Ariane Bilheran est docteur en psychopathologie, psychologue clinicienne et philosophe. Spécialiste de l’étude des manipulations, de la perversion, de la paranoïa et du harcèlement, elle a écrit de nombreux ouvrages et donné plusieurs conférences en lien avec ces sujets au cours de sa carrière.
Vincent Pavan est maître de conférences et chercheur en mathématiques à l’université d’Aix-Marseille, département Polytech. Ses recherches portent notamment sur la théorie cinétique et l’équation de Boltzmann.
Il y a quelques mois, Ariane Bilheran et Vincent Pavan ont publié Le Débat interdit – Langage, Covid et totalitarisme aux éditions Guy Trédaniel.
Un ouvrage qui interroge la façon dont la langue, la logique et la science ont été dévoyées et perverties par le pouvoir politique, les médias ainsi que certains médecins et scientifiques pour exercer une contrainte psychique sur la population dans le cadre de la crise sanitaire.
« J’avais identifié que nous avions affaire à ce qu’on appelle un peu vulgairement une psychose de masse, c’est-à-dire un délire, une croyance totalement dénuée de rapport avec la réalité de l’expérience. Il fallait remonter aux premiers principes de ce délire paranoïaque, comprendre sur quoi il se fonde », explique Ariane Bilheran.
« Il est très important de revenir aux racines du délire paranoïaque, que ce soit d’ailleurs pour l’individu ou pour le collectif, pour en saisir la nature et, surtout, le mensonge. C’est ce que nous avons fait en interrogeant les conditions d’exercice de la science. Nous avons fait un travail d’épistémologie et de condition philosophique, de philosophie des sciences. »
« Dès que l’on comprend qu’il y a eu une corruption de la science, et en particulier des mathématiques, une imposture frauduleuse dès le départ, on comprend aussi que toute la suite ne tient pas debout », poursuit la philosophe.
Un constat que partage Vincent Pavan : « J’ai été bouleversé de me rendre compte que les mathématiques qui, normalement, sont une discipline très précise, très rigoureuse, ont été complètement dévoyées, qu’elles ne servaient pas à décrire le réel mais, au contraire, à créer l’illusion de façon totalement délirante. »
« Ce discours mathématique dévoyé, ce discours scientiste, servait à la fois une idéologie politique et également un comportement psychique de nature sans doute paranoïaque ou pervers. »
« Nous voulions comprendre l’articulation entre le discours scientiste et la façon dont il était récupéré par l’idéologie pour manipuler et faire en sorte que tout le monde avance dans le sens du délire », observe le mathématicien.
S’ils se sont attachés à mettre en lumière la façon dont les mathématiques et la science ont fait l’objet d’une instrumentalisation politique pendant la crise, Ariane Bilheran et Vincent Pavan ont également analysé la façon dont la langue et les discours ont été manipulés, corrompus et avilis afin de subjuguer la population et de justifier les mesures politiques prises dans le cadre de l’épidémie.
« Nous avons analysé la logique, la rationalité et, bien sûr, la question de l’utilisation de la langue pour créer le lavage de cerveau, ou, pour reprendre un terme de Mao, la rectification de la pensée », souligne Ariane Bilheran.
« Tous les phénomènes manipulateurs empruntent le chemin d’une imposture, d’une perversion au nom de la langue pour réussir à semer le doute, la confusion et entraîner l’autre dans sa propre histoire, c’est-à-dire dans une histoire où l’on voudrait qu’il soit prisonnier », ajoute-t-elle.
Dans le cadre de leur analyse de la corruption du langage, Ariane Bilheran et Vincent Pavan se sont notamment appuyés sur les travaux de Victor Klemperer, écrivain et philologue allemand victime des persécutions nazies qui a étudié les ressorts de la propagande du régime hitlérien et la façon dont la langue fut manipulée pour asseoir l’idéologie totalitaire du IIIe Reich.
« Dans le phénomène totalitaire, il y a la question de la censure de la liberté d’expression. Il y a des mots qui deviennent dangereux, que l’on n’a plus le droit de prononcer, et il y a des mots qui sont sanctifiés, que nous devons au contraire intégrer dans la nouvelle religion », précise Ariane Bilheran
Pour les auteurs du Débat interdit, les champs politique et médiatique n’ont d’ailleurs pas hésité à recourir à des mécanismes de manipulation bien connus en psychologie pendant l’épidémie liée au virus Sars-CoV-2, certaines méthodes employées s’apparentant, selon eux, à une forme de « torture psychologique ».
« Pour coloniser quelqu’un psychiquement, il faut rentrer chez lui. Pour rentrer chez lui, il faut créer un choc, il faut créer ce que l’on appelle une effraction psychique, une effraction traumatique, c’est-à-dire le sentiment d’une imminence de mort pour soi ou pour autrui. Cela a été largement agité dans les médias de masse », explique Ariane Bilheran.
