La Russie organise les 15-17 mars une élection présidentielle censée offrir triomphalement à Vladimir Poutine, faute de véritable opposants, un nouveau mandat de six ans et asseoir sa légitimité, en dépit du trouble suscité par le conflit contre l’Ukraine.
L’élection doit maintenir M. Poutine au pouvoir jusqu’en 2030, l’année de ses 77 ans. Avec un mandat supplémentaire potentiel jusqu’en 2036 grâce à une modification sur mesure de la Constitution menée il y a quatre ans.
Les seuls candidats déclarés s’opposant au conflit en Ukraine, dont les libéraux Boris Nadejdine et Ekaterina Dountsova, soutenus par les signatures de dizaines de milliers de Russes, ont été interdit de participation, officiellement pour des erreurs dans leur dossier.
Outre Vladimir Poutine, trois candidats ont été autorisés : le nationaliste Léonid Sloutski, le communiste Nikolaï Kharitonov et l’homme d’affaires Vladislav Davankov. Tous ont soutenu la campagne militaire en Ukraine.
L’organisateur des scrutins, la Commission électorale centrale, officiellement indépendante, est de facto subordonné à l’administration présidentielle. Et en contrôlant le processus de nomination des candidats aux élections, le Kremlin a dressé un mur infranchissable pour les dissidents.
Une opposition réelle laminée par des années de répression
Trois faux adversaires pour donner un vernis pluraliste au vote et canaliser le mécontentement de diverses strates de la société russe, alors que l’opposition réelle a été laminée par des années de répression.
La Fondation anticorruption de M. Navalny a été désignée comme une « organisation extrémiste » et toute coopération avec elle est passible de poursuites pénales en Russie. Ilya Yashin, Vladimir Kara-Murza, Liliya Chanysheva et des centaines d’autres militants de l’opposition, défenseurs des droits humains et activistes de l’opposition ont déjà été condamnés ou sont en attente d’un jugement dans des centres de détention provisoire.
Après l’invasion russe de l’Ukraine, le Kremlin a rendu pénalement répréhensible toute critique contre le président et de l’opération militaire elle-même. Le parlement a adopté une législation sur la « discréditation de l’armée » et les « fake news » qui a interdit, de fait, aux médias indépendants et à l’opposition de pouvoir se faire entendre auprès des citoyens ordinaires.
Face au trucage des votes : tout « sauf Poutine »
Les autorités ont plusieurs outils pour contrôler les résultats, toujours selon leurs opposants : trucage de votes effectués en ligne et à distance, bourrage d’urnes, falsification des procès verbaux après le dépouillement, pressions sur les millions de fonctionnaires à travers le pays pour aller voter pour le pouvoir. Ioulia Navalnaïa, la veuve de l’opposant Alexeï Navalny, a appelé ses soutiens à se réunir dans les bureaux au même moment et à voter pour « n’importe quel candidat sauf Poutine » ou à invalider leur bulletin en y écrivant « “Navalny” en grosses lettres ».
Malgré un résultat qui ne fait guère de doutes, le pouvoir s’investit activement dans la campagne en vue de renforcer la légitimité en interne et à l’international de Vladimir Poutine en montrant qu’il jouit dans les urnes et d’un soutien massif de la population. M. Poutine, après des succès relatifs sur le front en Ukraine dans un contexte d’effritement du soutien occidental à Kiev, a multiplié les apparitions médiatiques ces dernières semaines, s’affichant avec des étudiants, dans des usines ou à bord d’un bombardier des forces de dissuasion nucléaire.
En ce qui concerne les élections elles-mêmes, l’organisateur des scrutins, la Commission électorale centrale, officiellement indépendante, est de fait totalement subordonnée à l’administration présidentielle. Le président russe ne participera à aucun débat électoral, ce qu’il n’a jamais fait depuis son arrivée au pouvoir il y a un quart de siècle.
Des autorités fébriles face aux manifestations de femmes de soldats
Fin février, dans son discours annuel à la nation, il a fait une longue série d’annonces chiffrées, promettant des milliards de roubles pour moderniser les infrastructures, lutter contre la pauvreté et un déclin démographique prononcé, ou encore numériser le pays. Un programme présidentiel jusqu’en 2030, au moins. Car, même si l’économie russe s’est montrée plus résistante que prévu aux multiples sanctions occidentales, nombre de Russes s’inquiètent de la hausse des prix et, de manière générale, de la déstabilisation suscitée par la campagne militaire en Ukraine. Des problèmes de ressources humaines s’accumulent avec la mort ou le départ au front de milliers de jeunes hommes et la fuite à l’étranger de centaines de milliers de personnes opposées au conflit ou craignant d’être mobilisées dans l’armée. Les autorités se sont aussi montrées fébriles, ces derniers mois, face aux manifestations de femmes de soldats qui demandent leur retour du front, malgré les fortes sommes d’argent et les avantages sociaux promis aux familles de militaires.
Patriotisme et tombolas
Vladimir Poutine a enchaîné les apparitions médiatiques aux côtés de héros de « l’opération militaire spéciale », de jeunes Russes et de familles nombreuses, sans toutefois se soumettre à quelconque débat électoral. Une campagne active qui s’explique, selon Nikolaï Petrov du centre de réflexion Chatham House, par le fait que les autorités « ne peuvent pas doper trop fort les votes frauduleux » et veulent éviter des « scandales retentissants » sur l’honnêteté du scrutin. Dans l’espace public, des affiches font appel au patriotisme des Russes pour les inciter à voter. Elles portent un V, l’un des symboles des troupes russes en Ukraine, et le slogan : « Ensemble, nous sommes forts, votons pour la Russie ! »
Comme à leur habitude, les autorités organiseront des tombolas avec cadeaux à la clé et des animations pour pousser les électeurs à se déplacer, dans un pays où la défiance à l’égard de la politique, en particulier chez les jeunes, est très forte. Parallèlement, l’Ukraine et ses alliés occidentaux sont présentés comme de potentiels fauteurs de troubles. En décembre, Vladimir Poutine avait ainsi mis en garde contre des « interférences étrangères » lors du vote et promis une « réponse sévère ».
Pour les pays Baltes « ces élections n’auront aucune légitimité démocratique »
Dans une déclaration commune, les chefs de la diplomatie de la Lituanie, de la Lettonie et de l’Estonie, anciennes républiques soviétiques devenues membres de l’OTAN et de l’UE et dont les relations avec Moscou restent tendues, ont dénoncé la « répression totale » exercée contre l’opposition et les médias indépendants en Russie. « Les prochaines élections présidentielles en Russie ne seront ni libres ni équitables », ont-ils déclaré, dénonçant « l’absence de candidats alternatifs crédibles ». « Ces élections n’auront aucune légitimité démocratique », ont-ils écrit.
Au début du mois de février, la Russie a convoqué des diplomates des pays Baltes après les avoir accusés de tenter de « saboter » les élections en Russie en ignorant les demandes de sécurisation des bureaux de vote de ses ambassades sur leur territoire.
Une élection en territoires ukrainiens occupés
Pour les autorités russes qui veulent donner une image de normalité tout en menant un conflit de haute intensité, l’élection se tiendra aussi dans les territoires ukrainiens occupées depuis 2022 par Moscou. Kiev affirme que les habitants y sont soumis à des menaces et violences pour aller voter, ce que Moscou dément. Des soldats russes déployés sur place ont déjà pu glisser leur bulletin dans l’urne, comme si de rien n’était, lors de scrutins anticipés.
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