ENVIRONNEMENT

Lactation continue : l’éleveur qui pousse le bien-être animal à un niveau encore plus haut

février 28, 2025 10:18, Last Updated: février 28, 2025 23:59
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Et si un autre rapport au vivant, plus respectueux du bien-être animal et en symbiose avec son environnement, était possible ? Grâce à la technique de la lactation continue, Jean-Yves-Ruelloux, chevrier installé en centre-Bretagne, n’a plus besoin de mener de chevreaux à l’abattoir. Ses chèvres lui donnent du lait en continu, toute l’année, généralement après avoir eu un petit une seule fois dans leur vie. L’une d’elle a 15 ans et continue à produire du lait après 14 ans de lactation. En moyenne, elles donnent du lait pendant au moins 10 ans et sont en bien meilleure santé que celles qui mettent bas chaque année.

Il se considère comme un élément intégré parmi d’autres dans l’écosystème. Jean-Yves, paysan de 69 ans, est plus intéressé par le bien-être de ses chèvres et de ses arbres que par le productivisme. Il a choisi de garder sa ferme, située près du Faouët dans le Morbihan, à toute petite échelle au lieu de produire toujours davantage, préférant l’idée de « s’échanger des services avec les animaux » que celle de les exploiter.

 

Jean-Yves Ruelloux est passionné par les arbres. Au fil des années, il en a planté beaucoup dans son oasis de 28 hectares. Photo prise en novembre 2024. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

J’ai rencontré Jean-Yves pour la première fois quand j’étais enfant, sur le marché de Port-Louis. À cette époque, il avait le temps de lire en attendant le client – les choses ont bien changé depuis. Après avoir remarqué qu’il lisait des livres de philosophie, mes parents ont commencé à lui acheter chaque samedi ses délicieux fromages et à discuter avec lui.

Au fil des ans et des marchés hebdomadaires, la petite fille timide que j’étais a, peu à peu, tissé des liens avec lui. Puis j’ai été sa toute première stagiaire l’été de mes 18 ans. Cette période où j’ai tant appris, que j’ai qualifiée de « plus bel été de ma vie » a changé à jamais mon rapport à la nature. Une longue amitié me liant à Jean-Yves et à sa conjointe Béatrice, pourtant des « vieux » qui avaient 25 ans de plus que moi, s’est tissée.

 

En 2024, Jean-Yves se fait aider d’une stagiaire au marché de Port-Louis. Tous les fromages sont vendus en une heure seulement tellement ils sont devenus populaires. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

À l’époque, même si la ferme était opérée en mode conventionnel, avec des mises-bas annuelles et l’abattage des chevreaux, il existait déjà une forme de symbiose et de respect entre Jean-Yves, ses animaux, ses arbres et ses bambous. Au fil des ans, j’ai continué à faire des séjours ou des visites à la ferme, à discuter avec Jean-Yves au marché de Port-Louis à chacun de mes passages en Bretagne. Tout au long de cette trentaine d’années, j’ai été témoin de l’évolution de cette oasis de nature du nom de Minemeur.

Onze minutes qui ont changé sa vie

Depuis 2019, il y a eu de gros changements dans la vie de Jean-Yves. Non qu’il y ait eu un changement radical à sa ferme à ce moment-là, loin de là. C’est un petit entretien de onze minutes dans une émission de radio de France Culture, au sujet d’une pratique adoptée par le chevrier dès 2005, qui a tout changé pour lui. Un sujet qui semblait n’intéresser personne jusque-là.

Cette pratique, c’est la lactation continue, qui consiste à maintenir l’animal en traite pendant toute sa vie, sans nouvelle mise-bas. Cela signifie qu’il n’y a pas de chevreaux, principalement de mâles, à envoyer à l’abattoir chaque année. Il faut savoir que dans les élevages conventionnels ainsi que dans la tête de bien des gens, c’est la mise-bas qui conditionne la lactation. Bien que Jean-Yves ait adopté la lactation continue en 2005, cela s’inscrivait tout simplement dans la continuité de tout ce qu’il avait entrepris jusque-là, depuis son arrivée sur sa terre en 1981.

Avant la lactation continue, il y a eu la lactation longue. « Je pense que, quand tu as fait ton stage, il y a des chèvres qui ont dû faire plus d’une année de lactation », me confie Jean-Yves pendant qu’il fait ses fromages du jour.

