Un lacis de vertes vallées où la culture nordique du pommier s’allie naturellement à celle, plus méridionale, de la vigne. En altitude, les forêts de résineux et de feuillus dessinent des écrins émeraude où nichent de petits lacs bleutés tellement limpides que le ciel s’y noie volontiers. Un pays où surgissent, tels des îlots, des campaniles, des tours, des castelli, des villes aux murailles crénelées qui se parent d’ocre à la tombée du jour.
Terre de frontières et province de l’empire austro-hongrois jusqu’à la fin de la première guerre mondiale, le Trentin est aujourd’hui une des trois provinces italiennes à laquelle la Constitution reconnaît une autonomie législative et administrative, ce qui lui vaut, entre autres, de connaître le taux de chômage le plus faible du pays. Par ailleurs, même si les Dolomites sont italiennes, ici règne encore l’esprit du Sud Tyrol. Les bulbes des églises y sont plus germaniques qu’italiens et le bilinguisme est pratiqué partout, même et surtout dans les villages les plus reculés. Mais nulle part ailleurs dans les Alpes, on ne ressent cette sérénité qui unit villages et sommets, comme si les hommes installés au cœur de cet océan de pics et de parois rocheuses avaient voulu conclure avec la montagne un pacte au nom du vertige de la beauté.
Des aiguilles de pierre
Les gens du pays se plaisent à dire que ce sont les plus belles montagnes du monde. Il faut dire que les Dolomites explosent de toutes parts, dressant leurs monts déchiquetés au-dessus des croupes vertes des alpages. Se teintant d’or ou de rose, de pourpre ou de violet selon les heures et les saisons, ce formidable bastion naturel se reconnaît entre tous pour les étranges formes qu’il sculpte à l’horizon. Tourelles, clochetons, dômes, flèches ou éperons hérissés de crêtes dentelées créent des reliefs ruiniformes entaillés de nombreuses failles colonisées par l’homme au fil des siècles.
Chaque vallée réserve son lot de surprises et toutes les routes qui serpentent dans les Dolomites s’ouvrent sur des paysages qui ne laissent jamais indifférent : du Val di Cembra avec ses délicates cheminées de fées ciselées par l’érosion conjuguée du vent et de la pluie, au Val di Non avec ses hameaux de pierres et de bois disséminés au cœur des pommeraies, de Riva del Garda, ville ocre et médiévale installée à l’extrémité nord du lac de Garde, au Val di Sole où du flanc de la montagne jaillissent des ruisseaux qui dévalent en cascades blanches d’écume vers le fond de la vallée.
Sur les traces de l’histoire
Les millénaires se sont chevauchés dans le Trentin en laissant leur empreinte en maints endroits : vestiges de villages palafittes sur les rives du lac de Ledro, sanctuaire romain à Campi di Riva del Garda et surtout la multitude de châteaux, témoins de la longue domination autrichienne. Chaque colline est surmontée d’une forteresse qui veille, impassible, sur des vignes alignées en terrasses ou sur des versants bucoliques abandonnés aux troupeaux de chèvres.
A Arco, le château se profile au sommet d’un rocher, pareil à un rempart de garde, gris, cerné de murailles édifiées au bord d’un précipice vertigineux. En contrebas, la ville exhibe fièrement son architecture typiquement autrichienne avec ses arcades de pierre et ses luxueux palais rococo qui accueillaient autrefois les membres de la famille impériale de Habsbourg. A quelques kilomètres de là, l’ancienne forteresse vénitienne qui surplombe le petit port de Riva del Garda offre aux promeneurs un balcon majestueux sur le lac de Garde sillonné par d’incessants chassés-croisés de véliplanchistes.
Ailleurs, un sentier se perd sur les flancs d’une colline, au milieu de la végétation. Soudain il s’ouvre dans l’espace d’une cour miraculeusement préservée puis grimpe pour atteindre les vestiges des murs du château de Penede, perché sur un rocher qui domine le village de Torbole. La tour écornée paraît bien solitaire entre les pins et les noisetiers qui ont envahi les lieux.
