Dans un environnement toujours plus compétitif, dans lequel la survie de l’entreprise dépend de ses performances, avoir des salariés engagés, les fidéliser, et attirer de nouveaux talents sont devenus des enjeux stratégiques majeurs. Cependant, beaucoup, les jeunes en particulier, ne sont aujourd’hui plus prêts à signer pour n’importe quoi, et le salaire ne s’avère souvent pas un argument suffisant. Soucieux d’éthique et d’écologie, la nouvelle génération est plus attentive aux conditions de travail saines et équitables, et en font leurs critères de choix d’employeur.
Certaines firmes tentent donc de se doter de ce que l’on appelle une « marque employeur ». L’idée : de même que l’on achètera un produit en se référant à sa marque, de même on sera tenté d’accepter une offre d’emploi provenant d’une entreprise positivement connotée. Cette image se forge selon ce que les salariés valorisent le plus et désirent retrouver chez un employeur idéal : un travail attrayant, de bonnes relations sociales, des avantages économiques, des possibilités de développement et de transmission de leurs savoirs font partie des éléments qui entrent en jeu.
Les entreprises vont alors multiplier les communications vantant une gestion socialement responsable de leurs ressources humaines (RH).
En interne cependant, en raison une nouvelle fois d’une recherche perpétuelle de performance, les salariés vivent parfois certaines réalités qui ne correspondent pas à l’image d’une marque employeur socialement responsable, notamment en période de transformation organisationnelle. Avec l’avènement des réseaux sociaux, ils n’hésitent d’ailleurs plus à dévoiler des pratiques peu scrupuleuses. Qu’ils soient positifs ou négatifs, leurs avis en ligne sont considérés plus crédibles que les communications RH de l’entreprise.
Dans une telle situation, comment l’entreprise peut-elle (encore) revendiquer une marque employeur socialement responsable ? Nos recherches mettent en avant les conditions sous lesquelles les marques employeur peuvent se nourrir des avis en ligne des salariés pour rester attractives.
Des salariés en quête de bien-être
Nous avons mené une double étude qui repose d’une part sur près de 700 avis de salariés d’un des leaders européens de la grande distribution. Ces avis ont été répertoriés sur une période d’un changement stratégique majeur de l’entreprise, à partir de la plate-forme Company reviews du site de recherche d’emploi Indeed. D’autre part, nous avons mobilisé les communications RH de l’entreprise pendant cette même période. Quatre points de divergence entre l’image transmise par l’entreprise et celle perçue par les salariés ressortent.
Premièrement, bien que la dimension managériale fasse l’objet d’une forte communication RH, des propos très négatifs ont été repérés à son sujet. Les salariés, notamment sur des postes en caisse, font état de pratiques de management désobligeantes :
« Le plus difficile est de rester en caisse debout sans s’asseoir car on n’avait pas le droit » ; « j’ai enchaîné six heures de tenue de caisse sans pause, et pas qu’une fois » ; « Harcèlement, chantage à l’emploi et discrimination sont les maîtres mots de cette entreprise. Ne soyez pas étonné d’entendre des propos injurieux et de subir l’humiliation. »
Un taux d’occurrence de 10% à ce sujet a été observé dans les avis en ligne.
Avec, elles, 38% d’occurrences, la santé et la sécurité au travail constituent la dimension de la marque employeur la plus importante aux yeux des salariés. La communication RH, de son côté, reste pourtant timide à ce sujet. Les cadences élevées, « irréalisables » et la forte intensité du travail provoquent, d’après les propos déposés sur le web, des problèmes de santé, psychologiques (stress, épuisement) comme physiques. La pénibilité de certains postes de travail qui occasionne des troubles musculo-squelettiques est largement soulignée.
L’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle semble, quant à elle, une dimension périphérique de la marque employeur. A contrario, pour les salariés, les difficultés à le trouver expliquent des départs sur certains postes :
« Après 5 ans de bons et loyaux services, j’ai décidé de partir, car trop de pression morale et pas de vie de famille. Ils s’en foutent royalement que certains de leurs salariés aient une famille ou des enfants qu’ils élèvent seuls. »
Sur des postes peu qualifiés, enfin, malgré une rémunération avantageuse par rapport aux autres entreprises du secteur, des promesses pour un emploi stable non tenues et un turnover élevé créent un sentiment d’insécurité de l’emploi.
La question qui se pose alors pour la marque est que faire de ces avis ? Comment les entreprises peuvent-elles s’en servir pour gérer leur marque employeur ?
Une communication discrète sur les questions de santé
Les décalages entre l’image transmise et celle perçue en interne ne peuvent se résumer à une défaillance en termes de communication. Les responsables de ressources humaines, pour éviter les promesses non tenues, semblent en fait avoir tout intérêt à co-construire la marque employeur avec les salariés, notamment quand celle-ci se trouve malmenée par des changements organisationnels profonds.
Nos conclusions amènent aussi à bannir les considérations touchant à la santé au travail dans ce qui vise à améliorer l’image de la marque employeur, souvent vues comme du « greatwashing », un appât dont on sait trop qu’il en est un. Cela remettrait en cause les communications RH qui, par nature, restent exclusivement favorables à l’entreprise.
Les avis en ligne négatifs étant réputés être plus influents sur les comportements et attitudes que ceux qui sont positifs, les employeurs devraient en outre mettre en place une veille sur les plates-formes d’opinion pour une meilleure gestion de leur marque. D’autant plus que cela permettrait d’apporter des réponses aux attentes des salariés : nos résultats confirment en effet que des formules de rémunération attrayantes ne suffissent plus pour rendre totalement compte du caractère responsable de la marque employeur. Des pratiques de management symboliques, au moins dans le court terme, mais centrées sur l’humain seraient nécessaires.
Les certifications respectant des standards internationaux pourraient également apporter des garanties sur la qualité du management et favoriser la crédibilité de la communication sur la marque employeur socialement responsable.
Mohamed Regragui, Docteur en Sciences de Gestion, spécialisé dans l’influence sociale en E-Commerce et actuellement Business Project Manager, a également contribué à cette recherche.
Sinem Kilic, Enseignant-chercheur, ESCE International Business School et Regis-Monyedodo Kpossa, Associate professor, ESCE International Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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