ENTRETIENS EPOCH TIMES

Samuel Furfari : « BP a voulu être politiquement correct […] mais a commencé à perdre beaucoup d’argent »

février 28, 2025 12:26, Last Updated: février 28, 2025 13:56
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ENTRETIEN – Le géant pétrolier britannique BP a annoncé ce mercredi une « remise à zéro » de sa stratégie. Il s’agit pour l’entreprise de revenir aux fondamentaux et selon le PDG Murray Auchincloss de capitaliser sur les « activités les plus rentables pour stimuler la croissance » : la production d’hydrocarbures. La multinationale entend notamment augmenter ses investissements dans le pétrole et le gaz de 10 milliards de dollars par an.

L’ex-haut fonctionnaire européen, professeur de géopolitique de l’énergie et auteur d’Énergie, mensonges d’État. La destruction organisée de la compétitivité de l’UE (L’artilleur, 2024) Samuel Furfari revient pour Epoch Times sur ce changement de stratégie majeure de la compagnie pétrolière.

Epoch Times : Plusieurs années après avoir présenté une stratégie ambitieuse de réduction des émissions de gaz à effet de serre, la multinationale britannique BP fait marche arrière. Que vous inspire ce changement de politique de l’entreprise BP ?

Samuel Furfari : Cela m’inspire de la tristesse parce que BP n’aurait jamais dû s’engouffrer dans une politique de transition énergétique comme elle l’a fait il y a quelques années. À l’époque, la multinationale a voulu être politiquement correcte, plaire aux politiciens pour recevoir de l’argent public, pensant ainsi maintenir un taux de rentabilité.

Puis, ils se sont aperçus qu’ils commençaient à perdre beaucoup d’argent et qu’à l’inverse, les compagnies qui avaient choisi de ne pas suivre le dogme écologique de l’UE se portaient beaucoup mieux financièrement.

Ainsi, certains actionnaires de BP à l’instar de grands fonds d’investissements (Vanguard, BlackRock, et le fond norvégien pétrolier) représentant 20 % des actions du groupe ont dit qu’il fallait mettre un terme à la folie verte qui consiste à diminuer la production de pétrole alors que BP est un groupe pétrolier depuis 150 ans !

Pourtant, la multinationale s’est ridiculisée pendant des années en croyant, ou faisant semblant de croire, aux balivernes vertes.

Quand j’ai eu affaire à l’entreprise en 2008, nous devions développer les biocarburants, et ceux qui la dirigeaient étaient persuadés que grâce à cette stratégie, l’opinion publique allait changer son regard vis-à-vis des groupes pétroliers.

Malheureusement, ils n’ont pas compris que les gens n’ont pas aimé, n’aiment pas et n’aimeront jamais les multinationales du pétrole et ce n’est pas en se prétendant « vert » que cela va changer.

Cette énergie symbolise le capitalisme et dans l’UE, et particulièrement en France, il y a un rejet de ceux qui gagnent de l’argent. Par conséquent, courir derrière les lubies vertes comme l’a fait BP n’a aucun sens.

En plus, cette entreprise a un passé prestigieux. Le groupe British Petroleum a toujours été aux premiers postes de la géopolitique de l’énergie. BP tire ses origines de l’Anglo-Persian Oil Company, créée en 1914 après que Winston Churchill, alors Premier Lord de l’Amirauté, a plaidé pour la sécurisation des ressources pétrolières du Moyen-Orient afin d’alimenter la marine britannique, pour transformer la Royal Navy en passant du charbon au fioul. L’or noir permettait notamment aux bateaux d’être moins lourds et plus flexibles.

En réalité, le pétrole est né avec de la politique. Il n’est pas uniquement un bien énergétique et technologique. L’Empire britannique en avait besoin pour gagner des guerres. D’ailleurs, quand l’Azerbaïdjan, riche en pétrole, a pris son indépendance en 1991, les Anglais en ont profité pour y envoyer BP.

Margaret Thatcher, une fois qu’elle n’était plus Première ministre, s’est rendue douze fois en Azerbaïdjan pour créer le fameux projet BTC Bakou-Tbilissi-Ceyhan qui transporte vers la mer Méditerranée le pétrole de l’Azerbaïdjan enclavé. Il faut bien comprendre que l’histoire du pétrole est éminemment politique.

