OPINION

Ghislain Benhessa : « Il est absurde d’imaginer qu’un libertarien comme Elon Musk soit un nazi déguisé »

janvier 28, 2025 12:00, Last Updated: janvier 28, 2025 23:26
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ENTRETIEN – L’essayiste et avocat Ghislain Benhessa analyse pour Epoch Times le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. L’auteur de On marche sur la tête ! La France, l’UE et les mensonges (éd. L’Artilleur, 2024) livre aussi son regard sur les accusations d’ingérences dont Elon Musk fait l’objet.

Epoch Times :  La semaine dernière, Donald Trump a été officiellement investi 47e président des États-Unis. « L’âge d’or de l’Amérique commence maintenant », a-t-il déclaré lors de son premier discours en tant que chef de la première puissance mondiale. Il a également signé des dizaines de décrets le jour de son investiture. Comment décryptez-vous le retour à la Maison-Blanche du milliardaire républicain ?

Ghislain Benhessa : Son retour est impressionnant ! C’est l’histoire d’une revanche contre les sondages, les Démocrates et tous ceux qui ont été ravis de le déloger en 2020. La revanche de celui qui était dépeint en « paria » après les événements du Capitole du 6 janvier 2021 et dont nombre espéraient qu’il n’avait été qu’un « accident » politique. Un tel « come-back » est inédit dans l’histoire des États-Unis.

Ensuite, le discours qu’il a prononcé lors de son investiture est en parfaite cohérence avec sa campagne. Je ne dis pas qu’il n’y a pas une volonté d’apaisement, afin de réunir derrière lui le pays tout entier, mais il est certain que Donald Trump ne cherche pas à infléchir son programme.

D’ailleurs, lors de son investiture, il a formulé une sorte de profession de foi conservatrice, attaquant bille en tête les codes du wokisme qui avaient infiltré les campus, les administrations et jusqu’au gouvernement Biden lui-même. Il a annoncé vouloir mettre un terme à la cancel culture et qu’à compter de maintenant, les États-Unis ne reconnaîtraient plus que deux sexes (masculin et féminin).

Par ailleurs, il ne perd pas de temps : on l’a vu se mettre en scène dès son investiture en train de signer des dizaines de décrets. Il y a une immédiateté qui s’inscrit dans un narratif très clair. Donald Trump veut tout changer, aussi vite que possible.

Le nouveau locataire du bureau ovale a aussi menacé la Russie de sanctions si Moscou ne trouve pas d’accord avec Kiev « maintenant ». Comment voyez-vous ces déclarations ?

Pendant la campagne, il y avait tout un discours porté par le candidat républicain visant à arrêter la guerre en Ukraine dès son arrivée au pouvoir, pour sortir d’une situation qui s’enlise depuis près de trois ans.

Mais en réalité, le nouveau président va poursuivre la méthode utilisée entre 2017 et 2021 : la négociation. C’est sa marque de fabrique. Mais pour négocier, il sait qu’il lui faut s’imposer et fixer des lignes rouges. Au fond, c’est le principe même des relations internationales. Les États qui se font face sont animés par une logique de force brute.

Comme disait Nietzsche, les États sont « les plus froids des monstres froids » et recherchent la satisfaction de leurs intérêts. En réalité, en fixant des lignes rouges, en faisant feu de tout bois, bander les muscles lui permet, en parallèle, de rouvrir le canal de discussions diplomatique. Trump veut marcher sur ses deux jambes, celles de la force et de la négociation.

Cependant, s’il veut mettre fin au conflit russo-ukrainien, Donald Trump devra impérativement proposer une voie de sortie concrète. Quand la guerre a démarré, ni l’Europe, ni l’administration démocrate n’avaient envisagé d’autres voies que l’escalade. Donald Trump entend rompre avec cette matrice. Pour cela, il lui faut arriver en position de force face à Poutine, tout en laissant le canal des négociations ouvert.

Le nouveau président américain sera accompagné durant son mandat par un autre milliardaire : Elon Musk. Ce dernier a été nommé à la tête du département de l’Efficacité gouvernementale (DOGE). Il fait aujourd’hui l’objet d’une polémique. Certains l’accusent d’avoir fait un salut nazi lors d’un discours au soir de la cérémonie d’investiture de Donald Trump. Qu’en pensez-vous ?

Affirmer qu’Elon Musk a fait un salut nazi le jour de l’investiture de Donald Trump relève d’un manque de culture politique total. D’ailleurs, il suffit de regarder la séquence en entier pour comprendre qu’il s’agissait pour lui, partiellement du moins, de lancer son cœur à la foule.

Plus profondément, il est absurde d’imaginer qu’un libertarien comme le cofondateur de SpaceX soit un nazi déguisé. Qu’une personnalité comme lui, adepte de la déréglementation, désireux de réduire le poids de l’État dans l’économie, soit un admirateur secret du Troisième Reich n’a pas de sens.

Vous savez, je pense que nombre d’observateurs jouent au chien de Pavlov. Ils voient un bras tendu et fantasment immédiatement le retour des « heures les plus sombres ». S’ajoute à ce phénomène le panurgisme habituel et tout le monde se met à pousser des cris d’orfraie en s’imaginant lutter contre la bête immonde.

Au-delà de l’absence de culture politique règne cette volonté « d’extrême-droitiser » tout ce qui tranche avec le politiquement ou le juridiquement correct. Dans le cas d’Elon Musk, il s’agit cette fois de nazifier le libertarianisme, histoire de faire croire qu’un apôtre de l’État minimal serait l’ennemi suprême, juste bon au bannissement.

