Le Premier ministre libanais Saad Hariri a annoncé mercredi qu’il suspendait sa démission surprise, en attendant des consultations sur des dossiers épineux dont l’implication du Hezbollah proiranien dans des conflits régionaux.
Cette décision, faite au lendemain de son retour au pays après près de trois semaines à l’étranger, devrait décrisper l’atmosphère dans le pays pris de court par sa démission annoncée le 4 novembre depuis Ryad, où son séjour prolongé avait alimenté les spéculations sur une interdiction de voyage.
Dans ses interventions à Beyrouth, M. Hariri n’a pas évoqué les accusations du président libanais Michel Aoun selon lesquelles il avait été « retenu en otage » en Arabie saoudite. Des accusations qu’il avait niées durant son séjour à Ryad.
Le visage grave, s’exprimant dans une brève allocution télévisée, M. Hariri a appelé au « dialogue » dans un pays miné par les crises politiques à répétition opposant les deux principaux blocs, celui emmené par M. Hariri et celui dirigé par le puissant mouvement armé du Hezbollah.
« J’ai discuté de ma démission avec le président de la République qui m’a enjoint d’attendre avant de la présenter pour permettre davantage de consultations. J’ai accepté cette requête », a dit M. Hariri à l’issue d’un entretien avec le président Michel Aoun.
Le constitutionnaliste Edmond Rizk a expliqué à l’AFP que « tant que le président n’a pas accepté (la démission), elle n’est pas valable constitutionnellement parlant ».
M. Hariri a appelé à éloigner le Liban des conflits au Moyen-Orient en respectant une « politique de distanciation », une allusion claire à l’intervention du Hezbollah, membre de son gouvernement, dans la guerre en Syrie voisine au côté du régime.
« J’aspire aujourd’hui à un véritable partenariat avec toutes les forces politiques en vue de mettre les intérêts du Liban au-dessus de tout autre », a-t-il ajouté.
Un protégé de l’Arabie saoudite, M. Hariri avait justifié sa démission en dénonçant la « mainmise » du Hezbollah et de son allié iranien sur le Liban et en disant craindre pour sa vie.
M. Aoun avait refusé d’accepter sa démission, la tradition voulant que celle-ci soit remise en main propre et sur le sol libanais.
Dans l’après-midi, des centaines de ses partisans se sont retrouvés devant son domicile, dans le centre-ville de Beyrouth, arborant le drapeau bleu de son parti, le Courant du Futur.
Après avoir troqué son costume pour une veste bleu marine décontractée, M. Hariri est sorti saluer la foule.
« Je reste avec vous, je vais continuer avec vous », a-t-il lancé, tout sourire, interrompu par les cris enthousiastes des manifestants: « par notre âme, par notre sang, nous nous sacrifions pour toi Saad ».
« Nous continuerons ensemble, pour être le front de défense du Liban et de sa stabilité », a-t-il poursuivi, avant de s’offrir un bain de foule et de poser pour des selfies.
« Son retour est très important, même si il y a beaucoup de choses que nous ne comprenons pas », a reconnu Hala, une manifestante de 32 ans. « Il a unifié le Liban ».
Lundi, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, adoptant un ton conciliant, s’est dit « ouvert à tout dialogue ».
Pour Maha Yahya, directrice du Centre Moyen-Orient de Carnegie, il y a aujourd’hui « un effort pour calmer les choses, et laisser de la place aux négociations qui ont lieu en coulisses ».
M. Hariri a assisté le matin avec M. Aoun à la parade militaire de la fête de l’Indépendance, 74 ans après la fin du mandat français au Liban.
L’annonce de la démission de M. Hariri avait été rapidement interprétée comme un nouveau bras de fer entre les parrains régionaux des deux camps rivaux au Liban: l’Arabie saoudite sunnite, qui soutient M. Hariri, et l’Iran chiite, qui appuie le Hezbollah, poids lourd de la politique libanaise.
Le geste de M. Hariri a provoqué d’intenses consultations diplomatiques, « la communauté internationale comprenant qu’il n’est de l’intérêt de personne d’avoir encore un autre État failli dans la région », souligne Mme Yahya.
C’est la France qui s’est fortement impliquée pour « exfiltrer » selon des experts M. Hariri d’Arabie saoudite, où se sont rendus successivement ces dernières semaines le président Emmanuel Macron et son ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.
Détenant également la nationalité saoudienne, M. Hariri a quitté le 18 novembre Ryad pour la France. De là, il s’est rendu mardi en Égypte puis à Chypre avant de revenir à Beyrouth.
Âgé de 47 ans, le Premier ministre libanais a repris le flambeau politique après la mort de son père Rafic Hariri, un ancien chef de gouvernement, tué dans un attentat en 2005 à Beyrouth pour lequel des membres du Hezbollah ont été accusés.
R.B avec AFP
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