AFRIQUE

Les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda visent la capitale de la RDC après s’être emparés de Goma

février 12, 2025 12:59, Last Updated: février 12, 2025 12:59
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YAOUNDÉ, Cameroun — Le journaliste Eugene Amani, 32 ans, a été envahi par une peur intense et un profond sentiment d’impuissance en voyant le groupe armé M23, soutenu par le Rwanda, avancer vers Goma, la principale ville de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Après avoir pris le contrôle de plusieurs localités environnantes, les rebelles venaient de franchir un nouveau cap dans ce conflit qui dure depuis trois ans.

Eugene Amani s’inquiétait de ce que pourrait être la vie sous l’autorité du M23, mais il n’avait pas les moyens de quitter la ville.

« Nous avons peur que les rebelles du M23 prennent Goma, car nous ne savons pas quel sort ils réserveront aux journalistes, qui ont déjà interdiction de couvrir leurs activités », confiait-il lors d’un entretien téléphonique avec Epoch Times le 25 janvier.

« La situation est préoccupante : le M23 contrôle une grande partie de Sake, à moins de 20 kilomètres de Goma. Ici, les écoles, y compris les universités, ont fermé, et les marchés, magasins et commerces ne fonctionnent qu’en partie. L’électricité est coupée. Les transports publics sont complètement désorganisés. »

Les rebelles sont entrés dans Goma le 27 janvier et ont pris le contrôle de l’aéroport dès le lendemain, après avoir affronté quelques poches de résistance dans des zones stratégiques.

Face à leur avancée, des centaines de soldats gouvernementaux et de miliciens alliés ont déposé les armes. Le 29 janvier, les rebelles tenaient une ville en ruines, où des corps jonchaient encore les rues.

Les rebelles du M23 poursuivent leur avancée dans l’est de la République démocratique du Congo, malgré l’annonce d’un cessez-le-feu unilatéral plus tôt cette semaine. Selon les Nations unies, près de 3000 personnes ont été tuées à Goma depuis l’intensification du conflit.

Goma, qui compte deux millions d’habitants, abrite notamment 800.000 déplacés internes ayant fui les violences.

L’organisation non gouvernementale Oxfam alerte sur une « escalade humanitaire catastrophique » provoquée par la nouvelle offensive du M23 autour de la capitale du Nord-Kivu, forçant des centaines de milliers de personnes à fuir de nouveau. Beaucoup avaient déjà été déplacées à plusieurs reprises.

« Les combats ont plongé la ville de Goma dans le chaos, avec des pillages visant désormais les magasins et les commerces de matériel », a déclaré Manenji Mangundu, directeur-pays d’Oxfam en RDC, dans un courriel adressé à Epoch Times.

« Les banques ont fermé et les distributeurs automatiques sont vides, empêchant la population d’accéder à des liquidités. Alors que la violence s’intensifie, de nombreuses familles se sont réfugiées dans des écoles et des églises à Goma et aux alentours, où elles souffrent du manque d’abris adaptés et de services sociaux de base », a-t-il précisé.

Selon Manenji Mangundu, les organisations humanitaires comme Oxfam peinent à répondre aux besoins, alors que l’électricité et l’eau restent coupées et que les hôpitaux sont submergés par l’afflux de civils blessés.

« L’accès à Goma est restreint et les routes humanitaires sont compromises, aggravant rapidement la situation. Des millions de personnes risquent désormais la famine, des maladies comme le choléra et de nouvelles violences si les combats se poursuivent », a-t-il averti.

Il appelle les parties au conflit à garantir un accès sécurisé aux secours, afin de permettre l’acheminement de fournitures médicales et humanitaires essentielles, le déplacement des civils en sécurité et la rotation du personnel humanitaire.

« Nous avons besoin d’un accès immédiat vers et depuis Goma, ainsi qu’entre Minova et Bukavu, pour assurer une aide vitale aux populations affectées. »

« Un soutien international urgent est nécessaire afin que les familles les plus vulnérables ne soient pas laissées pour compte. »

« Les besoins les plus élémentaires—nourriture, eau potable, soins médicaux, couvertures et protection—se font déjà cruellement sentir et la situation ne fera qu’empirer sans un financement rapide », a-t-il alerté.