L’évolution vers la lactation continue s’est passée naturellement, sans que l’éleveur le note ou le fasse consciemment. « J’ai glissé vers la lactation continue tout doucement, puis après, c’était très bien. Donc j’ai continué », se souvient-il.

 

Les fromages faits par Jean-Yves sont les meilleurs au monde, mais je ne suis pas très objective… (Nathalie Dieul/Epoch Times)

C’est en 2005 que le grand changement s’est produit à la ferme. Cette année-là, Jean-Yves a pris une décision importante : il n’y a pas eu de saillies du tout. Les chèvres ont continué à donner du lait et les années ont passé. Il n’est pas rare que ses animaux soient en lactation pendant dix, douze ou même quatorze ans, alors que dans l’industrie, les chèvres sont généralement envoyées à l’abattoir à l’âge de quatre ans – dès qu’elles produisent moins.

Il y avait des chèvres que je ne faisais pas saillir en me disant qu’elles allaient faire moins de lait et que ça allait être super. En fait, je me suis aperçu qu’elles ne faisaient pas moins de lait.
— Jean-Yves Ruelloux, chevrier

L’une des raisons pour lesquelles l’éleveur a expérimenté la lactation continue, c’était au départ pour essayer de produire moins de lait. À cause des normes de la MSA (la Sécurité sociale agricole, ndlr), il devait avoir un minimum de trente chèvres pour pouvoir être officiellement déclaré agriculteur.

« Mais c’était beaucoup trop de production pour moi, trente chèvres », se souvient le chevrier, qui travaille seul la plupart du temps sur son exploitation, avec l’aide ponctuelle de Béatrice. « J’essayais de produire le moins de lait possible. Il y avait des chèvres que je ne faisais pas saillir en me disant qu’elles allaient faire moins de lait et que ça allait être super. En fait, je me suis aperçu qu’elles ne faisaient pas moins de lait. »

Avant, il n’y en avait pas beaucoup qui vivaient vieilles parce qu’il y avait toujours un problème à un moment ou un autre.
— Jean-Yves Ruelloux, chevrier

Si l’atout de pratiquer la lactation continue n’est pas là où il le cherchait, Jean-Yves a trouvé une multitude d’autres avantages : avoir du lait toute l’année  – au lieu d’avoir un pic de lactation, et donc de travail, au printemps – permet d’offrir un approvisionnement en fromages plus régulier à ses clients ; d’avoir du lait plus riche ; de ne plus avoir de problèmes vétérinaires liés à la mise-bas, à la fin de la gestation ou au début de la lactation. Ce sont de sérieuses économies en plus des avantages sur la santé de ses bêtes. Pour le paysan, c’est clair, « il n’y a que des avantages ».

 

Le troupeau de chèvres de Jean-Yves Ruelloux en 2013. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

Selon lui, ses chèvres vivent plus longtemps et surtout en bien meilleure forme. « Je me rappelle qu’avant, il n’y en avait pas beaucoup qui vivaient vieilles parce qu’il y avait toujours des soucis à un moment ou à un autre », explique-t-il. À cause des problèmes de mise-bas ou d’après mise-bas, elles ne vivaient pas plus de dix ans la plupart du temps.

L’une de ses pionnières de la lactation continue, Kiwi, a même vécu 18 ans. Après 13 ans de lactation, elle a eu droit à une retraite bien méritée à la ferme pendant les cinq dernières années de sa vie.

 

Jean-Yves fait la traite à la main. Depuis des années, rien n’a changé dans la chèvrerie, à part la lactation continue. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

Une autre chèvre, qui produit encore assez de lait pour faire un fromage par jour, va sur ses quinze ans, dont quatorze en lactation. Non seulement elle ne se tarit pas, mais elle n’était pas la dernière du troupeau cette année en terme de lactation.

Il y a aussi celles qui donnent du lait sans jamais avoir eu de chevreaux, il suffit de les traire et petit à petit elles commencent à donner du lait. Cela me rappelle cette femme médecin dans une conférence sur l’allaitement maternel : elle avait raconté avoir allaité le bébé qu’elle avait adopté.