Je dirais également que BP a commis une autre erreur stratégique majeure : elle n’a pas compris, contrairement à Shell, ExxonMobil, etc. que le gaz est l’énergie du XXIe siècle et a pris du retard dans ce domaine.

Le groupe prévoit de réduire de 5 milliards de dollars par an ses investissements dans les projets de transition énergétique. Peut-on parler de tournant ?

C’est un tournant pour tout le monde, pas seulement BP. Mais BP était la multinationale qui se vantait le plus de sa stratégie verte. D’ailleurs, l’ex-directeur général John Browne est à l’origine du slogan « Beyond Petroleum » (au-delà du pétrole, ndlr).

Évidemment, aujourd’hui, cela ne tient plus.

Ce revirement de stratégie s’inscrit donc dans un mouvement plus large qui ne concerne pas seulement BP ? Quelles autres entreprises ont fait de même ?

Shell a aussi choisi de se refocaliser sur les hydrocarbures, mais de manière moins affirmée que BP. Ils ont également voulu se montrer verts en faisant de la communication excessive. Mais aussi ExxonMobil qui a fait de la publicité tapageuse sur les biocarburants au départ d’algues et a fini par abandonner.

Les dirigeants de ces entreprises devraient étudier ce qui s’est passé à la suite des chocs pétroliers des années 1970. Ils apprendraient que toutes les prétendues innovations ont déjà été abandonnées dans le passé car totalement hors sol. Cela leur permettraient d’éviter de perdre de l’argent mais aussi de se rendre ridicule. Je donne des exemples concrets dans mon dernier livre.

L’entreprise bénéficie d’un contexte plus favorable avec la politique pro-pétrole de Donald Trump…

Non, pas exactement. J’ai justement écrit un article à ce sujet. Je disais que Donald Trump n’a pas fait de révolution énergétique, mais qu’il a révolutionné la communication en énergie. Il a inventé la « fierté des énergies fossiles ».

En réalité, tout ce qu’a affirmé le président américain en matière d’énergie existait déjà. Il a simplement communiqué d’une manière différente – agressive comme il sait le faire ― sur ce que le monde de l’énergie est en train de faire depuis quelques années.

Je note par ailleurs que le secrétaire d’État à l’énergie de M. Trump, Chris Wright, est le deuxième inventeur de la technologie de production du gaz et du pétrole de schiste après le pionnier qu’est George Mitchell.

Les deux se sont ensuite associés pour peaufiner la technologie. Mais ce n’est pas Donald Trump qui a inventé cette technologie et a effectué le revirement stratégique de certaines entreprises. Tout ceci existait déjà !

L’entreprise ne risque-t-elle pas de s’attirer les foudres d’ONG et de certains responsables politiques et ainsi, de souffrir d’une mauvaise image ?

Les compagnies pétrolières avaient à l’origine une intégration verticale. Elles produisaient du pétrole, le transportaient, le raffinaient, puis le distribuaient dans les pompes à essence. Ensuite, certaines entreprises ont décloisonné, sachant pertinemment que la marge de rentabilité la plus forte se trouvait dans la production, ce qu’on appelle l’amont.

Et BP est spécialisé dans l’amont. D’ailleurs, il n’y a presque plus de pompes à essence BP. Quant au raffinage, BP possède encore plusieurs raffineries de pétrole, mais elle a en vendu certaines car dans l’UE, c’est devenu peu rentable à cause des contraintes environnementales, de la taxe carbone et du prix élevé de la matière première.

BP ne va pas souffrir d’une mauvaise image, puisqu’elle est déjà mauvaise, comme on l’a dit. De plus, elle réalise des profits grâce à la production de pétrole et non en vendant de l’essence. Quoi qu’il en soit, que les ONG aiment ou pas ne change rien : plus de 90 % des transports dépendent des produits pétroliers, il faut bien acheter des produits pétroliers. Et de toute manière, les activistes qui n’aiment pas BP roulaient déjà en vélo, même lorsque BP se prétendait verte.

Puis, je pense que l’opinion publique va de plus en plus se détourner des ONG écologistes à cause des scandales financiers qui se multiplient.

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