Le mardi 9 avril, les députés ont entériné définitivement le projet de loi « pour renforcer la lutte contre les dérives sectaires », avec son article 4 controversé qui introduit un délit de provocation à l’abandon ou à l’abstention de soins. Si le RN, LR et LFI ont dénoncé le caractère liberticide de cette disposition, Renaissance a mis en avant… « un texte de libertés », balayant les arguments du Conseil d’État par un raisonnement embrouillé. Après un parcours parlementaire rocambolesque, la législation doit maintenant passer le filtre du Conseil constitutionnel.
La liberté d’expression encore un peu plus limitée. Le parcours du projet de loi « visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes » aura été chaotique jusqu’à son adoption par l’Assemblée nationale ce mardi 9 avril, par 146 voix « pour », 104 voix « contre ». La semaine précédente, le mardi 2 avril, le texte avait été recalé par le Sénat par le biais de l’adoption d’une motion de question préalable, mais le Palais Bourbon l’emporte en cas de désaccord entre les deux chambres, conformément à la procédure législative en vigueur.
Point principal de discorde, son article 4 qui prévoit de sanctionner par un an d’emprisonnement et 30.000 euros d’amendes la « provocation à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique » ainsi que « la provocation à adopter des pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique », lorsque ces incitations peuvent s’avérer « particulièrement graves » pour la santé physique ou psychique.
Cette disposition avait été désavouée par le Conseil d’État dans un avis rendu le 17 novembre 2023, supprimée par le Sénat le 19 décembre, réintroduite en Commission des lois de l’Assemblée nationale le 9 février, avant d’être rejetée par une majorité de députés lors d’un premier vote au Palais Bourbon le 13 février, puis finalement adoptée, dans une version légèrement remaniée, le lendemain lors d’une seconde délibération dans l’hémicycle, qualifiée par ses détracteurs de « passage en force » de la majorité.
Suite à l’échec des négociations entre députés et sénateurs lors de la Commission mixte paritaire du 7 mars, cet article 4 avait de nouveau été voté à l’Assemblée nationale le 20 mars, rejeté une seconde fois par le Sénat le 2 avril, et enfin définitivement entériné ce 9 avril au Palais Bourbon.
« Les lanceurs d’alertes seront maintenant muselés par l’article 4 »
Avant l’adoption du texte par les députés, le Rassemblement national, Les Républicains, le groupe Liot ou encore la France insoumise n’ont pas manqué d’alerter, derechef, sur la menace que fait courir cette nouvelle loi pour les libertés publiques, notamment pour les personnes critiquant l’industrie pharmaceutique.
« Si les victimes ne seront pas spécialement mieux accompagnées [avec cette loi, ndlr], il y a une cible que la macronie n’a pas manquée : je parle bien entendu des lanceurs d’alerte », a ainsi dénoncé Thomas Ménagé, député RN, devant l’hémicycle : « Ces lanceurs d’alertes qui seront maintenant muselés par l’article 4 de ce projet de loi attentatoire à la liberté d’expression comme à la liberté du débat scientifique ». Selon l’homme politique, cette disposition « permettrait des poursuites contre des personnalités comme Irène Frachon qui avait pourtant révélé le scandale du Mediator et sauvé des milliers de vies », puisqu’elle n’intègre pas la « temporalité » du lancement d’alerte : « Un lanceur d’alerte précisément a tort avant d’avoir publiquement raison. Et vous vous contentez de retenir le cœur léger et surtout les yeux fermés qu’il ne sera pas visé par l’infraction. C’est ubuesque et incompréhensible du point de vue du droit pénal ». Les 58 députés RN présents à l’Assemblée, sur 88, ont voté contre le projet de loi.
De son côté, le groupe LR a préféré s’abstenir, bien que neuf députés se soient finalement prononcés contre cette législation au moment du vote : « Ce texte suscite des inquiétudes dans sa version finale », a justifié le député Xavier Breton à la tribune : « L’empilement des rédactions a rendu ce texte de plus en plus bricolé, de moins en moins lisible, alors même que nous touchons à des sujets d’importance comme la liberté d’expression, la liberté de conscience, et la liberté d’opinion », a-t-il déploré.
