L’étude scientifique de l’intelligence humaine remonte à plus de 100 ans. À cette époque, il y avait plusieurs écoles de pensées sur la façon de la mesurer. Le désaccord principal entre chercheurs et théoriciens reste aujourd’hui de savoir si elle est ancrée dans nos gènes ou bien si elle est largement influencée par l’environnement. En somme, relève-t-elle de la nature ou de la culture ?
À la fin des années 1800, l’Anglais Sir Francis Galton (1822-1911) a été l’un des premiers à étudier l’intelligence. Il a tenté de mesurer les caractéristiques physiques des personnes nobles, et il a créé un laboratoire pour mesurer leur temps de réaction et d’autres traits physiologiques et sensoriels. Regardé comme l’un des pères de la recherche moderne sur l’intelligence, Galton a été précurseur dans l’utilisation de méthodes psychométriques et statistiques. Au vu de la technologie actuelle, sa mesure des paramètres biologiques n’a pas été particulièrement pertinente. Mais il a pu forger des hypothèses testables concernant l’intelligence, que ses successeurs ont utilisées.
Les premiers tests de QI
Il faudra attendre le tournant du XXe siècle pour que le Français Alfred Binet (1857-1911) développe la première évaluation ressemblant à un test moderne d’intelligence. Binet détermina une liste de questions afin de pouvoir séparer les enfants qui auraient des difficultés d’apprentissage ou auraient besoin d’une aide spéciale des autres jeunes de différents âges qui, pensait-il, pourraient répondre correctement. Son test était fondé sur le postulat que l’intelligence se développait avec l’âge mais qu’entre pairs, elle était d’un niveau relativement stable.
Le psychologue allemand William Stern (1871-1938) introduit, lui, l’idée d’un quotient de l’intelligence ou QI (Quotient intellectuel). Il s’agissait d’une formule pour la détermination d’un âge mental qui pourrait être évalué par un test, comme celui conçu par Binet, divisé par l’âge de la personne et multiplié par 100. Lewis Madison Terman (1877-1956), professeur de psychologie cognitive à l’université Standford, a pour sa part retravaillé le test de Binet pour qu’il soit utilisable aux États-Unis. Il s’agissait de l’actualiser sur plusieurs points, surtout pour en faire une version pour adultes. Et, dans les années 1930, un autre psychologue américain, David Wechsler (1896-1981), a développé plus avant l’idée d’évaluation de l’intelligence des adultes par le moyen de tests écrits.
Les tests modernes, le Wechsler et le Stanford-Binet, ont été grandement améliorés par les scientifiques durant tout le XXe siècle. Ils représentent un progrès important dans l’évaluation psychologique, et mesurent un large éventail de processus cognitifs – vocabulaire, connaissances, arithmétique, mémoires immédiates et à long terme, traitement spatial et raisonnement – avec beaucoup de précision.
L’un des principales controverses à propos de ces tests est relative au mouvement eugéniste mais cela dépasse le cadre de cet article. Pour quelques informations sur les liens entre eugénisme et tests d’intelligence, voici par exemple une émission radio. Concernant la situation aux États-Unis, on peut lire cet article.
D’où vient l’intelligence ?
Les résultats aux tests se sont avérés prédire une grande variété de variables, scolaires, académiques et d’organisation. Mais il y a également d’autres types de tests d’intelligence qui mesurent seulement les capacités non verbales.
L’armée américaine utilise par exemple les tests Army Alpha et Beta, pour mesurer l’intelligence des candidats, certains d’entre eux étant illettrés. Pour ceux qui ne peuvent pas lire ou écrire, les tests utilisent une série de questions portant sur le raisonnement afin d’évaluer les différences d’intelligence.
Ce genre de tests a été perçu par beaucoup comme étant « culturellement acceptable », c’est-à-dire sans discrimination envers des gens à l’éducation lacunaire, ou d’un niveau médiocre pour l’écriture et le langage. Et certains chercheurs et théoriciens ont affirmé qu’ils pouvaient être utilisés « équitablement » et « avec objectivité » pour évaluer la vraie capacité intellectuelle des individus.
