L’ex-Premier ministre du Pakistan Imran Khan a été arrêté mardi 9 mai par l’agence de lutte contre la corruption du pays, alors qu’il venait, selon ses proches, se soumettre à une procédure biométrique devant la Haute Cour d’Islamabad. Des images de l’arrestation montrent des dizaines d’agents de sécurité en tenue anti-émeute entourant l’homme politique et le contraignant à monter à bord d’une camionnette noire. « Imran Khan a été arrêté dans l’affaire Qadir Trust », a laconiquement annoncé le compte Twitter officiel de la police d’Islamabad, en allusion à une affaire de corruption dans laquelle l’ancien international de cricket est accusé d’avoir perçu l’équivalent de 24,7 millions de dollars en terrains de la part d’un promoteur immobilier. Ce mercredi, il a été placé en détention provisoire pour une durée de huit jours.
À la suite de cette opération, les responsables du parti de M. Khan, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (« Mouvement du Pakistan pour la justice », PTI), ont appelé hier leurs partisans à descendre dans la rue, mais la police a prévenu qu’un arrêté prohibant les rassemblements de plus de quatre personnes était en vigueur et qu’il serait strictement appliqué. Des manifestations ont éclaté dans plusieurs grandes villes du pays. Près de mille manifestants ont été arrêtés dans la province du Pendjab, la plus peuplée du Pakistan, et 130 membres de la police ont été blessés, selon cette dernière. Par ailleurs, les autorités ont décidé mercredi de fermer les écoles de l’ensemble du pays et ont continué à restreindre l’accès aux réseaux sociaux tels que Twitter et Facebook.
Mardi, lors d’une conférence de presse avec le ministre des Affaires étrangères britannique, James Cleverly, à Washington, le secrétaire d’État, Antony Blinken a déclaré que les États-Unis veulent « s’assurer que tout ce qui se passe au Pakistan est conforme à l’État de droit, à la constitution ». « Nous voulons une démocratie pacifique dans ce pays », a-t-il ajouté.
Le ministre de l’intérieur pakistanais, Rana Sanaullah, a souligné de son côté que cette arrestation était « conforme à la loi » et avait été effectuée par l’Office national anticorruption (NAB), « un organisme indépendant qui n’est pas contrôlé par le gouvernement ».
L’arrestation d’Imran Khan est intervenue au lendemain de la mise en garde de l’armée contre « les allégations sans fondement » lancées, selon elle, par l’ex-Premier ministre. Pendant un rassemblement organisé ce week-end à Lahore, M. Khan a, de nouveau, soutenu que le major général Faisal Naseer, officier supérieur des services de renseignement, était impliqué dans sa tentative d’assassinat, au début novembre 2022. L’ancien chef du gouvernement avait été blessé par balle au cours d’une marche de protestation à Islamabad.
Accusations et dénégations
« Ces allégations fabriquées de toutes pièces et malveillantes sont extrêmement malheureuses, déplorables et inacceptables », a déclaré dans un communiqué le service des relations publiques interservices (ISPR) de l’armée. Et d’ajouter : « Il s’agit d’une tendance constante depuis l’année dernière. Les responsables de l’armée et des services de renseignement sont la cible d’insinuations et d’une propagande tapageuse visant à promouvoir des objectifs politiques ». L’ISPR a précisé qu’il se réservait le droit d’« entreprendre des actions en justice contre les déclarations et la propagande manifestement fausses et malveillantes ».
Le Premier ministre Shehbaz Sharif, que M. Khan a également accusé d’avoir pris part au projet d’assassinat, a, pour sa part, affirmé : « Ses allégations sans aucune preuve contre le général Faisal Naseer et les officiers de notre agence de renseignement ne peuvent pas être autorisées et ne seront pas tolérées », a-t-il insisté sur Twitter.
