Suite au rassemblement du 6 mai organisé par le Comité du 9 mai en mémoire du militant nationaliste Sébastien Deyzieu, et de la colère que celui-ci a provoquée dans les rangs de la gauche, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé sa volonté d’interdire toute manifestation jugée d’« ultradroite ». Une décision qui fait craindre à certains observateurs une nouvelle atteinte à la liberté : les directives gouvernementales transmises au préfet, par la grande latitude d’interprétation qu’elles confèrent, pourraient conduire à des interdictions de manifestations de façon arbitraire. D’ores et déjà, plusieurs rassemblements prévus ce weekend ont été interdits. Mais tous font l’objet de référés libertés devant la justice administrative, qui a décidé de lever l’interdiction du colloque « La France en danger » organisé par le mouvement royaliste Action Française, apprenait-on ce samedi.
Samedi 6 mai, une majorité des membres du « comité du 9-mai » ont défilé dans le 6e arrondissement de Paris avec le visage dissimulé pour commémorer le décès de Sébastien Deyzieu. 29 ans plus tôt, en marge d’une manifestation « contre l’impérialisme américain » interdite par les autorités, ce militant nationaliste était décédé à l’âge de 22 ans, à la suite d’une chute du toit d’un immeuble situé au 4 rue des Chartreux, alors qu’il tentait d’échapper à la police.
Selon les chiffres de la police, environ 550 personnes (700 selon les organisateurs) étaient réunies derrière une banderole sur laquelle on pouvait lire « Sébastien présent ». Habillés en noir, souvent cagoulés ou masqués et gantés de noir, les manifestants portaient des drapeaux noirs ornés de croix celtiques. Depuis son départ au niveau du métro Port-Royal jusqu’à la rue des Chartreux, où les participants ont déposé une gerbe, le cortège est resté silencieux, sauf pour scander, à la fin de la manifestation, « Sébastien présent » et « Europe jeunesse révolution ».
Derrière ce rassemblement, le Comité du 9 mai (C9M), un collectif créé quelques jours après la mort du jeune homme par des membres du GUD (Groupe union défense), des Jeunesses nationalistes révolutionnaires et du Front national de la jeunesse (désormais Rassemblement national de la jeunesse). Chaque année, ce dernier organise un défilé en mémoire du jeune militant de l’Œuvre française. Dissous en 2013 sous la présidence socialiste de François Hollande, ce mouvement politique français se présentait comme « à la pointe du combat nationaliste, de l’action antisioniste et antimarxiste au sein de la nation française ». Pour adhérer à l’OF, Pierre Sidos, son fondateur, estimait que le profil idéal était le suivant : « politiquement très national, physiquement européen, spirituellement chrétien, intellectuellement rivarolien, électoralement frontiste » (Rivarol du 2 novembre 2007), rapporte Le Monde, qui rappelle que le groupe « viscéralement anticommuniste » appelait de ses vœux à lutter contre le « shoatisme », un terme utilisé par les personnes qui remettent en cause l’existence de la Shoah, un délit au titre de la loi Gayssot du 13 juillet 1990 (du nom de son initiateur le député communiste Jean-Claude Gayssot).
La gauche monte au créneau
Devant les images de cette manifestation, le gouvernement a essuyé un torrent de critiques émanant des rangs de la gauche, qui juge inacceptable d’avoir autorisé ce rassemblement. Sur Twitter, le sénateur socialiste de Paris David Assouline estime ainsi « inadmissible d’avoir laissé 500 néo-nazis et fascistes parader au cœur de Paris ». De son côté, Ian Brossat, porte-parole du Parti communiste français et adjoint au maire de Paris, n’hésite pas à affirmer qu’en autorisant cette « manif nazie », « c’est open-bar pour l’extrême droite avec ce gouvernement ».
En réaction, le même jour, la préfecture de police de Paris a publié un communiqué pour justifier sa décision : « Dans la mesure où cette manifestation n’avait occasionné, les années précédentes, aucun débordement ou trouble à l’ordre public, le préfet de police n’était pas fondé à prendre un arrêté d’interdiction à son encontre ».
La préfecture souligne également que le rassemblement « a fait l’objet d’un encadrement adapté par les forces de l’ordre, pour éviter tout risque de débordement ou d’affrontements ». Elle assure enfin que « tout fait délictuel constaté lors de cette manifestation ou que l’exploitation postérieure des images permettrait d’identifier fera l’objet d’un signalement à l’autorité judiciaire ». Avant le défilé, la préfecture avait pris un arrêté pour autoriser l’enregistrement d’images du cortège par drone.
Invité de france info lundi 8 mai, le préfet de police de Paris Laurent Nuñez « assume évidemment totalement » la décision de ne pas interdire ce cortège. « Pour interdire une manifestation déclarée, il faut que je sois en capacité de justifier qu’elle risque d’entraîner des troubles à l’ordre public », fait-il valoir avant de rappeler que « les précédentes marches similaires s’étaient déroulées sans incident ». Laurent Nuñez assure cependant qu’il a déjà « saisi l’autorité judiciaire pour les individus qui avaient le visage dissimulé », ce qui est interdit par la loi.