Au moment de la traite, Jean-Yves me parle de la chevrette qu’il est en train de traire : « Elle a commencé la lactation au printemps. Elle a été deuxième du troupeau au cours de l’été. » Cette chevrette avait 50 % de risques d’être stérile. « Mais ce n’est pas grave finalement. Elle n’a pas besoin de faire de petits », remarque l’éleveur. Elle a produit jusqu’à 2,2 litres par jour pendant l’été sans jamais avoir eu de petits.

 

Lors de l’une des deux traites quotidiennes, la production de lait d’une chèvre qui n’a jamais eu de chevreau. Photo de 2023. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

« C’était dur pour moi, mais moins pour le chevreau »

L’un des principaux avantages de la lactation continue consiste dans le fait qu’il n’y a plus besoin de mener les chevreaux à l’abattoir chaque année. Je me souviens de cette tristesse que nous éprouvions lorsque tous ces mignons chevreaux devaient partir. Les mères appelaient leurs petits. Jean-Yves pleurait dans la voiture après avoir déposé les bébés dans un camion qui les emmenait dans la nuit avec d’autres chevreaux provenant d’autres exploitations, tout aussi stressés qu’eux.

Je me souviens aussi de certains privilégiés qui, au lieu de partir avec le lot, avaient droit à une autre mort. Le chevreau, tout joyeux, allait se promener avec Jean-Yves. L’éleveur réglait son sort avec un couteau bien affuté, sans même que le petit cabri ne se rende compte de quoi que ce soit.

« Je fais ça d’une façon particulière. Je ne programme jamais. À un moment, je décide d’un coup comme ça, sans y avoir réfléchi. Et quand je vois que toutes les conditions sont réunies, je le fais. »

Ce que je voyais à l’époque, c’était une mort beaucoup plus respectueuse pour le chevreau. Toutefois, c’était sans me rendre compte de ce qu’éprouvait mon ami, dont les sentiments ne transparaissaient pas. « C’était dur pour moi, mais moins pour le chevreau », reconnaît-il.

Pas de repos pour les chèvres, vraiment ?

La lactation continue est souvent décriée par ses détracteurs parce qu’ils reprochent à ceux qui la pratiquent d’imposer à leurs chèvres de donner du lait 365 jours par an, année après année, sans jamais leur permettre de se reposer. À chaque fois qu’on lui sert cet argument, Jean-Yves leur propose de demander aux femmes ce qu’elles en pensent.

Selon ses détracteurs, les chèvres se reposeraient en fin de gestation, après avoir fait du lait pendant trois mois en parallèle d’avoir développé des fœtus ? « Dites ça à une femme enceinte, que c’est du repos de faire des bébés ? Les gens ne se rendent pas compte de la bêtise que cela représente », s’insurge le chevrier.

Faire un bébé c’est une révolution à chaque fois, c’est une révolution de tout ton corps, une révolution hormonale.
— Jean-Yves Ruelloux, chevrier

Il a souvent parlé de ce sujet à des femmes qui ont allaité longuement leur enfant, jusqu’à trois ou quatre ans. Elles lui ont répondu que c’était fatiguant, comme de faire un travail physique, mais que cela se passe bien si elles s’alimentent davantage.

Par contre, « faire un bébé c’est une révolution à chaque fois, c’est une révolution de tout ton corps, une révolution hormonale », résume Jean-Yves. Sans compter le « pillage des stocks de minéraux » de la maman.

Le trio forêt, chèvre, humain

Selon lui, l’alimentation joue un rôle crucial dans la vie de ses chèvres, pour leur bien-être mais aussi pour leur lactation. « On n’est pas dans une usine à faire du lait, c’est un écosystème dans lequel il y a des chèvres, des humains, des arbres, des abeilles », explique-t-il.

 

Le troupeau de Jean-Yves en 2013. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

« Une chèvre, ce n’est pas un être qu’on met dans un bâtiment avec des camions qui viennent, qui amènent de la nourriture. La vie d’une chèvre, c’est de trouver sa nourriture. Et il faut que la vie de la chèvre ressemble à ce qu’elle devrait vivre si elle était en liberté. D’où la forêt et le trio forêt, chèvre, humain. »

J’ai toujours vu Jean-Yves porter beaucoup d’importance à la qualité de l’herbe de ses prairies, à déplacer ses filets chaque jour pour donner à ses chèvres de la bonne herbe tous les jours. En résumé, plus l’herbe ou les feuilles sont jeunes, et plus c’est riche. « Plus c’est vieux, plus il y a de la masse, mais c’est de moins en moins digestible et de plus en plus pauvre », résume-t-il.

