Dans le domaine de la géopolitique, le mot « puissance » est synonyme d’actes d’agression, en particulier par le biais de puissance militaire et de sanctions sévères.
C’est ce qu’on appelle le « hard power » ou puissance dure. Son frère cadet dont on parle moins, le « soft power » (puissance douce), évite la coercition et les menaces. Les partisans de l’approche douce préfèrent la carotte au bâton ; ils préfèrent avancer vers leurs objectifs en profitant plutôt de l’intérêt et de la séduction.
Outre les variantes « hard » et « soft », il existe un autre type de puissance qui mérite d’être abordé. Il s’agit du « sharp power » – puissance maline – un type d’influence qui repose sur des tactiques de manipulation. Bien sûr, on ne peut pas parler de manipulation sans parler de la Chine, un pays qui excelle dans l’utilisation du « sharp power ».
Inventé par un journaliste espagnol Juan Pablo Cardenal, le terme sharp power implique son utilisation comme arme de l’information et des jeux machiavéliques. Selon le politologue Jacques deLisle, les régimes autoritaires utilisent cette tactique pour percer et pénétrer « les milieux politiques, médiatiques et sociaux des pays ciblés afin de manipuler leurs politiques et, dans certains cas, éroder leurs institutions politiques ».
C’est précisément ce que la Chine – plus précisément, le Parti communiste chinois (PCC) – excelle à faire. En cas de doute, laissez-moi mentionner l’exemple de Hong Kong où la liberté d’expression n’existe plus et où les politiciens fantoches règnent en maîtres.
Il est intéressant de noter que Juan Pablo Cardenal a inventé le terme du sharp power alors qu’il résidait à Hong Kong. Les « expériences quotidiennes », comme l’a constaté une auteure, « deviennent rapidement la porte d’entrée de nouvelles pensées et inspirations ». La vision du monde de M. Cardenal semble avoir été profondément façonnée par son séjour à Hong Kong.
Selon Christopher Walker, un expert qui connaît bien les subtilités du sharp power, les États autoritaires comme la Chine et la Russie utilisent aujourd’hui ce genre de puissance pour « projeter leur influence à l’échelle internationale, avec pour objectifs de limiter la liberté d’expression, de semer la confusion et de déformer l’environnement politique au sein des démocraties ».
Pour la Chine et la Russie, l’utilisation de la puissance maline – qui implique un mélange de puissance dure et de puissance douce – s’est avérée très efficace, en particulier en Afrique, le continent qui connaît la croissance la plus rapide au monde.
Comme l’explique M. Walker, le sharp power implique « l’utilisation de la manipulation pour saper l’intégrité des institutions indépendantes ». En identifiant et en exploitant « l’asymétrie entre les systèmes libres et non libres », le sharp power permet aux régimes autoritaires « de limiter la liberté d’expression et de déformer l’environnement politique dans les pays démocratiques ».
Pour en savoir plus sur ce sujet, j’ai contacté Preethi Amaresh de l’École genevoise de diplomatie, une chercheuse qui a consacré la majeure partie de sa vie professionnelle à l’étude du sharp power.
Elle m’a indiqué que la Chine, « étant un système non démocratique », utilise agressivement « le sharp power en Afrique, en Australie, à Taïwan, aux États-Unis, etc. »
Je lui ai demandé de décrire quelques-unes des façons dont le PCC utilise la puissance maline dans ces pays. La Chine, a-t-elle répondu, « l’utilise en faisant peur aux démocraties », en procédant à l’« accaparement de terres dans plusieurs pays, y compris dans les régions de l’Arctique et de l’Antarctique » dans le cadre de son titanesque programme « Belt and Road Initiative », souvent qualifié de nouvelle route de la soie, ainsi que « par la surveillance des applications, par l’ingérence dans la politique intérieure des autres pays et par les instituts Confucius ».
Mme Amaresh m’a orienté vers un article qu’elle avait écrit en 2020. Dans cet article, intitulé « The Art of War: China’s Sharp Power Strategy » (L’art de la guerre : la stratégie de puissance maline de la Chine), elle mettait en garde contre la rhétorique utilisée dans la politique étrangère et intérieure de l’État-parti chinois qui vise, en fin de compte, à faire avancer sa stratégie communiste.
Elle a également évoqué l’exemple des sociétés liées à l’État-parti chinois qui avaient conclu un partenariat avec Discovery Channel, une chaîne câblée américaine appartenant à Warner Bros. Dans quel but ? Dans le but de collaborer dans « une coproduction cinématographique internationale ». Intitulé China: Time of Xi (Chine : le temps de Xi), ce film « a été regardé par des millions de téléspectateurs dans 37 pays d’Asie ».
On peut constater que dans sa tentative de contrôler la rhétorique globale, le PCC est aidé par de grandes et puissantes sociétés occidentales.
J’ai demandé à Mme Amaresh si elle avait observé une évolution dans l’utilisation du sharp power par Pékin. Elle m’a répondu que le PCC ajoute constamment de nouvelles cordes à son arc – par exemple, la diplomatie des loups combattants, la politique du piège de la dette, la diplomatie du masque et la tactique des « tranches de salami ».
La dernière représente une stratégie très efficace qui voit le PCC recourir à des provocations mineures, dont aucune n’est assez importante pour déclencher une vraie guerre. Cependant, lorsque ces provocations s’additionnent, elles ont un impact important sur la souveraineté d’une nation rivale, pareil à une mort par mille coupes.
Mme Amaresh pense que « la Chine veut ramener sa civilisation et sa puissance à l’avant-garde du monde » par le biais de « plusieurs initiatives telles que la nouvelle route de la soie, l’exploitation du chinois mandarin, l’accaparement de terres, etc. »
La Chine, a-t-elle ajouté, « est désormais considérée comme la nouvelle dynastie impériale, et Xi Jinping comme l’empereur actuel », il est le « dirigeant à vie » du pays.
Alors que la Chine cherche à dominer le monde, on peut s’attendre à ce que le sharp power devienne une arme encore plus puissante.
John Mac Ghlionn est un chercheur et un essayiste. Ses écrits ont été publiés dans des journaux comme le New York Post, Sydney Morning Herald, Newsweek, National Review, The Spectator US et d’autres médias respectables. Il est spécialiste dans la psychologie et les relations sociales, avec un intérêt particulier dans les domaines des dysfonctionnements sociaux et la manipulation des médias.
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