Factures salées de téléphone, satellites secrets et envois clandestins à l’étranger: à Bagdad, sans internet depuis mercredi, les manifestants tentent par tous les moyens de contourner le black-out pour raconter la violence qui a déjà fait une centaine de morts.
Quand les manifestations contre le pouvoir ont débuté mardi dans la capitale irakienne, avant de gagner la quasi-totalité du sud du pays, Facebook et Whatsapp ont soudainement cessé de fonctionner.
Le lendemain, les opérateurs du pays ont fermé tous les accès à internet et donc coupé le robinet à images. Dès lors, il n’y a plus eu, pour la plupart des manifestants, que deux moyens de communiquer: les appels téléphoniques et les SMS.
Sauf pour Ahmed, qui travaille pour un fournisseur d’accès à internet forcé par les autorités de bloquer son réseau mais qui a conservé un accès dans ses locaux.
C’est là qu’Ahmed, un Bagdadi de 29 ans, vient tous les soirs pour envoyer des images en cachette. « Le matin, je filme les manifestations avec mon téléphone », raconte-t-il à l’AFP, sous un nom d’emprunt pour éviter d’être reconnu et sanctionné.
« J’ai aussi des amis qui me donnent ce qu’ils tournent sur des clés USB pour que tout le monde en dehors de l’Irak puisse voir ce qui nous arrive ici », explique-t-il. « Après, j’envoie tout sur Facebook via internet au travail ou je transfère à des médias hors d’Irak ».
A l’AFP, il montre les vidéos qu’il doit envoyer plus tard à des médias internationaux: sur les images, ses amis s’abritent derrière un bloc de béton alors que des balles sifflent dans une rue quasi déserte.
Dès le début du mouvement, c’est sur les réseaux sociaux que les appels à manifester ont été lancés. Pour la première fois en Irak, des comptes qui ne dépendaient ni de partis ni de leaders religieux incitaient à descendre dans les rues pour réclamer des services publics fonctionnels, du travail pour les jeunes et la fin du règne des « corrompus ».
La coupure internet désormais totale
C’est aussi sur internet que les premières images des manifestants sur la place Tahrir, au centre de Bagdad, sont apparues mardi, sous le hashtag #save_Iraqi_people (« sauvez le peuple irakien »).
Lorsque les premiers brouillages ont été mis en place, de nombreux Irakiens ont téléchargé un VPN, un réseau virtuel permettant notamment de dissimuler l’origine géographique réelle de la connexion internet. Puis les appels à manifester, avec localisations et mots d’ordre, ont été lancés sur un forum inattendu: Cinemana, une plateforme de streaming vidéo où les commentaires sont habituellement postés par des cinéphiles.
Les Irakiens les plus riches sont parvenus à installer des antennes satellites sur leur toit pour garder un contact avec le reste du monde.
Les manifestants assurent que la coupure internet, désormais totale, est une tentative pour les empêcher de raconter ce que les autorités, disent-ils, ne veulent pas laisser voir: les canons qui déversent de l’eau brûlante sur les manifestants, les pluies de grenades lacrymogènes et les tirs à balles réelles.
Comme les autres manifestants, Oussama Mohammed, 31 ans, a dû s’adapter. « Avant, on regardait les pages Facebook des comités de quartier pour connaître les lieux de rassemblement. Maintenant, on se dirige au son des tirs », raconte-t-il. Mais « s’ils coupent les lignes téléphoniques, on avancera complètement à l’aveugle », s’inquiète-t-il.
Racha, militante féministe de 25 ans, pense qu’il est désormais trop risqué d’aller manifester et a trouvé une autre manière de soutenir le mouvement: elle est devenue « une intermédiaire ». Ses amis lui envoient des dizaines de SMS à propos des rassemblements à Bagdad et dans le Sud, qu’elles renvoient vers les Emirats arabes unis et l’Europe où elle à des connaissances. Chaque jour, cela lui coûte environ 100 dollars.
Elle a aussi gardé des vidéos en mémoire, pour plus tard. Les autorités « pensent qu’on va oublier qu’on nous a tiré dessus, elles imaginent que personne ne le saura jamais », affirme-t-elle. « Mais j’ai des vidéos et je vais tout mettre en ligne à l’instant où internet sera rétabli ».
Jaafar Raad, chômeur de 29 ans, pense lui aussi au jour où Bagdad sera reconnecté. A chaque fois qu’il va manifester, il enregistre des messages vocaux sur Whatsapp et Facebook. Aucun n’est jusqu’ici parvenu à ses amis et aux médias auxquels il les destinait. Mais dès qu’internet sera rétabli, il les utilisera car, dit-il, « les gens doivent savoir ce qui nous est arrivé ». « C’est le seul moyen de faire rendre des comptes à ceux qui sont derrière cette violence ».
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