Sur l’insistance d’un étudiant, le fermier a fini par faire des courbes et des relevés pour mettre en parallèle la courbe de production, la pluviométrie et les champs dans lesquels se trouvent le troupeau. Il a pu constater que la courbe de production de lait monte ou descend selon les parcelles.

J’ai aussi vu Jean-Yves tester différentes tactiques d’alimentation, comme de faire pousser une grande quantité de potimarrons afin de les donner à manger à son troupeau, coupés en petits morceaux. Toutefois, c’était beaucoup de manutention.

À l’automne, il a toujours emmené ses chèvres se gaver de châtaignes. En ce mois de novembre 2024, il m’a demandé de les emmener près de la cabane, là où il y a de gros châtaigniers, et de les y laisser libres, dans la forêt, pour la fin de l’après-midi.

 

Avec plus de 80 espèces de bambous différentes, la bambouseraie de Jean-Yves est la plus belle que j’ai vue dans le monde. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

La culture de troupeau

Un peu plus tard, le jour où il m’a accordé cette entrevue, Jean-Yves avait déplacé son enclos et fait ses fromages. Comme la nuit tombait, je lui ai demandé s’il voulait que j’aille chercher les chèvres, mais il m’a répondu que ce n’était pas nécessaire. En effet, à ma grande surprise, elles sont revenues toutes seules.

Il s’agit d’un autre avantage collatéral à la pratique de la lactation continue et au fait d’avoir un troupeau constitué de chèvres de différents âges, dont des chèvres âgées, et pas juste de jeunes chèvres. « On parle beaucoup de culture de troupeau », précise le chevrier.

Une chèvre de quatorze ans ou quinze ans, elle a un sacré passé. Elle connaît les lieux, elle connaît les plantes, elle connaît l’éleveur.
— Jean-Yves Ruelloux, chevrier

« Une culture de troupeau dans un troupeau qui est renouvelé tous les trois ans, c’est une culture d’ados. Et il n’y a aucune transmission d’une génération à l’autre », remarque-t-il. « Alors qu’une chèvre de quatorze ou quinze ans, elle a un sacré passé. Elle connaît les lieux, elle connaît les plantes, elle connaît l’éleveur. »

C’est ce qui explique que Jean-Yves peut maintenant laisser le troupeau se promener librement dans sa forêt. Il faut dire que ses arbres ont bien grandi eux aussi et sont moins à risque de se faire abîmer par les caprins, d’autant plus que les vieilles chèvres – celles qui donnent l’exemple – ont de moins bonnes dents et s’attaquent rarement à l’écorce des arbres.

 

Les chèvres de Jean-Yves un matin de novembre 2024. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

Le fait qu’il y ait très peu de très jeunes chèvres dans le troupeau présente un autre avantage. Si un tiers du troupeau cherche à se faire une place dans la hiérarchie comme dans la plupart des autres élevages, cela risque d’engendrer davantage de bagarres.

« Elles ont une vie de troupeau, même si les conditions sont différentes, avec des bâtiments et tout ça. Elles construisent culturellement quelque chose qu’elles ne pourraient pas faire dans un élevage où un tiers des chèvres rentre, un tiers sort, un tiers rentre, un tiers sort », affirme Jean-Yves.

Le renouvellement du troupeau et la retraite

Jean-Yves a presque toujours offert une retraite à ses chèvres. Il lui est arrivé une seule fois, au début de sa carrière, d’envoyer des chèvres adultes à l’abattoir et il n’a jamais recommencé.

Si elles ont au moins douze ans, elles ont bien mérité une retraite
— Jean-Yves Ruelloux, chevrier

À l’époque de mon stage, il essayait de les placer chez des particuliers lorsqu’elles atteignaient l’âge de la retraite, mais comme cela ne s’est pas toujours bien passé, il a décidé de les garder jusqu’au bout. Il a donc continué tout naturellement à leur offrir une belle retraite lorsqu’il est passé à la lactation continue.

