Au moins 123 sites web chinois sont déguisés en organes de presse locaux dans 30 pays pour diffuser de la désinformation en faveur de Pékin, selon un récent rapport de Citizen Lab, un organisme de surveillance numérique de l’université canadienne de Toronto.
« La campagne est un exemple d’opération d’influence tentaculaire servant à la fois des intérêts financiers et politiques, et s’alignant sur l’agenda politique de Pékin », a écrit Alberto Fittarelli, chercheur principal chez Citizen Lab, dans son rapport du 7 février.
Il a appelé cette campagne « Paperwall », qu’il a définie comme « un vaste réseau de sites web anonymes à croissance rapide se faisant passer pour des organes d’information locaux ». Les États-Unis, la Corée du Sud, le Japon, la Russie, le Royaume-Uni, la France, le Brésil, la Turquie et l’Italie figurent parmi les 30 pays prétendument visés par la campagne.
Pour se faire passer pour des organes d’information locaux légitimes, les sites web Paperwall utilisent souvent des références locales en guise de nom, comme Eiffel Post et Provence Daily pour deux sites web francophones. Le British FT pour le Royaume-Uni, le Sendai Shimbum et le Fujiyama Times pour le Japon, le Daegu Journal et le Busan Online pour la Corée du Sud, et le Roma Journal et le Napoli Money pour l’Italie sont d’autres noms de sites.
Le seul site web ciblant le public américain est UpdateNews.Info, le premier site web Paperwall enregistré en juillet 2019, selon le rapport.
Les chercheurs du Citizen Lab ont estimé que l’effet de la campagne a été « négligeable jusqu’à présent », compte tenu du « trafic minime » vers les sites web et de l’absence d’amplification par les médias sociaux ou de couverture médiatique visible par les médias grand public.
Le rapport précise toutefois que la campagne ne doit pas être considérée comme inoffensive : elle peut « finir par rapporter d’énormes dividendes lorsque l’un de ces fragments est finalement repris et légitimé par la presse grand public ou des personnalités politiques ».
Contenu
Il est mis en lumière dans ce rapport que les sites Paperwall « republient régulièrement du contenu, mot pour mot, à partir de sources en ligne légitimes du pays cible » afin de donner l’impression que leurs sites sont licites. Par exemple, le rapport inclut une capture d’écran du site web Eiffel Post qui republie un article du quotidien français Le Parisien.
Selon le rapport, ces sites Web reprennent également mot pour mot des contenus des médias publics chinois contrôlés par l’État, comme le China Global Television Network, la branche internationale du radiodiffuseur public China Central Television.
Une grande partie du contenu de ces sites Web provient de Times Newswire, selon M. Fittarelli.
« Nous avons trouvé des preuves que Times Newswire diffuse régulièrement des contenus politiques favorables à Pékin, notamment des attaques ad hominem, en les dissimulant dans de grandes quantités de contenu commercial apparemment inoffensif », peut-on lire dans le rapport.
Times Newswire et un autre service d’agence de presse, World Newswire, se sont révélés être au centre d’une opération d’influence chinoise appelée « HaiEnergy », signalée en 2023 par l’entreprise de cybersécurité Mandiant. En utilisant des services d’agences de presse et des influences payantes, HaiEnergy a distribué son contenu à des sous-domaines d’organes d’information légitimes basés aux États-Unis sous forme de « communiqués de presse », promouvant ainsi la propagande du Parti communiste chinois (PCC) au travers des organes d’information américains.
« Comme Mandiant l’a indiqué pour la campagne HaiEnergy, nous ne pouvons actuellement pas attribuer Times Newswire aux mêmes opérateurs que PAPERWALL », indique le rapport.
Toutefois, selon le rapport, Citizen Lab a examiné les adresses IP d’hébergement des domaines Times Newswire et Paperwall, et elles ont conduit à Tencent, une entreprise technologique chinoise établie dans la ville de Shenzhen, dans le sud de la Chine.
Le rapport cite le virologue de Hong Kong, Yan Limeng, comme exemple de victime ayant fait l’objet d’attaques ciblées provenant de sites web Paperwall.
« Les attaques de PAPERWALL à son encontre n’étaient pas fondées, visaient sa réputation personnelle et professionnelle, et étaient totalement anonymes », indique le rapport.
Selon le rapport, les sites web Paperwall ont également fait la promotion de théories conspirationnistes, comme les allégations que les États-Unis ont mené des expériences biologiques sur des populations locales dans les pays d’Asie du Sud-Est.
Cabinet de relations publiques
La campagne a été attribuée à Shenzhen Haimaiyunxiang Media Co. Ltd, également connue sous le nom de Haimai, une société de relations publiques et de marketing basée à Shenzhen, en Chine, selon le rapport. Cette attribution s’appuie sur l’analyse des liens de l’infrastructure numérique entre l’entreprise et les sites Paperwall.
« Il s’agit donc d’une découverte incriminante, qui prouve que les deux domaines PAPERWALL ont été créés par les mêmes opérateurs que les actifs de Haimai », indique le rapport.
Selon le rapport, Haimai fait de la publicité sur son site web pour la vente de services de placement promotionnel dans plusieurs pays et plusieurs langues.
« Le rôle et l’importance des entreprises privées dans la création et la gestion d’opérations d’influence ne sont pas nouveaux », indique le rapport, qui ajoute que « la Chine – précédemment exposée pour avoir eu recours à cette catégorie de mandataires dans de vastes opérations d’influence, notamment dans l’affaire HaiEnergy – bénéficie aujourd’hui de plus en plus de ce modèle opérationnel, qui maintient un voile fin de déni plausible, tout en garantissant une large diffusion du message politique. »
« On peut supposer que PAPERWALL ne sera pas le dernier exemple de partenariat entre le secteur privé et le gouvernement pour des opérations d’influence chinoises. »
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