Les scientifiques mettent souvent en lumière un lien fort entre la performance réalisée à un test de QI et la réussite en matière d’éducation ; Les scores atteints même à un jeune âge peuvent prédire les bons résultats scolaires des années à venir. L’une des raisons pour lesquelles les tests de QI prédisent la réussite scolaire pourrait bien être qu’ils couvrent les mêmes champs et ont été construits pour cela. Depuis que la résolution de problèmes et le raisonnement sont enseignés, un parcours éducatif plus long et de qualité se traduit souvent par de bons résultats aux tests de QI de même qu’aux évaluations scolaires. Les enfants qui manquent souvent l’école ont aussi un QI plus bas. Des élèves plus âgés dans une même classe qui ont pu bénéficier d’une année supplémentaire ont souvent un score significativement plus élevé.
Cela a conduit beaucoup de psychologues et d’enseignants à se poser la question de savoir si les tests de QI étaient réellement acceptables pour certains groupes. Mais d’autres ont affirmé qu’un troisième facteur – le statut socio-économique – était ici à l’oeuvre. Il est probable que les parents les plus fortunés passent plus de temps à aider leurs enfants à se développer et disposent de plus de moyens pour le faire.
Alors qu’il s’agit là d’une croyance répandue, la recherche montre que c’est plus complexe. Quand on prend en compte le statut socio-économique des parents, le QI prédit la performance scolaire. Mais quand le QI est contrôlé, les liens entre les deux sont plus distendus. Tout cela suggère que, bien que le statut socio-économique soit un facteur important à considérer quand on évalue le développement d’un enfant, il y a d’autres liens entre QI et performance scolaire qu’il est nécessaire de prendre en compte.
Nature et culture
Beaucoup de scientifiques continuent d’affirmer que les capacités cognitives mesurées par les tests de QI ont un fondement génétique. Mais il y a assez peu de preuves pour étayer ce point de vue, malgré des centaines de millions de dollars dépensés pour identifier les gènes qui permettent l’intelligence et la cognition. Cette prise de position a évolué au cours du temps : on a commencé par espérer identifier une petite poignée de gènes associée à l’intelligence avant d’admettre que, s’il existe un tel socle génétique, des milliers de gènes contribuent à de petites variations dans les résultats des QI.
Même si nous pouvions identifier les gènes de l’intelligence, le postulat selon lequel ils agiraient indépendamment de l’environnement est erroné. Nous savons que les gènes « s’allument » et « s’éteignent », en fonction de stimulus qui proviennent de l’environnement. Créer de meilleures conditions d’existence à des périodes cruciales du développement pourrait ainsi avoir un profond effet sur notre intelligence. Certaines études montrent, par exemple, qu’une action en faveur de la nutrition peut améliorer les performances cognitives bien qu’il y ait encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine.
Les tests de QI ont eu beaucoup de détracteurs. Certains ont suggéré que l’intelligence devenait ni plus ni moins ce que mesurait les tests de QI. Par exemple, l’un des premiers historiens de la psychologie, Edwin Boring, professeur à Harvard, disait que l’intelligence est ce que les tests testent.
La construction de l’intelligence humaine est fondamentale pour les sociétés dans lesquelles nous vivons. L’intelligence est cruciale pour découvrir des choses nouvelles, trouver des solutions aux problèmes importants, et pour beaucoup d’autres importantes réalisations que nous trouvons essentielles. De nombreuses questions restent posées, non seulement pour la façon de mesurer l’intelligence, mais aussi pour savoir comment l’accroître et préserver nos capacités cognitives du déclin dû à l’âge.
Con Stough, Professor & Co-Director, Swinburne Centre for Human Psychopharmacology, Swinburne University of Technology
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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