« Si elles ont au moins douze ans, elles ont bien mérité leur retraite », reconnaît-il. « Même si on n’a pas eu de bons rapports toute sa vie, elle a droit à sa retraite. Elle continue sa vie de chèvre dans mon troupeau. La seule différence, c’est qu’elle ne se fait plus traire. Mais elle a tout pareil que les autres. »

Actuellement, Jean-Yves a un petit troupeau de quinze chèvres, dont dix en lactation. En 2010, après une période où il a pensé tout arrêter, l’éleveur a décidé de renouveler son troupeau en achetant quatre chevrettes.

« Soit tu achètes des chevrettes, soit tu achètes un bouc parce que sinon tu as consanguinité », m’explique-t-il. « Donc là, je gardais mon bouc. J’achetais des chevrettes. Je les faisais saillir par mon bouc, et je gardais la génétique de mon troupeau. »

Au final, en achetant quatre chevrettes, il a fini par avoir sept jeunes chèvres après les avoir fait saillir. « En gros, il faut un renouvellement de 10 % si tu considères que tes chèvres tiennent dix lactations en moyenne. Je pense que cela peut se faire sans problème », estime-t-il. « Des chèvres qui se sont taries prématurément, pour l’instant, je n’en ai pas eu. »

Jean-Yves a eu beaucoup de chances lorsqu’il a fait saillir ses chèvres, parce qu’elles ont surtout donné naissance à des femelles et à très peu de mâles.

 

L’âne à la porte de sa ruine. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

Quels sont les plans de Jean-Yves, une quinzaine d’années après avoir sérieusement pensé à prendre sa retraite prématurément à cause d’une période de lumbagos chroniques ?

« Avec le total de mes cotisations à la MSA, il faut que j’aille jusqu’à 71 ans avant de prendre ma retraite. Donc j’ai encore deux ans à faire », remarque Jean-Yves. « Après, si je n’ai pas de problème de ménisque ou autre,  je continuerai. Parce que je crois que ce sera moins fatiguant de produire du fromage que d’aller chiner une retraite dans l’administration. » En effet, il ne sait pas se débrouiller sur l’ordinateur pour remplir sa demande et cela risque de compliquer les démarches administratives.

« Cela me permet d’être vraiment autonome et libre économiquement, en tout cas par rapport à tout ce monde-là », continue celui qui a toujours préféré rester à petite échelle, en s’endettant le moins possible, sans jamais dépendre d’aucune subvention.

Cette manière de penser et de gérer sa ferme lui a toujours réussi. Fin 2018, lors de l’entrevue de l’émission Les Pieds sur terre diffusée sur France Culture début 2019, la journaliste Inès Léraud a épluché les comptes de l’agriculteur et constaté qu’il arrivait à se dégager au minimum un SMIC net par mois avec ses quatorze chèvres en lactation.

 

Jean-Yves Ruelloux et sa conjointe Béatrice (debout) avec votre journaliste Nathalie Dieul (assise) à la ferme en 1995. (Archives Jean-Yves Ruelloux et Béatrice)

Cela fait un moment que Jean-Yves ne fait plus d’investissements. Il a choisi de vivre très simplement. Son luxe, c’est l’espace, sa terre, sa forêt et ses bambous, une certaine liberté dans son emploi du temps. Il a commencé avec une parcelle d’un hectare. Progressivement, il a acheté d’autres parcelles et dispose maintenant d’un total de 28 hectares, un magnifique domaine principalement forestier que j’ai vu embellir au fil des ans.

À l’époque de mon stage en 1993, il n’y avait pas d’eau courante ni dans la fromagerie, ni dans la chèvrerie, ni dans la pièce d’habitation située au-dessus. Seul un tuyau arrivait dans la cour, on remplissait de gros bidons que l’on portait. Il n’y avait pas de douche non plus. Quant aux premières toilettes sèches, elles sont apparues tout récemment avec les événements qui découlent indirectement de la première émission de radio et de ses impacts sur la vie du chevrier.