Isolées au cœur des Dolomites, les vallées durant des siècles se sont nourries exclusivement de leur propre culture, alimentant ainsi le respect des traditions. Le sens du sacré est aujourd’hui une des clés pour comprendre ce peuple qui a su s’exprimer dans d’étonnantes réalisations artistiques. Le Trentin est parsemé d’églises décorées de fresques, comme à Pinzolo où l’église San Vigilio affiche sur sa façade sud une très belle danse macabre encadrée par les sept péchés capitaux.
Plusieurs ermitages ont également trouvé dans le cadre sauvage et abrupt des Dolomites des lieux d’isolement propices à la prière et à la méditation. Le plus évocateur est sans aucun doute le sanctuaire de San Romedio, dans le val di Non, qui superpose curieusement cinq chapelles, construites les unes sur les autres au fil de siècles.
Mais les chefs-d’œuvre se trouvent à Trente, écrin d’art et d’histoire, ville pont entre la culture italienne et celle de l’Europe Centrale. L’empreinte singulière, qu’elle a héritée des princes-évêques qui ont édifié la ville pendant plus de huit siècles et qui en ont fait le siège du célèbre Concile œcuménique du 16ème siècle, se retrouve sur les façades ornées de fresques des palais et des églises le long d’un itinéraire historique qui mène du Castello del Buenconsiglio à la Piazza del Duomo, tout comme dans le lacis des ruelles et des petites places qui dessinent le centre de la vieille cité.
La petite Finlande d’Italie
Perles incrustées dans le paysage, les lacs du Trentin ne sont pas faciles à conquérir. 257 lacs se trouvent en altitude, à plus de 1500 mètres, nichés au sein des roches et des alpages. Cheminer sur les sentiers balisés qui y mènent, c’est s’offrir quelques heures de vagabondage dans un décor de cépages et de pâtures où le temps semble suspendu. S’y promener, c’est d’abord épier le jeu malicieux de la lumière sur la flamme ocre d’un muret de schiste ou encore sur le feuillage alourdi de grappes de raisins des cépages. Le sillon des labours, l’alignement des vignes drapant les pentes ensoleillées, le découpage des terres encloses par de simples clôtures en bois, les fermes basses et robustes aux toits protégés des intempéries par des écailles de bois, tout semble appartenir au paysage depuis si longtemps, comme autant de silhouettes élémentaires et éternelles.
La piste se poursuit dans un raidillon qui s’enfonce sous le couvert des arbres. Autrefois, les forêts étaient des citadelles imprenables où l’homme n’osait s’aventurer seul, par crainte des esprits maléfiques qui y rôdaient. Aujourd’hui, le sentier qui s’étire entre des escadrons de chênes, de frênes et d’érables offre une ombre bienfaisante. Puis, à l’orée du bois, un banc propose une halte, pour goûter la sérénité du lieu. D’un seul regard, la vue embrasse une dépression baignée par les eaux turquoise d’un petit lac ovale cerné de pentes tapissées de forêts ou de pâtures et piquetées de refuges. Le lac apparaît comme une île en négatif où le ciel se perd. Magie du profond silence qui semble avoir engourdi une nature hésitante entre la vie et le sommeil.
Contrée de cimes enneigées, d’eaux dormantes et de châteaux moyenâgeux, le Trentin est un havre de calme et de solitude, surtout dans l’entre saison. Au printemps, les prés et les talus s’égaient de crocus et d’anémones, de jonquilles et de gentianes, et les vergers explosent en multiples fleurs roses et blanches. En automne, la saison fait chanter les vignes et les forêts. Le pays prend alors la couleur des vins qui font sa gloire, et c’est la valse des ors et des bruns dorés, du rouge groseille et de l’ambre…
Infos pratiques :
Le Trentin se situe au Nord-Est de l’Italie, juste à la frontière sud du Tyrol autrichien. Comme la région est montagneuse et appelle à la randonnée, il ne faut pas hésiter à s’y rendre en voiture quitte à s’offrir une étape en Allemagne. Pour obtenir toute information utile sur le Trentin, un site très complet www.apt.trento.it
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