Aux États-Unis, dans un petit collège du Missouri, une foule s’est rassemblée pour écouter celui que beaucoup appellent « l’homme du siècle ». Le 5 mars 1946, Winston Churchill est monté sur la scène de l’auditorium du Westminster College pour prononcer son plus grand discours de l’après-Seconde Guerre mondiale. Son message a déclenché une chaîne d’événements de la guerre froide qui ont duré des décennies et qui, étrangement, se sont tous produits au cours de la semaine du 5 au 12 mars. Son discours s’intitulait « Les nerfs de la paix », mais l’on s’en souvient comme du « discours du rideau de fer » (The Iron Curtain Speech).
Churchill, Truman et Staline
« Les États-Unis se trouvent aujourd’hui en position de puissance mondiale. C’est un moment solennel pour la démocratie américaine. Car la primauté du pouvoir s’accompagne également d’une importante responsabilité vis-à-vis de l’avenir », a déclaré Churchill.
En tant que premier ministre, de mai 1940 à mai 1945, Churchill a guidé la Grande-Bretagne à travers ses « heures les plus sombres ». Or, deux mois après la capitulation de l’Allemagne nazie, lui et son parti conservateur ont perdu les élections. Derrière Churchill se trouve l’homme qui l’a présenté au public, Harry S. Truman. Truman n’était président des États-Unis que depuis quatre mois lorsque la Seconde Guerre mondiale s’est achevée en apothéose. Sept mois plus tard, il écoutait Churchill parler d’une nouvelle menace.
Si les Américains n’étaient pas au courant des événements en Europe de l’Est, l’ancien premier ministre était là pour les en informer. « De Stettin (ndlt, Szczecin, ville de Pologne), dans la Baltique, à Trieste, dans l’Adriatique, un rideau de fer s’est abattu sur le continent. Derrière cette ligne se trouvent toutes les capitales des anciens États d’Europe centrale et orientale. Varsovie, Berlin, Prague, Vienne, Budapest, Belgrade, Bucarest et Sofia, toutes ces villes célèbres et les populations qui les entourent se trouvent dans ce que je dois appeler la sphère soviétique », a-t-il déclaré.
Ce « rideau de fer » qui divise l’Europe sépare les démocraties de l’Ouest des États désormais sous l’emprise de l’Union soviétique de Joseph Staline. Comprenant Staline, le communisme et les idéaux des Russes, Churchill a clairement indiqué comment l’Amérique et l’Occident devaient agir.
« D’après ce que j’ai vu de nos amis et alliés russes pendant la guerre, je suis convaincu qu’il n’y a rien qu’ils admirent plus que la force, et qu’il n’y a rien pour lequel ils aient moins de respect que la faiblesse, en particulier la faiblesse militaire », a-t-il déclaré. « C’est pourquoi la vieille doctrine de l’équilibre des forces n’est pas valable. Nous ne pouvons pas nous permettre, si nous pouvons l’éviter, de travailler sur des marges étroites, en offrant des tentations d’épreuve de force. »
Un télégramme, un article et une doctrine
Plutôt que de s’en tenir à la vieille doctrine de la guerre, qui ne tient pas la route, Truman a tenté quelque chose de nouveau. Deux semaines avant le discours de Churchill sur le « rideau de fer », un jeune diplomate américain en poste en Russie, George Kennan, a envoyé un télégramme de 8000 mots au département d’État américain. Il y discute de la machine de propagande du parti communiste, de son pouvoir sur les citoyens, de l’insécurité de Staline et des dirigeants soviétiques, ainsi que de la nécessité d’unifier les démocraties et d’éduquer la population pour contrer la propagande communiste.
« Le plus grand danger qui peut nous guetter dans notre lutte contre le communisme soviétique est que nous nous permettions de devenir comme ceux avec qui nous luttons », a écrit George Kennan dans la conclusion du télégramme.
