, plus proches de la terre et des paysans que de la bourgeoisie et des centres-villes.

Le meurtre de la jeune Philippine le 20 septembre par un individu de nationalité marocaine a relancé le débat sur les OQTF. Quelque 7 % d’entre-elles sont exécutées. Pourquoi sont-elles, selon vous, très peu exécutées ?

Les premières raisons qui expliquent le faible taux d’exécution des OQTF sont techniques.

D’abord, les OQTF font l’objet de contestations systématiques devant les tribunaux administratifs. Les recours sont légion, d’autant que le contentieux en droit des étrangers engorge les juridictions. Il faudrait une remise à plat complète des voies de recours, que Gérald Darmanin appelait d’ailleurs de ses vœux lors des débats sur la loi immigration. Ensuite, le problème qui se pose est celui de la prise en charge des personnes sous OQTF en centre de rétention administrative.

En 2022, 134.280 OQTF ont été prononcées, pour moins de 3000 places disponibles en centre de rétention. Du coup, la majeure partie des personnes visées disparaissent dans la nature. Sans suivi ni contrôle. De plus, une problématique politique se superpose : celle des laissez-passer consulaires.

Quand un individu fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire, il doit être reconduit dans son pays d’origine. Or, le Maroc et l’Algérie font tout pour ne pas reprendre certains de leurs ressortissants. Il faut donc engager un bras de fer avec ces pays, ce qu’Emmanuel Macron a très mal enclenché en parlant de la colonisation comme d’un « crime contre l’humanité ».

Difficile d’exiger de l’Algérie qu’elle reprenne ses ressortissants lorsqu’on commence par courber l’échine et expier ses prétendues fautes. Enfin, à ces multiples écueils s’ajoutent des raisons idéologiques. Depuis des décennies, l’immigration a été érigée en totem inviolable par l’Europe. Aujourd’hui encore, c’est le même discours que martèle Ylva Johansson, la Commissaire européenne aux affaires intérieures. « Sans migration, nous mourrions de faim ». « La migration est quelque chose de normal », si bien qu’il « n’est pas question que l’Europe devienne une forteresse de murs et de barbelés ».

En partant du principe que la migration est la solution et l’enracinement l’erreur, on en est venu à considérer tout « sans-papiers » non comme une personne en situation irrégulière mais comme un régulier en devenir. Dans ces conditions, difficile d’appliquer des OQTF qui, par nature, signifient que des personnes ont l’obligation de retourner dans leur pays d’origine.

Plus largement, en assimilant les frontières à des « barbelés », pour reprendre les termes de Madame Johansson, on s’est interdit de penser les limites nationales, sûrs que chacun avait vocation à vivre n’importe tout. Mais la coexistence n’est pas toujours tranquille, ce dont témoigne le nombre de crimes commis par des personnes issues de l’immigration.

Multiculturalisme ne rime pas avec pacifisme, au grand dam de tous ceux qui pensaient l’ère du sang derrière nous.

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