Dans le cortège, étaient également présents Axel Loustau et Olivier Duguet, ex-trésoriers de Jeanne, micro-parti de la dirigeante du Rassemblement national, également deux hommes qui seraient proches de Marine Le Pen. Interrogée mardi sur Sud Radio, elle l’affirme : « Ce ne sont pas mes proches. »
De son côté, fustigeant « la gauche institutionnelle » et « la répression de plus en plus intense des nationalistes et identitaires depuis 10 ans », le GUD a annoncé sur Twitter son intention de poursuivre son combat : « Nous avons parfaitement conscience d’être pris pour cible comme l’ennemi idéologique principal du pouvoir et ne comptons pas baisser les bras face à ce déferlement de haine. Chaque année, nous continuerons de commémorer Sébastien et de rappeler le prix de notre engagement. »
Une réponse du gouvernement liberticide
Face à la polémique, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a décidé de prendre des mesures radicales, qualifiées même de « liberticides ». Dans une note adressée aux préfets, celui-ci entend interdire toute manifestation identifiée comme appartenant à « l’ultradroite » en leur demandant de s’appuyer sur la jurisprudence dite « Dieudonné », qui s’applique à une interdiction de spectacle. En janvier 2014, à Nantes, le spectacle de l’humoriste intitulé « Le mur » avait été interdit par le Conseil d’État, la plus haute juridiction jugeant qu’il existait un « risque sérieux que soient portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine ».
« Au regard du programme du rassemblement, des associations qui manifestent, ou des personnalités susceptibles d’y participer », les préfets devront déterminer si la manifestation présente un risque que « des slogans ou des propos de nature à mettre en cause la cohésion nationale ou les principes consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine (…) soient exprimés », est-il écrit dans la note. Le ministre donne des exemples de propos répréhensibles : « apologie de la collaboration », « slogan prônant la remigration », « amalgame entre immigration et islamisme ou terrorisme ou délinquance », « exaltation de personnalités ou d’évènements mettant gravement en cause les principes républicains ». Sont également ciblés les « discours assimilant de manière systématique les personnes d’origine non européenne à des délinquants et une menace à combattre et les personnes de confession musulmane à des islamistes radicaux » ou encore l’instrumentalisation de « faits divers impliquant des personnes d’origine étrangère pour désigner les étrangers à la vindicte ».
Dans l’émission « Face à l’info » du 11 mai sur CNews, la journaliste Charlotte d’Ornellas s’est employée à décortiquer ces nouvelles directives. Soulignant qu’extrême gauche et extrême droite étaient des catégories politiques sans valeur juridique, elle a tout d’abord lancé que Gérald Darmanin « prépare l’humiliation de certains préfets devant les tribunaux » : « S’il y a des préfets zélés et obéissants et qui suivent à la lettre cette circulaire, ils risquent tout simplement d’être déboutés devant un tribunal. »
Néanmoins, la chroniqueuse voit derrière cette décision du ministre de l’Intérieur « des dispositions disproportionnées qui relèvent de la censure », car, à partir de ces consignes, il serait possible de faire « interdire 100% des manifestations ». Prenant appui sur l’opacité de la notion de « tradition républicaine » et rappelant que « le débat démocratique lui-même est de nature à mettre en cause la cohésion nationale », elle souligne que « l’interprétation du texte de Gérald Darmanin est tellement large qu’elle est à première vue absurde, mais qu’elle peut rapidement devenir dangereuse ».
Sur les propos visés par Gérald Darmanin, Charlotte d’Ornellas rappelle enfin que celui-ci « prône lui-même, factuellement, la remigration de tous les délinquants étrangers », qu’interdire « l’exaltation de personnalités ou d’évènements mettant gravement en cause les principes républicains » pourrait revenir à s’interroger sur la prohibition des exploits de Napoléon Bonaparte, du baptême de Clovis ou de l’hommage à Jeanne d’Arc, et que, s’agissant de « l’instrumentalisation de faits divers impliquant des personnes d’origine étrangère », « Darmanin nous a fait un sketch sur les supporters britanniques » au moment des évènements du stade de France l’été dernier. Aussi, pour la journaliste, ces directives pourraient permettre in fine d’interdire des manifestations sur la base de décisions « arbitraires ».
Plusieurs rassemblements interdits ce weekend
En application des nouvelles instructions données par le ministre de l’Intérieur, la préfecture de police a interdit six rassemblements prévus ce weekend à Paris. En réponse, tous les organisateurs de ces différents évènements ont décidé de saisir la justice administrative dans le cadre de référés libertés, une procédure d’urgence lorsque le requérant estime faire face à une « atteinte grave et manifestement illégale » à une liberté fondamentale de la part d’un service de l’État.
L’un d’entre eux a abouti : l’interdiction d’un colloque intitulé « La France en danger » organisé par l’Action Française pourra finalement bien se tenir ce samedi après-midi, suite à la suspension de son interdiction prononcée par le juge des référés, apprend-on ce samedi. L’ancien porte-parole d’Eric Zemmour, Jean Messiha, devrait y participer, aux côtés de l’historien Bernard Lugan ou encore de Jean-Frédéric Poisson, président de Via.
Parmi les autres manifestations, pour l’instant interdites dans l’attente d’un retour de la justice, on recense le traditionnel hommage à Jeanne d’Arc organisé par le même mouvement monarchiste dimanche matin, une marche de l’association de militaires « Place d’armes », un rassemblement déclaré par le mouvement Les nationalistes devant la statue de Jeanne d’Arc, un rassemblement statique de l’association Penser la France, ou encore une sixième manifestation de Gilets jaunes.
Pour justifier leur interdiction, le préfet de police, Laurent Nunez, a notamment mis en avant le risque de troubles à l’ordre public alors que plusieurs de ces manifestations ont suscité des appels à des contre-rassemblements par des organisations « proches de la gauche radicale » et qu’une mobilisation de la « mouvance antifasciste » pourrait « tenter de s’en prendre physiquement » aux participants.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.