Même son de cloche du côté du groupe Liot, dont la position officielle a été formulée par Paul Molac : « Notre groupe ne soutient toujours pas l’article 4. Il s’interroge comme de nombreux Français sur son application qui pourrait mettre à mal la liberté d’expression ». L’occasion pour le parlementaire d’étriller la manière dont « cet article dangereux et inadapté » a été réintroduit le 14 février après suppression par le Sénat et l’Assemblée nationale : c’est « la marque d’une démocratie peu respectueuse du travail parlementaire », a-t-il fustigé.
La France insoumise, dont 30 députés présents sur 75 ont voté contre son adoption, a également fait partie de ceux clamant leur opposition à ce texte en dénonçant « une surenchère pénale » par la voix de sa députée, Elisa Martin : « Vous codifiez des agissements qui existent déjà dans l’arsenal pénal : pratique illégale de la médecine, incitation à l’abandon de soins, mise en danger de la vie d’autrui, abus de faiblesse, non-assistance à personne en danger. Ce que vous faites en définitive, c’est menacer nos libertés ». Et d’asséner : « À défaut de moyens, ce texte se contente d’empiler des peines et des sanctions en contradiction encore une fois avec les libertés fondamentales ».
« Un texte de libertés »
Que nenni, a assuré, en début de séance, Sabrina Agresti-Roubache, chargée de porter le texte au Parlement en tant que secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté : « Il n’est pas dans l’intention du gouvernement d’interdire la critique médicale, d’empêcher les malades de décider en toute conscience et pleinement éclairés de prendre ou de s’abstenir d’un traitement, d’épingler les discussions familiales ou amicales. » Ciblant notamment « la sphère complotiste » sur Internet, la ministre affirme que la « seule intention du gouvernement est de mettre hors d’état de nuire les gourous 2.0 ».
Son collègue, Didier Paris, va encore plus loin : « C’est un texte de libertés », a-t-il claironné, sans sourciller. Avant de développer : « Par l’évolution du texte, nous préservons la liberté de conscience, nous préservons la liberté de refus de soin qui est propre à l’intime de chacun d’entre nous, nous préservons la liberté de choix de traitement voire de refus d’un traitement […] nous préservons aussi la liberté de la presse et nous valorisons d’une certaine façon la qualité de l’information, puisque celle-ci permettra de retenir la volonté libre et éclairée de la personne, notamment quand elle bénéficie d’une information effective et efficace. »
Le député macroniste s’est également lancé dans un raisonnement tortueux visant à justifier le choix du gouvernement d’outrepasser l’avis du Conseil d’État : « J’ai beaucoup entendu des références au Conseil d’État. C’est à mon sens des références qui montrent un défaut de lecture, en tout cas une lecture incomplète, tout simplement parce que le Conseil d’État dit effectivement qu’il existe des règles dans le dialogue bilatéral entre le médecin et le patient par exemple. Mais que dès lors qu’on a affaire à une communication grand public, une communication impersonnelle, nous n’avons pas ces éléments de réponse. C’est la raison pour laquelle, c’est un texte qui nécessitait impérativement d’y trouver un moyen efficace de lutte ». La juridiction remet pourtant en cause tant la « nécessité » que la « proportionnalité » de cette disposition, précisant qu’elle « constitue une atteinte portée à l’exercice de la liberté d’expression, protégée par l’article 11 de la Déclaration de 1789 ».
Également membre de la majorité présidentielle, Philippe Pradal (Horizons) n’a, lui, pas tenté de masquer l’objectif de limitation de la liberté d’expression inhérente à ce projet de loi, arguant que la « crise sanitaire a entrainé une crise de confiance envers la science et la parole médicale » et mené à une prolifération des dérives sectaires, dont témoigne, selon lui, « l’augmentation constante des saisines de la Miviludes ». Cette raison justifie à ses yeux de restreindre la liberté d’expression des « gourous 2.0. » : « Nous devons aussi ne pas être dupes que ces nouveaux gourous se savent protégés par la loi sur la liberté d’expression et utilisent également le déficit de confiance des Français envers l’ensemble des institutions ». Reste à savoir si par « gourou », il est fait référence aux manipulateurs sectaires ou bien à des figures scientifiques telles le Pr Didier Raoult, comme l’avait affirmé Olivier Véran le 14 février lors des débats autour de cet article 4.
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