On a parfois l’impression qu’il existe aujourd’hui une loi qui éternise l’anxiété dans la société : si nous ne sommes pas anxieux pour une chose, nous le serons pour une autre.
Par exemple, il n’y a pas si longtemps, nous nous inquiétions des dangers de la déflation mais, aujourd’hui, c’est l’inflation qui doit nous inquiéter. Bien sûr, l’inflation est plus facilement observable que la déflation, mais les économistes nous disaient que la déflation était un danger mortel. Le taux d’inflation était trop faible, disaient-ils, et ils suggéraient que des mesures soient prises pour le porter à 2 %.
Il semble que, quel que soit le taux d’appréciation ou de dépréciation de la valeur de la monnaie, c’est mauvais, et donc quelque chose dont il faut s’inquiéter. « Je pense, donc je suis », disait Descartes. Aujourd’hui, il serait plus juste a de dire : « Je m’inquiète, donc je suis. » Ne pas s’inquiéter, c’est ne pas se soucier – ce qui est, en ces jours de compassion ostentatoire, le pire des défauts de caractère humain.
Bien que je ne sois pas inquiet par tempérament, j’ai appris à m’inquiéter à force de prêter attention aux titres des journaux. Lorsque les marchés boursiers du monde entier chutent, disons de 3 %, cette nouvelle me saute aux yeux et m’inquiète. Cependant, il y a une curieuse asymétrie : si la bourse récupère les 3 % le jour suivant, je ne me réjouis pas en proportion égale à l’anxiété provoquée par sa chute.
Chaque fois que j’entends parler de la récession actuelle ou à venir, ce qui nous arrive très souvent, je me sens déprimé – et ce, malgré le fait que j’ai déjà vécu de nombreuses récessions et que je ne me souviens pas d’en avoir souffert outre mesure. C’est surtout la perspective d’un appauvrissement personnel qui me déprime, même si je sais que cela est extrêmement improbable.
J’ai appris récemment que l’économie de mon pays, la Grande-Bretagne, s’était contractée de 0,1 % le mois précédent. Cela m’a rendu très morose, bien que la contraction (en supposant que ce chiffre soit un reflet exact de la réalité) n’ait pas du tout affecté ma vie quotidienne : j’avais dormi et mangé aussi bien que d’habitude, j’avais poursuivi mes intérêts avec le même enthousiasme – la seule différence étant la morosité que je ressentais maintenant à cause de cette nouvelle. Il en allait de même pour tous mes amis, à l’exception d’un seul qui était mortellement malade.
J’ai appris en même temps que l’un des problèmes de mon pays était le plein emploi. Attendez une minute, me suis-je dit, le plein emploi n’est-il pas censé être une bonne chose – ce que les gouvernements visent lorsqu’il y a du chômage – et donc une chose dont il faut se réjouir ?
Ah non, ma vision s’est avérée trop simpliste : il y a un bon plein emploi et un mauvais plein emploi, et il semblait que nous avions le second plutôt que le premier. L’absence de ce que Marx appelait l’armée de réserve de la main-d’œuvre signifiait une concurrence accrue entre les employeurs pour la main-d’œuvre – ce qui signifiait une augmentation des niveaux de salaire sans rapport avec l’augmentation de productivité. Mais l’augmentation des salaires ne doit-elle pas être accueillie comme un bien en soi ? On nous explique que non, car elle conduirait à une inflation sans croissance, à la stagflation.
Bref, toute chose positive a un aspect négatif et il y a donc toujours quelque chose à craindre.
Comme si les mauvaises nouvelles économiques ne suffisaient pas, il y a aussi les maladies épidémiques, alors que les dangers du Covid-19 semblaient s’éloigner. Aujourd’hui, par exemple, j’apprends que 20 cas de variole du singe ont été diagnostiqués en Grande-Bretagne, soit deux fois plus de cas en un rien de temps. Cette maladie ressemble à la variole, mais avec un taux de létalité trois fois moins élevé, jusqu’à environ 10 %, les enfants étant particulièrement vulnérables. La maladie est causée par un virus de la variole et sa propagation a pu être encouragée par l’arrêt de la vaccination antivariolique depuis l’élimination totale de la variole. Le virus peut être transmis par contact de personne à personne, il est contagieux par l’haleine, les fluides corporels, le contact cutané et même les objets touchés par la personne infectée.
Voici donc une autre cause d’inquiétude. Les cas de la variole du singe ne sont pas encore nombreux et il semble qu’aucune transmission de la maladie ne dépasse une chaîne de six personnes, mais les mesures nécessaires pour prévenir sa propagation ressemblent étrangement à celles recommandées pour la prévention du Covid. Comme on dit, les petits ruisseaux font les grandes rivières. Notre imagination, depuis longtemps habituée aux projections apocalyptiques des tendances actuelles (en fait, elle apprécie plutôt ces projections), peut facilement amplifier l’apparition soudaine de la variole du singe pour en faire la pandémie désastreuse que l’on nous promet depuis longtemps. On nous a appris, depuis longtemps, de ne pas succomber aux dangers de la complaisance, tandis que les dangers d’une réaction excessive sont moins présents dans nos esprits, car ils sont beaucoup moins frappants et affreux.
Oui, nous ne manquons jamais de motifs d’inquiétude – la ressentir est devenue notre devoir de citoyen, même si l’inquiétude est un sentiment désagréable et qu’en la ressentant nous n’améliorons rien et n’affectons rien. Aujourd’hui, notre mot d’ordre n’est pas manger, boire et se réjouir car, de toute façon, nous mourrons demain. C’est manger, boire et s’inquiéter car, de toute façon, nous mourrons demain.
Theodore Dalrymple est un médecin à la retraite. Il est rédacteur en chef adjoint du City Journal de New York et auteur de 30 livres, dont Life at the Bottom. Son dernier livre est Embargo and Other Stories.
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