Jugés moins nocifs pour la santé humaine que d’autres pesticides tel le DDT, les néonicotinoïdes sont une classe d’insecticides qui ont graduellement envahi les champs du monde entier à partir du milieu des années 1990. Au Québec, ils ont fait leur entrée il y a près de 10 ans, entre autres, par l’enrobage de semences, majoritairement de maïs et de soya, deux cultures importantes dans le sud de la province.
Toutefois, ces semences de maïs traitées seraient entrées au pays incognito : « Elles viennent principalement des États-Unis où ils les enrobent systématiquement. Les agriculteurs n’étaient pas au courant. [S’ils l’avaient su], en général, ils n’auraient pas demandé d’avoir une semence traitée », explique Mme Labrie, entomologiste et chercheure au Centre de recherche sur les grains (CÉROM).
Par ailleurs, étant considérées au sens de la loi comme des semences et non comme des pesticides, les semences traitées aux néonicotinoïdes n’ont pas été inscrites au registre des pesticides du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) et les néonicotinoïdes n’ont été inclus qu’en 2011 dans les analyses des cours d’eau au Québec. « Les autorités n’avaient pas idée qu’on avait autant de pesticides qui entraient au pays », relate Mme Labrie.
Effets sur la faune
Or, persistants dans le sol et facilement lessivés, les néonicotinoïdes rejoignent vite les cours d’eau d’ici et d’ailleurs. «Que ce soit ici au Québec, en Ontario, dans les Prairies canadiennes ou bien aux Pays-Bas et en Asie, les tests ont montré les mêmes résultats, c’est près de 100 % des cours d’eau qui sont contaminés », soutient Mme Labrie.
Étant des pesticides dits « systémiques », les néonicotinoïdes appliqués sur la semence migrent dans toutes les parties de la plante et ont des effets neurotoxiques sur les insectes qui s’en nourrissent, qu’ils soient bénéfiques ou non.
Par ailleurs, cette catégorie de pesticides étant très toxique, le critère de qualité de l’eau pour la protection des espèces aquatiques très bas et, de ce fait, facilement dépassé. En additionnant les concentrations de deux types de néonicotinoïdes ayant des propriétés similaires, ce sont 99,1 % des échantillons d’eau prélevés de quatre rivières à dominance agricole qui ont dépassé le critère en 2014, selon un rapport du MDDELCC.
Étant particulièrement sensibles, les abeilles et les pollinisateurs indigènes ne sont pas épargnés par ce produit neurotoxique : « Les pollinisateurs sont réputés pour être des bons bio-indicateurs parce qu’ils n’ont pas tout à fait [le métabolisme] pour se détoxifier des pesticides [auxquels ils sont exposés] », explique Mme Labrie. La hausse du taux de mortalité des colonies d’abeilles mellifères observée depuis plus d’une décennie dans les pays industrialisés ne serait pas étrangère à l’introduction des néonicotinoïdes dans les champs de grandes cultures, selon un rapport de la Fédération des apiculteurs du Québec.
Au Québec, leurs risques d’intoxication sont particulièrement importants lors de la mise en terre des semences enrobées, car des particules d’insecticides sont libérées dans l’air et constituent une voie supplémentaire d’exposition pour ces butineurs, peut-on lire dans un rapport d’Olivier Samson-Robert et ses collaborateurs, publié en 2014.
Au Québec, l’ennemi se fait plutôt rare
Toutefois, il semble qu’au Québec, l’usage de cet insecticide en enrobage de semence ne soit, pour la plupart des sites, pas indispensable : « Le ver fil-de-fer, l’insecte pour lequel on utilise les semences traitées n’est, la plupart du temps, pas présent dans les champs de grandes cultures », explique Mme Martineau, agronome pour le club-conseil Gestrie-Sol, en Montérégie. C’est à ce même constat que six années de recherche au cours desquelles près de 800 sites ont été dépistés ont abouti : « On a pu démontrer qu’on a à peu près 3,7 % des terres agricoles dépistées au Québec en grandes cultures qui ont assez d’insectes pour justifier l’utilisation de ces traitements de semences », soutient Mme Labrie.
