La phytotechnologie pour assainir les eaux usées
Le Québec est connu pour être une province riche en eau. Avec ses dizaines de milliers de rivières et ses trois millions de plans d’eau, le Québec détiendrait 3 % de la réserve mondiale d’eau douce renouvelable alors que sa population ne représenterait que 0,1 % de la population mondiale. Or, préserver cette ressource implique des défis importants puisque plusieurs menaces pèsent sur elle : des sources de pollution multiples, les changements climatiques, les usages parfois conflictuels dont l’eau peut faire objet, etc. Mais parfois, face à la complexité de certains problèmes, mieux vaut s’en remettre à l’intelligence de la nature. C’est ce qu’entreprennent plusieurs chercheurs, citoyens, municipalités, etc. en se tournant vers les phytotechnologies, c’est-à-dire des technologies qui utilisent des plantes, pour assainir les eaux usées.
La qualité de l’eau au Québec
Il ne semble plus exister aujourd’hui de plans d’eau d’une pureté absolue tels qu’on aurait pu les imaginer avant le développement de l’ère industrielle. Il est connu que les contaminants des zones industrielles rejoignent désormais, par le mouvement des courants marins et des vents dominants, les lacs alpins et les zones arctiques les plus reculées.
Qu’en est-il de la qualité des cours d’eau au Québec ? « Je ne crois pas qu’elle se soit beaucoup dégradée au cours des dernières années, mais ça ne s’est pas beaucoup amélioré non plus. C’est sûr qu’il reste encore beaucoup de travail à faire », selon Jacques Brisson, professeur à l’Institut de recherche en biologie végétale de l’Université de Montréal.
Bien qu’elles soient réglementées, l’agriculture et l’urbanisation seraient en partie responsables de la pollution des cours d’eau. Selon une classification du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDEP) réalisée en 2006-2008, les rivières du Québec qui ont la plus grande pureté se trouvent là où l’humain les a épargnées ; des Escoumins, Bonaventure, Montmorency, Batiscan, etc., toutes sont des rivières de qualité assez bien préservées, voire, pour certaines, d’une pureté cristalline. Inversement, les rivières Yamaska, Yamachiche, Mascouche, Assomption, Châteauguay, etc., qui sillonnent des bassins versants à dominance agricole et urbanisée, ont une qualité de l’eau douteuse ou mauvaise.
Les marais filtrants
Les milieux humides (marais, marécages, tourbières, etc.) sont des écosystèmes des plus riches et des plus productifs, et ont la capacité naturelle d’épurer l’eau. Par un efficient travail symbiotique, les plantes, les micro-organismes et le sol arrivent à retenir les nutriments, coliformes fécaux, matières en suspension, métaux lourds et autres polluants présents dans l’eau de sorte que, à la sortie des milieux humides, elle est plus propre qu’à son entrée.
Depuis la première moitié du siècle dernier, des chercheurs de par le monde s’inspirent de la nature et développent différents types de marais artificiels : « On fait une enceinte avec un sol et des plantes et on achemine de l’eau usée au début et l’eau chemine à travers le marais. Elle sort avec un certain degré d’épuration », précise M. Brisson. Cette technologie est utilisée pour traiter surtout les effluents de petites municipalités (de quelques centaines à quelques milliers d’habitants), mais peut aussi épurer des effluents agricoles et industriels (brasseries, laiteries, textiles, etc.) et même miniers ; « On s’est aperçu que les marais filtrants pouvaient épurer des eaux usées d’à peu près toutes natures », ajoute M. Brisson.
Cette technologie est très utilisée en Europe et aux États-Unis. « En France, il y a des centaines de municipalités où les eaux usées sont traitées par des marais filtrants […], mais au Québec, on est assez en retard à ce niveau-là », déplore Jacques Brisson. Pourtant, par rapport à une station d’épuration conventionnelle qui utilise les traitements physico-chimiques, les marais filtrants nécessitent peu ou pas d’équipement mécanisé, consomment peu d’énergie et induisent des coûts de construction et d’exploitation bien moindres.
Bien que la majorité des systèmes existants opèrent dans des conditions climatiques moins rigoureuses, l’hiver ne poserait pas un frein à leur développement. Jacques Brisson confirme : « L’hiver, c’est un défi supplémentaire, mais ce n’est pas un frein. […] la plupart des mécanismes de transformation se font dans l’eau et dans le sol, avec des bactéries par exemple. […] même quand les plantes sont dormantes, le travail d’épuration se fait. »
« Un autre frein, le principal au Québec, c’est le phosphore », indique M. Brisson. Le phosphore est utilisé en agriculture comme fertilisant. Lorsqu’il est lessivé par la pluie et rejoint les cours d’eau et les lacs, cet élément nutritif favorise la croissance des algues, ce qui peut entraîner une déficience en oxygène dissous et conduire à la mort de nombreuses formes de vie aquatique. « Les marais filtrants sont très efficaces ou moyennement efficaces selon le type de polluants, mais effectivement, pour le phosphore, ils ne vont pas arriver à réduire [la concentration] à une norme très sévère comme celle que l’on a au Québec. » Mais la recherche continue : « On va essayer de trouver des moyens – et il en existe – pour compléter le marais filtrant avec un système qui réduirait davantage le phosphore. Ça reste un frein en ce moment, mais je pense qu’on va arriver à trouver des façons de régler ce problème. »
Réalisable à Montréal ?