La République démocratique du Congo est en proie à l’instabilité depuis les années 1960, et l’insurrection du M23 dans l’est du pays reste l’un des principaux défis sécuritaires non résolus.

Selon le Council on Foreign Relations, un groupe de réflexion américain qui suit les conflits mondiaux, au moins six millions de personnes ont perdu la vie dans les combats dans l’est de la RDC depuis 1996, faisant de cette guerre l’un des conflits les plus meurtriers de l’histoire contemporaine.

Les violences ont également entraîné le déplacement de plus de cinq millions de Congolais, nourrissant un cycle de pauvreté et de militarisation.

Les combats sont attisés par des rivalités ethniques et géopolitiques impliquant la RDC, le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi et divers groupes armés non étatiques.

Le M23 est issu d’anciens membres du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), une milice tutsie. Des experts des Nations unies estiment que le mouvement bénéficie d’un soutien financier et matériel du Rwanda.

Depuis le génocide rwandais de 1993-1994, l’est de la RDC est marqué par des affrontements entre de multiples factions armées, représentant des groupes ethniques et religieux variés.

Le génocide a alimenté une grande partie du conflit actuel : à différentes périodes, bourreaux et victimes ont fui le Rwanda, créant d’importantes populations de réfugiés toujours présentes dans l’est du Congo.

Face à l’absence d’un État fort dans cette région reculée, ces communautés réfugiées ont formé leurs propres milices.

Le gouvernement congolais peine à répondre aux défis de gouvernance dans cette zone frontalière et à contenir les tensions ethniques et tribales issues de ces vastes mouvements de population.

Les autorités congolaises, les Nations unies et plusieurs puissances occidentales, dont les États-Unis, accusent le Rwanda d’alimenter le conflit en déployant des milliers de soldats et des armes lourdes en soutien au M23 sur le territoire congolais.

Ces accusations s’appuient sur un rapport du Groupe d’experts de l’ONU publié en 2022, affirmant disposer de « preuves solides » de la présence de troupes rwandaises aux côtés des rebelles du M23.

Le président rwandais Paul Kagame, qui dément tout soutien au M23, affirme avoir pris des « mesures défensives » et accuse la RDC de combattre aux côtés des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe rebelle actif dans l’est du Congo et impliqué dans des attaques contre les Tutsis des deux pays.

Un conflit à multiples facettes

Josaphat Musamba, chercheur congolais en doctorat à l’université de Gand, en Belgique, et basé à Bukavu, dans l’est de la RDC, estime que les conflits qui secouent cette région sont « multiformes » et « imbriqués » avec des objectifs variés.

« Actuellement, nous observons un conflit armé entre la rébellion du M23, qui a une dimension transnationale, et les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), ce qui en fait une guerre civile », explique-t-il.

« Ce conflit oppose non seulement ces chefs de guerre aux politiques de Kinshasa, mais l’implication des forces de défense rwandaises exacerbe également la tension entre deux États, à savoir le Rwanda et la RDC.

« Il existe aussi des tensions liées à la situation des Tutsi du Nord-Kivu, qui dénoncent des discriminations, ainsi qu’à l’exclusion de chefs de guerre de l’armée après la rébellion du M23 en 2012.

« À cela s’ajoute la question des réfugiés congolais d’origine tutsie, notamment ceux qui vivent dans des camps au Rwanda. »

Il rapporte par ailleurs des conflits distincts, notamment ceux qui opposent les communautés locales à l’administration du parc national des Virunga, les luttes de pouvoir et de succession sur les terres de l’est congolais, ainsi que les affrontements entre Hema et Lendu ou encore entre Banyamulenge et Bembe ou Bafuliru.

« Il n’y a donc pas un seul conflit dans l’est de la RDC, mais une multitude de conflits qui s’entrelacent et se chevauchent », souligne-t-il.

« De nombreux groupes armés sont actifs. Selon des études datant de plus de deux ans, il en existerait environ 250, tandis que d’autres évaluations estiment leur nombre à une centaine.

« Certains groupes justifient leur présence par des failles sécuritaires, d’autres dénoncent des injustices. Tandis que certains ont des revendications locales, le M23, lui, entend révolutionner le Congo. »

Une lutte pour le contrôle des ressources minières

Trois décennies de conflits dans l’est de la RDC ont plongé la population dans un cycle de violences, de faim, d’expulsions et de peur permanente. Au Nord-Kivu, une personne sur trois – soit cinq millions d’habitants – est déplacée et dépend de l’aide humanitaire.