« Pour soumettre également quelqu’un, il faut réussir à créer ces chocs de façon répétée, sur la durée, en laissant des moments d’accalmie pour que la personne ait la sensation que c’est terminé. Ce sont des méthodes de torture psychologique », ajoute-t-elle.
D’après Vincent Pavan, plusieurs médecins et scientifiques intervenus dans les médias ont joué un rôle néfaste en entretenant la peur à travers des prédictions alarmistes reposant sur des modèles et des données erronés : « Il y a eu une manipulation de la parole scientifique, de la parole médicale qui s’apparente à une torture psychologique. En racontant des choses complètement fausses, en dehors de toutes les règles usuelles de prise de parole de la science ou de la médecine, on a plongé les gens dans une angoisse très importante. »
« Tous les médecins de plateaux télé qui ont annoncé l’apocalypse ont participé à cette confusion mentale. Des personnes qui, normalement, doivent être dans la modération, dans la mesure, dans le soin, jamais dans le sensationalisme, ont joué le rôle de prédicteurs d’apocalypse », poursuit le mathématicien.
Si les auteurs estiment que la gestion de la crise a mis en lumière la déconnexion entre la science et le réel, ils soulignent que les décisions prises et les discours tenus dans le cadre de l’épidémie révèlent aussi « un parti pris idéologique très puissant », la volonté de mettre en place une nouvelle organisation sociale dans laquelle l’homme serait privé de son humanité et de son identité propre afin d’être soumis à une logique techno-sanitaire.
« Ce qui est important, c’est de bien voir qu’il y a une véritable idéologie derrière. Elle s’impose de manière sournoise à travers la langue. L’étude de la langue dit souvent énormément de choses sur l’idéologie souterraine qui anime les décideurs, les idéologues, les propagandistes », explique Vincent Pavan.
« On veut réduire l’individu à un QR code, le mettre dans des banques de données, le réduire à un flux d’informations. C’est comme cela que l’on voit l’individu de demain […]. Dans la société du futur, c’est l’algorithme optimal qui donnera le mode d’organisation de la société, et si vous n’êtes pas d’accord, vous faites partie des gens qui n’auront vraisemblablement plus le droit de vivre en société. »
Pour Vincent Pavan, cette idéologie sous-jacente est notamment caractérisée par l’hubris et le transhumanisme : « Il y a cette idée que nous allons vers le futur homme-machine pour sauver l’individu, défini par son information et sa mémoire. L’augmentation de l’homme par la biotechnologie fait partie des moyens de le débarrasser des scories de son corps. »
« Le surhomme doit être créé pour aller vers une société optimale. Les mathématiques sont censées nous guider vers cette société optimale que seul l’ordinateur pourrait calculer en disposant de tous les paramètres. Dans les sociétés totalitaires, c’est toujours l’ensemble qui prime sur l’individu, et si la solution optimale pour l’ensemble nécessite que l’on se passe de certains, on le fera. Il y a cette idée des « inutiles », chère à Yuval Noah Harari, que l’on voit d’ailleurs à travers la suspension des personnels non vaccinés, qui sont considérés non essentiels alors que l’hôpital hurle du manque de moyens, que les pompiers se battent contre les incendies, etc. On les laisse en dehors car, refusant la biotechnologie que l’on veut leur imposer, ils ne peuvent prétendre au statut d’homme augmenté qui seul pourra, à l’avenir, permettre de constituer une société meilleure, optimale à tous les niveaux. »
« La division de la société entre des surhommes et des sous-hommes est aujourd’hui totalement assumée, ajoute Ariane Bilheran, c’est quelque chose qui, à mon avis, doit poser question. La logique totalitaire est une logique de division, une logique de sacrifice de ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ne peuvent pas accéder au nouveau stade du surhomme tel qu’il va être défini selon l’idéologie du moment. »
« Dans la pensée paranoïaque, le corps humain est un objet inerte, une gestion statistique de corps infectés, non-infectés, l’individu est réduit à un cas. Il n’y a pas d’interactions complexes, les êtres humains sont réduits à des corps et à des chiffres, ce qui légitime l’utilisation de QR Codes et notre asservissement, voire une éventuelle éradication future, puisque s’il y a trop de chiffres dans l’équation, il faut bien les supprimer. »
Pour Ariane Bilheran, la gestion de la crise sanitaire a ainsi consacré « l’ambition de traiter les êtres humains comme des unités mathématiques ».
« Cela traduit une société terrifiée par la vie, qui cherche à se maintenir dans la survie. La vie suppose des prises de risque et de l’aventure, c’est aussi de l’imprévu, de l’accident, du mouvement ; et c’est aussi la maladie et la mort. »
Et la philosophe de conclure : « Je crois que la masse a rarement raison. Quand nous sommes témoins de phénomènes collectifs qui s’emballent, nous devons garder une certaine distance afin d’analyser ce qui se passe avant d’accepter d’y rentrer. »