Des retombées même à l’étranger

La diffusion de cette émission de radio en janvier 2019 a amené beaucoup de changements dans la vie de celui qui était assez ermite jusque-là. Des dizaines de personnes l’ont contacté et expérimentent maintenant la lactation continue. D’autres entrevues de Jean-Yves ont suivi, même à l’international, la plus récente ayant été faite l’été dernier à Radio Canada, avec un article qui qualifie l’éleveur de pionnier de la lactation continue en Europe. Il y a aussi eu une bande dessinée qui a été réalisée, dont le héros est Jean-Yves. Un documentaire est également en cours de préparation.

Lorsqu’en 2020, en pleine campagne québécoise, j’ai fait la connaissance d’une femme qui avait quatre chèvres, je lui ai parlé de la lactation continue et de Jean-Yves. Surprise, elle m’a demandé qui était cet ami dont je lui parlais. Il s’est avéré qu’elle avait écouté l’émission de radio et mis en place la technique de la lactation continue, qu’elle a pratiqué depuis lors.

Il n’est pas facile de trouver le contact de Jean-Yves, mais un total d’environ 200 personnes l’ont fait par l’intermédiaire de France Culture. À chaque fois, cela a donné lieu à des conversations enrichissantes tant pour le chevrier que pour ses interlocuteurs. Certains sont même passés à la ferme.

« Sachant que je ne mémorisais pas bien les choses, j’ai pris mon cahier bleu. Puis j’ai commencé à noter les numéros de téléphone, les gens, voire un petit bout du contenu de la conversation pour m’en souvenir la fois prochaine que je les reverrai », détaille l’éleveur.

Aujourd’hui, il en est à la page 26 et il y a environ 200 noms dans ce cahier. Toutes ces personnes sont des gens « vraiment chouettes », selon Jean-Yves, souvent des jeunes dans les 35 ans qui ont fait des études, « qui ont bourlingué un petit peu partout et ont plein de choses à raconter aussi ».

Parmi ces rencontres, il y a eu un étudiant en anthropologie qui a fait un mémoire sur le fermier de Minemeur et la lactation continue. « Cela fait quatre ans qu’il est sur le sujet », explique-t-il.

« Je lui avais dit : ‘J’aimerais bien un jour que tous ces gens qui viennent me voir se rencontrent parce qu’ils ont tellement de points communs. Puis ils se cherchent les uns les autres’. Et cela a germé petit à petit », se souvient Jean-Yves.

Les Rencontres de Minemeur

C’est ainsi que sont nées les Rencontres de Minemeur en 2022 : l’étudiant a contacté une à une toutes les personnes du cahier bleu. Quelques dizaines de personnes se sont réunies chez Jean-Yves à plusieurs reprises pour des conférences, des échanges plus ou moins informels autour de la lactation continue, des visites, le temps d’un week-end. Il y a aussi eu d’autres rencontres du même type organisées chez d’autres agriculteurs, en Normandie et dans l’Allier.

 

Le barnum où se passent les Rencontres de Minemeur. Les dernières ont eu lieu au printemps 2024. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

C’est pour ces rencontres que Jean-Yves a fini par construire une puis deux toilettes sèches. La dernière nouveauté : un grand barnum avec une structure de bambous où les invités peuvent se réunir et où il met ses planches de bois à sécher le reste de l’année. À côté, une cuisine improvisée dans une ruine, couverte en partie de tôle, l’autre partie étant le domaine de l’âne.

La vie à Minemeur a bien changé. Alors que je pouvais y aller n’importe quand pour aller voir Jean-Yves et Béatrice, il est plus difficile de prendre rendez-vous maintenant que je ne suis plus la seule à y aller.

Mais d’un autre côté, la vie y est toujours aussi paisible, bercée par le rythme des traites et autres tâches comme la fabrication du fromage. Autre chose qui n’a jamais changé au fil des ans : la façon dont les animaux sont traités avec bienveillance. Le passage à la lactation continue est juste une étape de plus pour assurer le bien-être animal à un niveau encore plus haut.

Pour en savoir plus : les podcasts d’Agroécologie voyageuse (d’une heure environ chacun). Selon Jean-Yves, ce sont à ce jour les enregistrements les plus complets sur son travail et ses réflexions. Deux portent sur Jean-Yves (Le chevrier enforesté : partie 1, partie 2) et trois résument les échanges des dernières rencontres de Minemeur (partie 1, partie 2, partie 3).

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