Truman et le département d’État américain ont suivi les mises en garde de Churchill et de Kennan. Au cours de l’année 1946, son administration a formulé une politique étrangère ciblant l’Union soviétique. Le gouvernement britannique, dirigé par le parti travailliste, adoptant des positions plus souples contre la propagation du communisme international, notamment en Grèce et en Turquie, cette « grande responsabilité envers l’avenir » revenait aux États-Unis.
Le 12 mars 1947, Truman s’est présenté devant le Congrès et a expliqué comment les États-Unis devait contrer l’expansion de la « sphère soviétique ». Cette doctrine, connue sous le nom de « doctrine Truman », a été mise en pratique pendant des générations. Quatre mois plus tard, George Kennan, devenu ambassadeur à Moscou, a écrit un article sous le nom de « X » intitulé « Les sources de la conduite soviétique ». Cet article, qui recommandait « un endiguement à long terme, patient mais ferme et vigilant, des tendances expansionnistes de la Russie », a donné à la « doctrine Truman » un nom différent : la politique d’endiguement.
Blocus et espionnage
Truman vit sa doctrine mise à l’épreuve au cours des deux années suivantes. Le 7 mars 1948, les gouvernements des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg décident d’étendre à l’Allemagne de l’Ouest l’aide économique proposée en 1947 par George C. Marshall à l’Europe déchirée par la guerre. Ce plan prévoit l’instauration d’une nouvelle monnaie et d’un système de gouvernement fédéral. Staline, quant à lui, souhaite que l’Allemagne reste économiquement faible. Néanmoins, le Economic Recovery Act de 1948, connu sous le nom de plan Marshall, est adopté et rend ces décisions officielles.
En réponse, les Soviétiques démissionnent du Conseil de contrôle allié et instaurent bientôt le blocus de Berlin, qui dure 11 mois et bloque tout accès terrestre aux zones contrôlées par les Alliés à Berlin. Les Américains et les Britanniques répondent par le pont aérien de Berlin, qui achemine par avion des vivres, du carburant et des fournitures pour les Berlinois de l’Ouest jusqu’à ce que les Soviétiques cèdent.
La doctrine de Truman a toutefois été mise à rude épreuve avec le déclenchement de la guerre de Corée, qui a duré de 1950 à 1953 et s’est achevée six mois après son départ. Avant qu’il ne décide de ne pas se représenter, le fléau de l’espionnage refait surface.
Les services de renseignement américains ont découvert que le projet Manhattan, qui a servi à mettre au point la bombe atomique pendant la guerre, a été infiltré par des espions soviétiques. L’un de ces espions était Klaus Fuchs, un physicien britannique. Le projet VENONA du Signal Intelligence Service de l’armée américaine (qui deviendra plus tard la National Security Agency) a permis de découvrir d’autres espions, certains aux États-Unis et d’autres dans les pays alliés. Deux des espions les plus célèbres capturés pendant la guerre froide sont Julius et Ethel Rosenberg. Leur procès s’est ouvert le 6 mars 1951 et ils ont été reconnus coupables et condamnés à mort.
La mort de Staline
Kennan a déclaré dans son télégramme que les « effets » de la mort de « Vladimir » Lénine « ont ébranlé l’État soviétique pendant 15 ans ». Il conclut qu' »il reste à démontrer que [le système soviétique] peut survivre à l’épreuve suprême du transfert successif du pouvoir d’un individu ou d’un groupe à un autre ».
Le 5 mars 1953, cette conclusion a été mise à l’épreuve lorsque Joseph Staline est décédé dans sa datcha de Kuntsevo, dans la banlieue de Moscou. Une lutte pour le pouvoir s’ensuit au sein du Politburo soviétique, mais c’est Nikita Khrouchtchev qui accède au pouvoir. Comparée à l’ascension et au règne de Staline, cette ascension s’est déroulée sans effusion de sang.
Le règne de Khrouchtchev s’est poursuivi pendant les deux mandats d’Eisenhower, la présidence de John F. Kennedy et le début de celle de Lyndon B. Johnson, et a été marqué par des événements tels que son « discours secret » dénonçant Staline (1956), l’incident de l’avion espion U-2 (1960), l’invasion de la baie des Cochons (1961), la construction du mur de Berlin (1961) et la crise des missiles de Cuba (1962).