D’autant qu’en France, le libertarianisme est un courant abstrait et rares sont ceux qui le connaissent ou le maîtrisent. Résultat des courses, on agite le spectre du nazisme par facilité et on rejette l’adversaire hors du moralement acceptable. La ficelle est grosse, mais elle tient toujours. Du moins un peu.

Des parlementaires européens souhaitent l’inviter à la tribune du Parlement européen pour qu’il s’exprime sur la liberté d’expression. Elon Musk est-il, pour vous, un défenseur de ce principe ?

Pour bien comprendre la bataille qui fait rage entre l’Union européenne et les États-Unis, il faut remonter à la philosophie de ce qu’on appelle « la société ouverte ».

Théorisé par Karl Popper, auteur de La Société ouverte et ses ennemis, le concept irrigue par exemple l’Open Society du milliardaire progressiste George Soros, qui s’en revendique au point d’avoir baptisé comme telle sa fondation. Pour Popper, une société ouverte est une société dans laquelle les idées et les opinions peuvent librement s’exprimer dans la mesure où le seul critère qui doit les départager, c’est le débat, la critique, la confrontation. Si vous avez le choix entre dix propositions, vous allez choisir, quasi mécaniquement, la moins folle ou la plus rationnelle.

En clair, cela signifie que le critère de démarcation entre une « bonne » et une « mauvaise » idée, c’est la possibilité de les soumettre toutes deux à la libre discussion. Or, et c’est tout le paradoxe, ceux-là même qui, aujourd’hui, défendent bec et ongles la société ouverte, qui se présentent comme les champions de la démocratie et de l’État de droit, veulent absolument modérer, réglementer, contrôler le marché des idées. Quitte à mettre en place des garde-fous pour s’assurer que toutes les opinions ne puissent pas librement s’exprimer. Jusqu’à notre secrétaire d’État chargée de l’IA et du numérique, Clara Chappaz, qui a récemment déclaré, en un lapsus révélateur, qu’il y aurait de « fausses opinions » qu’il faudrait bannir des réseaux sociaux et du débat public.

À l’opposé, Elon Musk estime que toutes les opinions peuvent s’exprimer et qu’il appartient à chacun de faire librement son choix sur le marché planétaire, parmi lequel figure, en première place, le réseau social X. Par conséquent, si on fait preuve d’un minimum de rigueur intellectuelle, on est contraint d’admettre qu’Elon Musk est un apôtre de la société ouverte, contrairement aux caciques de l’Union européenne, adeptes de mécanismes de contrôle des opinions qui la font ressembler, chaque jour un peu plus, à une société fermée. Qui, pour Popper, était précisément fondée sur la rigidité, l’autoritarisme ou le rejet du changement et de la critique.

Vous savez, depuis des années, n’importe qui pouvait prôner un discours ouvertement wokiste sans jamais souffrir la moindre coupe. Au contraire, c’était même bien vu et défendu par les autorités, que ce soit au niveau national ou européen. Or, si l’Union européenne veut aujourd’hui modérer les débats en ligne, c’est parce que les opinions conservatrices s’y expriment de plus en plus. Ce qui, au fond, n’est rien de plus qu’un bon vieux retour de bâton : à force de promouvoir à tout prix le progressisme le plus débridé, nombre se lèvent et disent qu’ils n’en veulent plus.

Et au bout du compte, il n’y a que deux issues. Soit on veut une société ouverte et on l’assume pleinement, comme le fait Elon Musk – peu importe que les gens ne pensent pas comme vous, ils en ont le droit -, soit on veut une société fermée et on multiplie les mesures de contrôle, quitte à instaurer une police de la pensée. L’Union européenne, qui se vante d’être un havre d’ouverture et de tolérance, opte chaque jour davantage pour la deuxième voie.

Nombre de personnalités politiques françaises et européennes se sont indignées du comportement d’Elon Musk, plus particulièrement quand il a fait part de son soutien à l’AfD. Le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot, a exhorté la Commission européenne à plus de fermeté contre les « ingérences » du milliardaire. Le cofondateur de SpaceX peut-il être tenu responsable de tels actes ?

Depuis des décennies, l’Europe laisse son allié américain guider sa politique et s’immiscer dans ses affaires, avec un certain plaisir et une forme de satisfaction. La construction européenne est elle-même, en grande partie, le fruit de l’activisme de Jean Monnet, à la solde des États-Unis. C’est dire combien, depuis le départ, l’ingérence américaine a été, non seulement pratiquée, mais voulue.

Par ailleurs, lors de la campagne présidentielle américaine, l’immense majorité des membres du gouvernement français et des dirigeants européens ont assumé leur tropisme pour le Parti démocrate et sa candidate Kamala Harris, certains allant jusqu’à qualifier Donald Trump de « raciste », de « misogyne » ou de « danger pour la démocratie ». Difficile de dire qu’ils n’ont pas tout tenté pour faire élire Kamala Harris plutôt que son adversaire républicain.

Alors, si l’on part du principe que le soutien d’Elon Musk vis-à-vis d’Alice Weidel et de l’AfD constitue une ingérence dans les affaires européennes, on est obligé d’en conclure que les Européens ont fait de même dans les affaires américaines.

Mais le fond du problème, c’est que l’ingérence est parfaitement acceptée lorsqu’elle va dans le bon sens, c’est-à-dire lorsqu’elle a pour objectif de soutenir l’agenda progressiste. Si Elon Musk avait soutenu le « bon » camp, personne n’aurait rien dit. Encore une fois, c’est un débat purement idéologique, qu’on tente de maquiller en rameutant les outils du droit.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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