Pourrait-on implanter un marais qui filtre les eaux usées de Montréal ? «Ça prendrait un marais filtrant de la grandeur de l’île de Laval », fait remarquer M. Brisson. L’espace est donc un enjeu, mais la situation de Montréal est également particulière pour une autre raison : « le problème de l’eau usée à Montréal, il est très grave. On a, depuis un certain temps, une usine d’épuration dans l’est de la ville. C’est une des plus grosses usines au monde, c’est une usine largement connue avec une grande réputation. Par contre, curieusement, malgré la grandeur de l’usine, elle n’arrive pas toujours à traiter toute l’eau qu’on y amène, et quand on dépasse la quantité d’eau que l’usine est capable de traiter, cette eau-là est simplement dérivée vers le fleuve sans qu’on l’ait traitée. »
Contrairement à d’autres villes où seules les eaux domestiques sont traitées avant d’être rejetées dans les cours d’eau, le réseau d’égout de Montréal collecte aussi les eaux de pluie. Lorsque, après de fortes pluies, une partie de l’eau contaminée de l’île de Montréal est rejetée dans le fleuve Saint-Laurent, la qualité de l’eau s’en fait ressentir : selon le MDDEP (2008), la qualité de l’eau dans le canal de Beauharnois et à l’exutoire du lac Saint-Louis serait bonne alors qu’en aval de l’île de Montréal, entre Varennes et Sorel, elle se détériore de façon importante. Selon Jacques Brisson, « ce n’est pas facile à corriger parce que, évidemment, ce système-là est très ancien. […] Dans les nouveaux quartiers, on fait ce système d’égout séparé, mais pour ce qui est du reste de la ville ça serait exorbitant d’essayer de tout remplacer d’un coup. »
En attendant que le réseau d’égout se modernise, nous pourrions, une fois de plus, mettre à contribution l’intelligence de la nature : « plutôt que de changer les tuyaux, ce qui coûterait trop cher, si on veut améliorer la qualité de l’eau, le mieux serait de la retenir sur place, de la faire évapotranspirer par des plantes ou de mettre des systèmes perméables qui permettent de faire rentrer l’eau dans le sol plutôt que de l’envoyer directement dans notre système d’égout », mentionne M. Brisson. À cet effet, de nombreuses options existent et sont d’ailleurs de plus en plus populaires en ville : verdissement des toits, carrés d’arbres plus larges en bordure des trottoirs, bandes végétales près des stationnements, etc. Une belle façon de concilier esthétisme, environnement et économie.
Des îles flottantes pour rajeunir les lacs
Dans les Laurentides, le comité de citoyens du Lac René s’est organisé pour protéger leur lac. Le lac René est un petit lac de tête près de la ville de Prévost, dans la MRC de la Rivière-du-Nord.
Selon Aviram Muller, riverain, « la qualité de l’eau du lac René s’est dégradée. À partir des années 1980, il y a eu beaucoup de construction [près du lac], les gens voulaient des gazons, ils ont utilisé des fertilisants chimiques, les fosses septiques n’étaient pas toujours étanches, ça a amené beaucoup de nutriments dans le lac […] le lac était assez chargé. Il a été classé mésotrophe avec une tendance vers eutrophe ».
En effet, le phénomène d’« eutrophisation » expliqué plus haut résulte généralement d’un apport important en phosphore et en azote dans un plan d’eau, ce qui favorise la croissance du phytoplancton et des algues et augmente la turbidité. Conduit à l’extrême, certaines zones du lac peuvent être privées de lumière et d’oxygène ce qui provoque la disparition de certaines espèces aquatiques et le développement des bactéries nocives. Aussi, comme d’autres lacs du Québec, des algues bleues ont commencé à être visibles au lac René.
Mais les résidents se sont pris en main et un comité représentant 200 ménages s’est formé. En 2008, le comité a élaboré un projet d’îles flottantes en faisant venir d’Allemagne une structure de polyéthylène moussé sur laquelle ils ont planté des espèces de plantes indigènes du Québec et qui, de pair avec les bactéries et micro-organismes dans l’eau, retient les éléments nutritifs de l’eau. Aussi, en collaboration avec la ville de Prévost, le comité a participé à des activités de reboisement des berges pour lutter contre l’érosion et a créé trois plages semi-publiques qui sont entretenues par les membres et dont l’accès leur est réservé. Finalement, diverses activités de sensibilisation des riverains aux bonnes pratiques à adopter pour protéger le lac ont été menées, dont la publication d’un bulletin et la création d’un site web.
Les efforts semblent avoir porté fruit puisque, faisant partie depuis cinq ans du Réseau de Surveillance Volontaire des Lacs (RSVL) du MDDEP, des analyses de l’eau ont été réalisées à un point d’échantillonnage proche de l’île flottante et les résultats suggèrent que la qualité de l’eau s’est effectivement améliorée.
Comme le décrit M. Muller : « Tous les paramètres font une courbe vers le mieux. Le lac n’est plus eutrophe mais, au contraire, il rajeunit et se rapproche du type oligotrophe [c’est-à-dire moins chargé en nutriments].» En effet, selon les analyses effectuées en 2009, 2010 et 2014, la transparence s’est accrue et les concentrations moyennes de chlorophylle, de phosphore et de carbone ont toutes diminué. « Je ne connais aucun lac au Québec qui a eu d’aussi bons effets ! », conclut-il. La prise en charge citoyenne porte certainement ses fruits. Quant aux îles flottantes, il serait intéressant de poursuivre les recherches et d’affiner cette technologie pour éventuellement la transposer sur d’autres lacs du Québec.
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