Une défection stalinienne à l’Ouest
Le 6 mars 1967, 14 ans après la mort de Staline, une Moscovite de 41 ans entre à l’ambassade des États-Unis à New Delhi, en Inde. Elle s’appelle Svetlana Alliluyeva et, à l’insu des services de renseignement américains, elle est l’unique fille de Joseph Staline. Deux jours avant son retour obligatoire à Moscou, elle a demandé à partir pour les États-Unis.
Le président Johnson réfléchit à la possibilité d’accueillir la fille de l’homme qui a contribué à orchestrer la guerre froide. Après plusieurs semaines, il a approuvé son arrivée. Elle atterrit à New York en grande pompe. Qualifiée par les Soviétiques d' »outil de la CIA », elle est déchue de sa nationalité en URSS. Dans les années 1980, elle retourne en URSS où elle est accueillie favorablement, mais retourne finalement aux États-Unis, où elle est restée jusqu’à sa mort.
« L’empire du mal »
Un discours prononcé en 1946 a déclenché cette chaîne d’événements du mois de mars de la guerre froide. Près de 40 ans plus tard, un autre discours est devenu un maillon de cette chaîne. Ronald Reagan était président depuis deux ans et était arrivé au pouvoir avec la promesse d’une meilleure économie et d’une politique de paix par la force. Churchill avait décrit la politique soviétique comme créant un « rideau de fer » « sur le continent ». Reagan, cependant, a décrit l’Union soviétique elle-même dans l’un des discours les plus incendiaires de l’ère moderne. Le 8 mars 1983, alors qu’il s’exprimait lors de la convention annuelle de l’Association nationale des évangéliques, Reagan a qualifié l’Union soviétique d' »empire du mal ».
Commentant la tempête médiatique provoquée par ce commentaire, Reagan a déclaré : « Pendant trop longtemps, nos dirigeants ont été incapables de décrire l’Union soviétique telle qu’elle était en réalité. Les gardiens de notre savoir en matière de politique étrangère – en d’autres termes, la plupart des spécialistes libéraux des affaires étrangères, le département d’État et divers chroniqueurs – ont jugé illibéral et provocateur de faire preuve d’une telle honnêteté. J’ai toujours pensé, cependant, qu’il était important de définir les différences, parce qu’il y a des choix et des décisions à prendre dans la vie et dans l’histoire. »
Sept mois plus tard, l’Union soviétique ne fit que confirmer cette conviction de longue date de Reagan lorsque son aviation abattit le vol commercial Korean Airlines 007, tuant l’équipage et les 269 passagers.
La fin de la ligne rouge
De 1922 à 1985, sept premiers ministres ont dirigé l’Union soviétique, bien que celle-ci ait été sous le contrôle de Staline pendant 29 ans. En 1985, l’URSS a élu son dernier premier ministre.
Le 11 mars 1985, deux ans après le discours de Reagan sur « l’empire du mal », Mikhaïl Gorbatchev est élu secrétaire général. Sous sa direction, une transformation libérale de l’Union soviétique s’amorce, mais cette libéralisation aboutit à sa désintégration. Lentement mais sûrement, les États membres du bloc soviétique connaissent des révolutions et des mouvements d’indépendance.
Deux ans après l’élection de Gorbatchev, Reagan se tient devant la porte de Brandebourg à Berlin-Ouest et déclare : « Secrétaire général Gorbatchev, si vous recherchez la paix, si vous recherchez la prospérité pour l’Union soviétique et l’Europe de l’Est, si vous recherchez la libéralisation, venez ici à cette porte. M. Gorbatchev, ouvrez cette porte! M. Gorbatchev, démolissez ce mur! »
Deux ans plus tard, le mur de Berlin, représentation visuelle du « rideau de fer » et l’un des derniers symboles de la guerre froide, est tombé. Deux ans après la chute du mur, l’Union soviétique s’est dissoute.
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