Historien du droit, spécialiste des institutions et des questions géopolitiques, Philippe Fabry a anticipé l’invasion de l’Ukraine par la Russie alors que la plupart des analystes affirmaient que Vladimir Poutine n’envahirait jamais son voisin.
Fondateur de l’historionomie, une discipline qui vise à identifier les cycles, les récurrences historiques et les lois qui les sous-tendent afin de comprendre les chaînes de causalités et d’obtenir une vision dynamique de l’Histoire, Philippe Fabry souligne que le conflit entre l’Ukraine et la Russie s’inscrit dans la trajectoire historique de « l’impérialisme revanchard ».
Selon lui, la guerre menée à l’Ukraine par la Russie correspond en effet à un mouvement historique profond et inéluctable dont on trouve plusieurs occurrences dans l’histoire, notamment sous la France napoléonienne et sous l’Allemagne hitlérienne pour les plus récents, ou lors des guerres opposant Rome à Carthage et Athènes à Sparte dans l’Antiquité.
Pour M. Fabry, le conflit entre l’Ukraine et la Russie est le prélude d’un conflit géostratégique de grande ampleur opposant une thalassocratie – puissance des mers aujourd’hui incarnée par les États-Unis – et ses alliés à une tellurocratie – puissance des terres incarnée par la Russie – associée à la puissance montante (la Chine) et leurs alliés.
Dans le cadre du modèle qu’il a développé, Philippe Fabry écarte les aspects moraux et s’attache aux causes profondes qui amènent le déclenchement de la confrontation entre deux grandes puissances rivales. Il ne s’agit ainsi pas de définir « un méchant » et « un gentil », mais d’étudier les dynamiques qui entrainent les protagonistes vers une confrontation inexorable.
« Il est difficile d’estimer que les soucis stratégiques de la puissance américaine sont plus ou moins valables que les soucis stratégiques de la puissance russe », explique ainsi l’auteur. « C’est toujours un tango qui amène à la guerre entre l’impérialiste revanchard et la puissance de la thalassocratie, qui est dominante. »
S’il explique que la forme précise que prendra cette confrontation géostratégique majeure n’est en revanche pas encore clairement établie, Philippe Fabry est enclin à privilégier l’hypothèse « d’une guerre à grande échelle, y compris sur le territoire européen. »
Une guerre menée de manière conventionnelle, qui pourrait durer plusieurs années et s’étendre « sur tous les espaces qui ne sont pas directement protégés par la force nucléaire, c’est-à-dire tous les espaces entre le territoire français et le territoire russe, qui ne sont que sous parapluie nucléaire franco-américain dans le cadre de l’Otan. »
D’après Philippe Fabry, il est en effet peu probable que les puissances nucléaires de l’Otan fassent usage de leurs armes nucléaires pour défendre leurs alliés qui en sont dépourvus au cas où ceux-ci seraient attaqués. « Dans le cadre du nouvel ordre de la guerre, les puissances ne sont vraiment prêtes à tirer des missiles nucléaires que pour défendre leurs intérêts vitaux immédiats, pas pour défendre d’autres pays. »
Pour l’essayiste, d’autres fronts pourraient également émerger ailleurs dans le monde, notamment en Asie, où la Chine pourrait éventuellement profiter d’un conflit de grande ampleur sur le Vieux Continent pour essayer de faire main basse sur certains territoires comme le Cachemire ou Taïwan.
« Le soutien actuel de la Chine à la Russie est aussi total qu’il peut l’être dans ces circonstances. J’entends beaucoup de gens dire qu’elle se détache de la Russie, mais non ! La Chine explique que leur amitié est solide comme un roc, elle établit un gros contrat avec Gazprom, elle ne s’associe pas aux sanctions économiques, elle s’est abstenue au Conseil de sécurité de l’Onu. »
« Je pense que si les Russes commençaient à être en difficulté, nous pourrions peut-être même assister à un soutien accru de la Chine, par crainte de se retrouver isolée sur la scène internationale. Car si la Russie tombait, la Chine n’aurait de fait plus d’allié de taille dans le monde, elle se retrouverait coincée entre l’Inde et les États-Unis avec uniquement des pays hostiles sur ses marges, ce qui serait un désastre stratégique pour elle. »
« La Chine pourrait tenter quelque chose chez l’un de ses voisins, mais tant que les Américains ne seront pas directement impliqués en Europe et qu’elle n’aura pas l’impression que c’est une diversion suffisamment solide, je pense qu’elle ne bougera pas. » Et l’essayiste de poursuivre : « Elle est dans l’expectative car si la Russie s’enlise et commence à avoir des difficultés en Europe, la Chine devra éviter que la Russie s’effondre plutôt que d’agir sur ses propres marges, ce sera plus important stratégiquement. Si, au contraire, la Russie remporte un succès et parvient à enliser les Américains en Europe, je pense que la Chine interviendra. »
Selon Philippe Fabry, la France pourrait d’ailleurs se retrouver dans une position particulière si un conflit géostratégique éclatait, étant elle-même en proie à des troubles sociaux intérieurs importants à même de susciter « une crise de régime, avec peut-être un effondrement de la Ve République » dans un avenir proche. « La France a ceci de particulier qu’elle est le seul pays en Europe dont le régime ne répond pas aux standards démocratiques de ses voisins », explique-t-il.
« Nous avons un régime qui est structurellement beaucoup plus proche de celui de Vladimir Poutine que de celui de nos voisins européens. Cela ne veut pas dire que Macron est comparable à Poutine, cela veut dire que la structure constitutionnelle de notre régime est plus proche de la Russie que de celle de nos voisins. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de véritable séparation entre le chef de l’État et le chef du gouvernement. C’est le chef de l’État qui commande, le chef du gouvernement obéit. Il n’y a pas de véritable responsabilité du gouvernement devant la représentation nationale, puisqu’il n’y a jamais de motion de censure faisant tomber un gouvernement sous la Ve République, en revanche le président de la République décide de faire des remaniements. Il n’y a pas véritablement de séparation des pouvoirs. »
« Nous sommes un régime structurellement autoritaire vieillissant, et les régimes autoritaires vieillissants se terminent en révolution. Nous avons déjà eu des prémices, il y a eu les Bonnets rouges, ensuite les Gilets jaunes, puis les mouvements anti pass sanitaire. Nous avons des crises qui sont de plus en plus longues et de plus en plus rapprochées. Tout cela, selon moi, indique un basculement qui, effectivement, pourrait avoir lieu pendant que l’Europe est en guerre. »
« Nous pourrions nous retrouver dans une situation similaire à celle de l’Espagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Du fait des problèmes rencontrés avant la guerre, l’Espagne s’est retrouvée hors jeu pendant le conflit. »
« Nous pourrions en quelque sorte nous retrouver dans la position d’une puissance neutre. En cas de grande victoire de la Russie contre les forces de l’Otan en Europe de l’Est, par exemple, il est tout à fait possible que nous sortions de l’Otan et que nous laissions les autres se débrouiller comme l’a fait l’Espagne de Franco pendant la Seconde Guerre mondiale. »
Retrouvez l’analyse intégrale de Philippe Fabry dans la vidéo.
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