La flèche de Notre-Dame, si elle est reconstruite, doit-elle être fidèle à celle créée par Viollet-Le-Duc ou novatrice, voire en rupture avec son inspiration initiale ? Ce débat enflamme les esprits depuis qu’un concours d’architectes a été annoncé.
Sur les réseaux sociaux, humour et provocation s’en donnent à cœur joie dans une surenchère débridée : des montages photos montrent Notre-Dame surmontée d’un pommeau de douche, d’un rayon vert, d’un château de conte de fée style Disneyland, d’un croissant musulman, d’une bouteille de champagne ou d’une nouvelle pyramide en verre…
Certains de ces montages font malicieusement allusion aux mécènes qui, suggèrent-ils, aimeraient valoriser ainsi leurs dons en exhibant les produits qu’ils vendent.
Ce déferlement fantaisiste répond à l’imprécision de l’exécutif : le premier ministre Édouard Philippe a estimé que ce concours « permettrait de trancher la question de savoir s’il faut reconstruire une flèche, s’il faut reconstruire la flèche à l’identique, ou s’il faut doter la cathédrale d’une nouvelle flèche adaptée aux techniques et aux enjeux de notre époque ».
Et le président Emmanuel Macron d’évoquer « un geste architectural contemporain ».
Un tel « geste » qui vise le monument le plus visité de Paris a de quoi faire rêver les architectes : celui dont le projet serait retenu se verrait accorder un juteux contrat mais surtout un nom à jamais, à l’égal d’un Ieoh Ming Pei avec la Pyramide du Louvre ou d’un Renzo Piano avec le Centre Pompidou.
Peu d’architectes sont encore sortis du bois. Jean-Michel Wilmotte, qui a construit l’église orthodoxe russe à Paris, verrait bien la prochaine flèche en verre, en écho visuel à la Pyramide.
Certains projets apparus sur internet ne se contentent pas de la flèche mais exposent leur vision de toute la toiture.
Ainsi le cabinet Godart & Roussel de Dijon a proposé d’aménager une toiture de vitres et tuiles de cuivre. Un plancher vitré s’ouvrirait sur l’intérieur de l’église. Les touristes pourraient déambuler avec vue imprenable sur le vieux Paris.
Circule aussi sur internet un projet anonyme montrant un toit entièrement végétalisé avec un circuit pour les promeneurs.
Si la conception spirituelle initiale du bâtiment – la flèche figurant le doigt de la Vierge Marie pointée vers le ciel – sera sans doute méconnue, des projets totalement en rupture avec la vocation et le style gothique de la cathédrale n’ont guère de chance d’être retenus.
Cependant, certains croient possible de faire preuve d’imagination en respectant l’identité d’une cathédrale qui n’est pas un musée : « On peut respecter l’esprit mais être imaginatif. Viollet-le-Duc avait fait œuvre d’invention », a souligné à l’AFP l’ancien ministre de la Culture Jack Lang.
Les pétitions se multiplient depuis plusieurs jours sur internet pour demander une restauration à l’identique du monument, provenant de milieux identitaires catholiques mais aussi d’internautes laïcs.
L’animateur Stéphane Bern, qui défend le patrimoine ancien, a repris les propos de la tête de liste des Républicains aux élections européennes, François-Xavier Bellamy, appelant à « un peu d »humilité » devant un édifice dont les bâtisseurs étaient restés anonymes.
Partisan de « refaire Notre-Dame à l’identique », M. Bern a fustigé samedi sur France Info « les délires de certains architectes, qui sont tapis sans l’ombre ».
« Des starchitectes » attirés par la gloire : ainsi les définit leurs deux collègues Denis Valode et Jean Pistre, qui s’insurgent contre ce concours et appellent dans le Journal du Dimanche à son abandon.
Une solution raisonnable consisterait pour certains à une limitation du concours aux architectes du patrimoine, meilleurs experts en matière de restauration.
Une des critiques contre l’exécutif est d’avoir annoncé trop vite ce concours, avant même que l’on ait une idée exacte de la stabilisation à entreprendre.
Pour beaucoup, le concours d’architectes devra se faire plus tard et à tête reposée.
Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO, estime que la « doctrine » qui préside à la restauration d’un monument « n’est pas figée ». « Les principes (de la rencontre) de Varsovie (organisée par l’Unesco en mai, NDLR) encouragent chaque génération à participer à ce travail d’édification », a-t-elle dit.
Tout en reconnaissant toutefois que la charte de l’UNESCO demandait que l’on restaure selon le dernier état « complet, cohérent et connu » du monument détruit.
IM avec AFP
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