Officiellement, la tentative de meurtre contre M. Khan est l’œuvre d’un tireur solitaire qui, dans une vidéo diffusée par la police, admet en être l’auteur. Des conclusions rejetées par l’ancien Premier ministre, qui fait valoir que les autorités ont refusé ses tentatives de déposer un rapport de première information (RPI) auprès de la police pour désigner les « vrais coupables ». « Il n’y a aucune raison pour que j’invente des faits », a martelé l’ex-Premier ministre dans une vidéo publiée mardi. Se demandant si ceux qu’ils pointaient du doigt se pensent « au-dessus de la loi », l’homme politique s’interroge : « Ai-je, en tant que citoyen, le droit de nommer ceux que je considère comme responsables des tentatives d’assassinat contre moi ? Pourquoi m’a-t-on refusé mon droit légal et constitutionnel de pouvoir porter plainte ? » Par ailleurs, Imran Khan a estimé que son arrestation avait pour objectif de l’empêcher de faire campagne lors des élections prévues plus tard dans l’année, pour lesquelles il a de fortes chances de l’emporter.
Imran Khan fait face à de nombreuses accusations, entre autres de corruption, qu’il réfute toutes, les jugeant motivées politiquement par l’armée pakistanaise. « M. Khan est visé par plusieurs dizaines d’affaires judiciaires depuis son éviction, une tactique utilisée par les différents gouvernements pakistanais pour réduire au silence leurs opposants, estiment des analystes », rapporte Le Monde.
Une guerre d’influence entre la Chine et les États-Unis en coulisses
L’armée l’avait d’abord soutenu dans son accession au pouvoir, en 2018, avant de lui retirer son soutien, puis le chef d’État avait été évincé de ses fonctions par un vote de défiance du Parlement en avril 2022. Pour l’ancien Premier ministre, bien connu pour son anti-américanisme, son éviction trouvait son origine dans un complot financé par les États-Unis. « Notre peuple n’acceptera en aucun cas un gouvernement importé imposé par une conspiration américaine », n’hésitait pas à affirmer l’homme politique, à qui il avait été reproché d’être en visite d’État à Moscou le jour même du déclenchement de l’opération militaire russe en Ukraine le 24 février. Ces allégations ont été rejetées par les États-Unis.
Selon Le Monde, après le départ de M. Khan, Islamabad et Washington ont « officialisé leur amitié retrouvée », « un changement stratégique amorcé par le nouveau Premier ministre Shehbaz Sharif et la puissance militaire du pays, déclenché par une volonté de réduire la dépendance du pays vis-à-vis de la Chine. » « Les États-Unis ont depuis annoncé une aide accrue au Pakistan, qui traverse une crise économique profonde et des inondations historiques. Les deux pays se sont également mis d’accord sur des clauses de sécurité plus confidentielles, un moyen pour les autorités américaines de tenter de faire entrer le poids lourd sud-asiatique dans le camp occidental alors que la guerre en Ukraine se poursuit. » Un soutien renouvelé qui ne s’est pas fait sans un prix. Selon un diplomate américain en poste en Asie du Sud, sollicité par le journal, Washington aurait obtenu du Pakistan, en échange, la vente d’obus à l’armée ukrainienne.
En revanche, malgré une inflexion vers les États-Unis depuis l’arrivée du nouveau gouvernement, la Chine reste le pilier central du développement économique du Pakistan, notamment par le biais de la construction du Couloir économique Chine-Pakistan (CPEC), un programme d’infrastructure de 62 milliards de dollars. « Tous les acteurs politiques majeurs et mineurs sont tenus de donner la priorité aux relations du Pakistan avec la Chine par rapport à celles avec les États-Unis. La seule différence est la mesure dans laquelle ils s’opposeront publiquement aux États-Unis », estime le Time. Selon le média, l’armée pakistanaise, organe qui détient réellement le pouvoir, souhaite maintenir des relations cordiales avec les États-Unis au regard de la situation défaillante de l’économie du pays et, à ce titre, juge problématique l’anti-américanisme d’Imran Khan.
Pour Gilles Boquérat, chercheur associé au think-tank français Fondation pour la Recherche Stratégique et expert du Pakistan, le nouveau gouvernement a clairement adopté un « rééquilibrage de sa politique étrangère, même si Pékin reste inévitable » tandis que les Etats-Unis « ont toute confiance dans la parole de l’armée pakistanaise et de son chef ».
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