Les ressources sont là, et en abondance, mais elles ne sont pas utilisées. L’Italie ne sait pas comment dépenser les fonds européens dont elle dispose. Jusqu’à présent, seuls 12% des ressources disponibles ont été dépensés et moins de la moitié de l’enveloppe initialement prévue décaissée ces deux dernières années (pour un montant total de 20 milliards d’euros débloqués).
En 2021, l’Union européenne (UE) avait approuvé l’octroi de 191,5 milliards d’euros à l’Italie, qui a ajouté à ce montant 30,6 milliards d’euros par le biais d’un plan complémentaire, financé directement par l’État, pour un total de 222,1 milliards d’euros. Cette enveloppe est destinée à financer le piano nazionale di ricostruzione e resilienza (plan national de relance et de résilience, ou PNRR). Les sommes doivent être allouées d’ici cinq ans à différents projets dans des six domaines d’investissement (Innovation, transition verte, infrastructures, éducation, inclusion, santé).
En contrepartie des différentes tranches versées dans le temps, l’Italie est tenue de respecter une feuille de route qui comporte un total de 27 objectifs. Or, 12 auraient dû être atteints d’ici la fin du mois de mars, et 15 autres doivent l’être d’ici au 30 juin 2023. Face à cette situation, Bruxelles a d’ores et déjà gelé le versement de la prochaine tranche de 19 milliards d’euros prévu à cette date.
Un problème politique
Pourquoi ? Plusieurs raisons expliquent le laborieux déploiement du plan de relance italien. Dès le mois d’août 2022, les retards dans la sélection et les appels d’offres des projets sont apparus, lorsque la Corte dei conti, l’équivalent de notre Cour des comptes, a tiré la sonnette d’alarme, en pointant notamment du doigt les municipalités (en particulier dans les régions du Molise, de la Basilicate et de la Calabre, qui ont les services les plus déficients).
Le premier paragraphe du décret-loi de mise en place du PNRR précise en effet que les autorités locales sont chargées d’une partie des interventions. Or, la péninsule ne dispose pas des compétences nécessaires pour réaliser les projets nécessaires, mettre en route la machine administrative et respecter les délais dans toutes les régions.
Les fonctionnaires italiens ont en moyenne 50,7 ans – beaucoup plus qu’au Royaume-Uni et en France, par exemple – et 4 sur 10 ont un diplôme universitaire en droit ou en économie : deux diplômes peu utiles pour imaginer un projet visant à promouvoir la numérisation dans les écoles d’une certaine région, à résoudre le problème de l’instabilité hydrogéologique dans une certaine province, à améliorer la collecte différenciée des déchets dans les banlieues d’une grande ville. Les professionnels recherchés sont donc surtout des techniciens, c’est-à-dire des ingénieurs ou des architectes pour lesquels les faibles rémunérations proposées et la précarité des postes offerts rendent les postes peu attractifs.
Il existe également un problème politique. Les structures administratives et bureaucratiques sont fondamentales pour la création et la mise en œuvre des projets, mais elles ont besoin du soutien et de la vision de la classe politique locale qui, malheureusement, préfère souvent soutenir les petits projets qui lui assurent des paquets de voix. C’est un gros problème, surtout dans le sud de l’Italie, où la plupart des fonds sont dirigés pour la Basilicate, la Calabre, la Campanie, les Pouilles et la Sicile – et où la politique opère souvent avec une logique clientéliste.
Contexte difficile
Pour ne rien arranger, le contexte apparaît peu favorable à la relance. D’abord, en raison de l’inflation (8,7% en 2022), l’augmentation des coûts de production prive de nombreuses entreprises de l’accès aux appels d’offres. Le contexte politique a pesé également. En effet, l’une des toutes premières actions du gouvernement de Giorgia Meloni, première ministre depuis octobre 2022, a consisté à réformer toute la gouvernance du PNRR en février 2023. Cette période de changement a sans aucun doute allongé le calendrier et fait perdre de précieux mois pour la mise en œuvre du plan.
Par ailleurs, la leader du parti italien d’extrême droite Fratelli d’Italia doit faire face à une situation d’une grande complexité. En raison de ses engagements de campagne à l’égard des petits commerçants et artisans, sa marge est très étroite.
Fin mars, le gouvernement italien a également ouvert officiellement la révision du plan et sa rediscussion des objectifs avec Bruxelles. Le but est notamment d’éliminer les interventions qui devraient s’avérer irréalisables en raison de coûts excessifs ou de retards prévisibles dans les délais de mise en œuvre.
Il y a quelques mois, la Cour des comptes avait estimé que le pic de dépenses pour l’Italie serait atteint entre 2024 et 2025, lorsqu’il y aura 45 milliards à utiliser ! Un laps de temps qui semble aussi court que les problèmes structurels fondamentaux de l’Italie sont durables : l’économie de la botte n’a connu aucun gain productivité depuis 20 ans et sa classe politique reste orientée vers la rente plutôt que vers l’investissement et le risque.
Pour ces raisons, l’Italie conserve la peu enviable avant-dernière place européenne en termes de capacité d’absorption des fonds du budget 2014-2020, avec un recours à environ 38% des ressources effectivement déboursées par l’UE sur cette période.
Article écrit par André Tiran, Professeur émérite de sciences économiques, Université Lumière Lyon 2
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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