Malgré le retour en salles du public après la pandémie, l’avenir des maisons d’arts lyrique et chorégraphique françaises est incertain. Fermetures et annulations se multiplient et se présentent même comme une solution, voire la meilleure issue sur le plan économique.
À Paris, tout en restant massivement subventionnés par l’État, et afin de collecter plus de recettes pour combler leurs déficits importants, des théâtres prestigieux à rayonnement international débordent d’idées originales : l’Opéra Garnier a ouvert ses portes à Airbnb pour une nuit en contrepartie de plusieurs centaines de milliers d’euros. Quant à la Philharmonie, elle est devenue le cadre idéal pour des évènements privés.
L’Opéra de Lyon a, quant à lui, annoncé la déprogrammation de plusieurs événements et sa fermeture exceptionnelle entre le 15 juillet et le 15 août prochains. Cette annonce officielle datant du 14 avril est venue compléter la série de mauvaises nouvelles concernant les déprogrammations et les fermetures temporaires qu’un grand nombre de maisons d’arts lyrique et chorégraphique ont dû prendre comme solutions pour faire face à « des baisses de subventions », à la « crise énergétique », à l’« inflation » et à la « crise sociale liée à la réforme des retraites ».
Ainsi, les maisons d’opéra et d’orchestre de Lyon, Rouen, Strasbourg, Nancy ou encore Montpellier ont adopté leur propre combinaison entre annulations, suspensions ou fermetures pour survivre économiquement. À l’Ouest, la mutualisation d’Angers Nantes Opéra avec l’Opéra de Rennes a prouvé son efficacité économique. En Côte-d’Or, les responsables de l’Opéra de Dijon ont décidé de diriger le Grand-Théâtre comme s’il était une entreprise avec une véritable politique de partenariat, introduisant même sur scène les arts du cirque pour diversifier sa « large palette d’offres » et « répondre aux attentes des entreprises » partenaires.
À Paris, le prestigieux opéra Garnier, massivement subventionné mais durablement déficitaire, devra se voir transformé pour des raisons purement économiques. De nombreux travaux de réfection et de mise en conformité sont « financés par l’affichage publicitaire sur la bâche de la façade » à hauteur de 18 millions d’euros, a précisé l’Opéra. Sa loge d’honneur est transformée en chambre d’hôtel pour Airbnb la nuit du 16 au 17 juillet, et son historique Foyer de la Danse, en salle de dîner pour la même soirée, le tout contre un financement de 650.000 euros destiné à la restauration des loges.
« Toutes les familles heureuses le sont de la même manière, les familles malheureuses le sont chacune à leur façon ». Cette phrase d’ouverture légendaire d’Anna Karénine — chef-d’œuvre romanesque et théâtral de Léon Tolstoï – semble bien à propos pour décrire, au moins superficiellement, la situation actuelle des maisons d’arts lyrique et chorégraphique françaises.
Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Pour y répondre, il faudrait peut-être philosopher davantage à l’aide d’une autre citation, tout aussi mythique, du plus grand rival de Tolstoï d’alors, Dostoïevski : « Un être qui s’habitue à tout, voilà, la meilleure définition qu’on puisse donner de l’homme ».
Tolstoï ou Dostoïevski ? Telle n’est pas la question pour les dirigeants des opéras français, à l’image de Jean-Baptiste Jacob et de Gabriel Meraud-Lanfray, respectivement administrateur et directeur technique de l’Opéra de Rouen, lesquels, dans leur rôle digne de gardiens d’un temple de l’art lyrique, passent leur temps à additionner des factures de gaz et d’électricité, ou à réfléchir comment recycler des tapis de danse usagés, des costumes ou tout objet de « quincaillerie de décor » pour faire des économies.
« Le modèle des opéras et des orchestres est le plus fragile malgré la taille que nous présentons parce ce que ce sont des géants au pieds d’argile. On s’est fracassé sur le mur de l’inflation, de la hausse des coûts [énergétiques] généralisés, parfois de l’augmentation des salaires qui est très attendue, et dans certains endroits, il faut le dire, de la baisse de subventions publiques », constate avec amertume Loïc Lachenal, directeur général et artistique de l’Opéra de Rouen, avant de s’inquiéter au micro de France Inter : « Qu’est-ce que l’on veut pour demain ? Quel est le niveau du service public en matière culturelle que l’on veut sur les territoires ? […] C’est un choix de société, c’est avant tout une question de politique ».
Il s’agit d’abord d’un choix de politique budgétaire au niveau national dont un résumé peut être trouvé dans le rapport dit « de Caroline Sonrier sur les opéras français » : « Avec 95 millions d’euros de subvention ministérielle à l’Opéra de Paris en 2019, soit 43% de son budget, ne reste que 32 millions d’euros pour tous les autres, hors Opéra-Comique, représentant au maximum 20% de leur budget (bien souvent entre 5% et 10%) ».
S’ajoutent à cela des choix politiques très hétérogènes au niveau régional. Par exemple à Lyon, l’opéra a subi deux coupures budgétaires successives de 500.000 euros chacune. La première a été décidée en 2021 par les nouveaux élus municipaux écologistes, la seconde a été validée l’an passé par le Républicain Laurent Wauquiez qui est à la tête du conseil régional. À Strasbourg, la maire écologiste Jeanne Barseghian a annoncé en mars la rénovation et la restructuration de l’emblématique Opéra National du Rhin, évoquant trois ans de fermeture prévus pour 2026 afin d’entamer des travaux dont le coût est estimé entre 25 et 70 millions d’euros, après avoir cependant décidé de diminuer la subvention municipale au secteur culturel de 2,5 %.
Et, enfin, la politique « verte » européenne qui impose à tous les opéras français, tant à Paris qu’en régions, des investissements colossaux pour transformer ces édifices culturels, pour la plupart classés comme monuments historiques, en bâtiments à haute performance énergétique. Un texte a été en effet voté le 14 mars introduisant de nouvelles obligations européennes avec l’objectif de réduire la consommation énergétique de 40% d’ici à 2030.
« Tout cela manque de bon sens », s’exclame le député européen François-Xavier Bellamy dans le Figaro avant de nous inviter à consulter sagement les enseignements du passé : « Les anciens savaient mieux que nous s’adapter à la diversité des climats et des territoires : des vieilles longères aux mas provençaux en passant par les habitations à colombages, ils concevaient des maisons fraîches en été et gardant la chaleur en hiver… sans pour autant subir la tyrannie de normes préétablies. »
En parlant du passé, la statue d’Apollon, le Dieu antique des Arts, domine encore le toit du Palais Garnier. Elle évoque en effet le passé glorieux du Grand Siècle, lorsque la pureté des arts lyrique et chorégraphique était sous la protection bienveillante du Roi Soleil. À l’époque, aucune danseuse de l’Opéra de Paris n’avait à courir le risque de mettre fin à sa carrière à force de danser le Lac des cygnes pendant des heures sur un trottoir gelé par le froid hivernal, pour rappeler son droit à se reposer à 40 ans, afin de protéger ses pieds fragilisés par des années d’entraînement. Comme disait Sophocle il y a environ 2500 ans : « Le pêcheur qui, à coups de rames, fait avancer sa barque, a son passé devant lui et son avenir dans le dos ».
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