« Le conflit est étroitement lié à la lutte pour le contrôle des immenses ressources de cette région du Congo », explique Manenji Mangundu, directeur d’Oxfam en RDC.

« Le sous-sol regorge de tantale [extrait du coltan, métal stratégique pour l’industrie de la défense], de cuivre, de tungstène, d’or et d’étain », détaille-t-il.

« Malheureusement, la population locale ne profite pas de cette exploitation. Quelque 3,08 millions de personnes sont en insécurité alimentaire au Nord-Kivu. »

Avant même cette nouvelle flambée de violence, la RDC était déjà le théâtre de l’une des crises humanitaires les plus négligées au monde.

En 2024, plus de 25,4 millions de personnes – soit un quart de la population – avaient besoin d’une aide humanitaire, et 7,3 millions avaient été forcées de quitter leur foyer, dont 6,5 millions de déplacés internes.

Au moins un million de réfugiés congolais ont fui vers les pays voisins.

Manenji  Mangundu souligne que seul 47 % du Plan de réponse humanitaire (HRP) a été financé jusqu’à présent pour venir en aide aux millions de personnes dans le besoin.

« Cette crise s’ajoute à une situation humanitaire déjà alarmante dans l’est du pays, alors que les financements sont en déclin », alerte-t-il.

« Les pays donateurs doivent d’urgence augmenter leur aide humanitaire à la RDC. »

L’aide américaine suspendue

La nouvelle offensive du M23 est survenue quelques jours après la signature, le 20 janvier, d’un décret par le président américain Donald Trump, suspendant pour 90 jours tous les programmes d’aide étrangère des États-Unis, dans l’attente d’un réexamen de leur alignement avec les priorités de son administration.

Les États-Unis sont l’un des principaux bailleurs de fonds de la RDC, apportant plus d’un milliard de dollars par an en aide humanitaire et assistance bilatérale.

L’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) a fourni plus de six milliards de dollars d’aide humanitaire et au développement à la RDC au cours des dix dernières années. Rien que ces six dernières années, trois milliards supplémentaires ont été investis pour répondre aux besoins alimentaires, sanitaires et humanitaires dans les zones touchées par les conflits, notamment dans l’est du pays.

L’Union européenne est également un acteur clé de la réponse humanitaire en RDC. Elle a alloué 172 millions d’euros à l’aide humanitaire depuis le début de 2024. À cela s’ajoutent les vols humanitaires de l’UE permettant l’acheminement d’équipes et de matériel dans l’est du pays. L’enveloppe initiale de l’UE pour l’aide humanitaire en 2025 s’élève à 60 millions d’euros.

Selon le Plan de réponse humanitaire des Nations unies, 2,54 milliards de dollars sont nécessaires cette année pour venir en aide à plus de 21 millions de personnes en RDC. Un chiffre qui devrait encore augmenter à mesure que le conflit s’aggrave.

Manenji Mangundu explique que l’impact immédiat du décret de Donald Trump reste incertain, car certains financements ont déjà été approuvés par le Congrès américain.

Le 28 janvier, le secrétaire d’État américain Marco Rubio a toutefois émis une dérogation permettant la poursuite de l’aide humanitaire vitale malgré la suspension des financements étrangers, selon le département d’État.

« Cette exemption humanitaire est un pas en arrière par rapport au gouffre », estime Manenji Mangundu. « Mais cela reste une maigre consolation, car une grande partie des financements liés à la protection et à l’assainissement demeure en suspens.

« Nous devons obtenir la levée immédiate de cette suspension pour tous les programmes d’aide étrangère, afin que le travail humanitaire puisse se poursuivre.

« Aucune dérogation ne pourra compenser les dommages immenses que cette suspension causera aux communautés en détresse. Même avec une exception humanitaire, nous savons que l’arrêt des financements peut avoir des conséquences mortelles.

« L’administration Trump retient des programmes essentiels qui couvrent les besoins les plus fondamentaux des populations en crise. L’incertitude qui pèse sur l’aide humanitaire complique encore davantage la situation pour les organisations qui en dépendent. »

Avec Reuters

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