Alors, pourquoi utiliser ces semences ? « Il a été beaucoup véhiculé que, comme une assurance tous risques, l’enrobage de néonicotinoïdes protège le potentiel de rendement », explique Mme Labrie. Toutefois, « dans les 68 essais qu’on a faits de façon scientifique, globalement, nous ne l’avons pas constaté. Quand il y a beaucoup d’insectes, le traitement insecticide est efficace, mais nous n’avons pas observé de gains de rendement par l’utilisation [prophylactique] de traitements insecticides », poursuit la chercheure.
[Si les agriculteurs l’avaient su], en général, ils n’auraient pas demandé d’avoir une semence traitée.
– Geneviève Labrie, entomologiste et chercheure au CÉROM
Une utilisation plus judicieuse
Alors que l’utilisation systématique des néonicotinoïdes a conduit à une contamination globale de l’environnement, la stratégie de lutte intégrée contre les insectes en grandes cultures semble parallèlement gagner du terrain : « Il s’agit d’utiliser tous les moyens dont on dispose pour lutter contre un organisme nuisible. Dans ce cas, on essaie de développer des méthodes plus préventives, physiques, biologiques, etc. Les pesticides devraient arriver en toute fin dans la boîte à outils des producteurs », explique Mme Labrie.
C’est aussi l’avis d’Isabelle Martineau, agronome du club-conseil Gestrie-Sol en Montérégie qui offre un service d’accompagnement en agroenvironnement. Tentant de conjuguer la rentabilité économique avec la protection de l’environnement, la jeune femme travaille en collaboration avec les municipalités, les agriculteurs et les organismes environnementaux pour trouver les compromis qui servent le mieux l’intérêt collectif.
C’est ainsi que la réduction de l’usage des néonicotinoïdes fut intégrée à un projet de protection de la biodiversité : «Les projets sur la biodiversité peuvent englober large : la lutte contre l’érosion, la qualité de l’eau, la lutte aux espèces exotiques envahissantes, la protection des pollinisateurs. Et pour les pollinisateurs, on va à la fois améliorer leurs habitats et réduire les pesticides », explique Mme Martineau.
Pour y arriver, « il faut rassurer les agriculteurs, faire du dépistage, évaluer la qualité de leur levée, leur démontrer qu’ils n’ont pas d’insectes au sol, que [les semences non traitées] fonctionnent, que ça ne fait pas de dommage à leur maïs même s’ils se privent d’un insecticide qui est vendu un peu comme une sécurité », soutient l’agronome. « Et tout cela porte fruit. On a produit des cartes où étaient montrées les superficies de champs sans pesticide et il y a eu un effet d’entraînement intéressant. Des agriculteurs se sont dit : “si mon voisin l’a fait, moi aussi je vais le faire” », explique Mme Martineau. C’est ainsi qu’au cours de l’année 2015-2016 les superficies sans pesticides d’entreprises accompagnées ont plus que doublé, passant de 14 % à 36 %, selon cette dernière. Et le projet s’est mérité en avril dernier le prix Agristar dans la catégorie « Bon coup de l’agroenvironnement » de l’Union des producteurs agricoles de la Montérégie.
La réglementation
Les néonicotinoïdes ont fait l’objet d’un moratoire qui s’est terminé l’an dernier en Union européenne. Du côté du Canada, l’Agence de réglementation de lutte antiparasitaire (ARLA) a proposé de retirer, sur la base de l’impact sur la faune aquatique, un des trois néonicotinoïdes, soit l’imidaclopride.
Du côté d’Équiterre, la prudence est de mise : « Nous préférons attendre les décisions finales avant de crier victoire puisque la décision, sans être renversée, pourrait être diluée. Et d’autre part, il est question d’élimination de l’insecticide sur une période de 3 à 5 ans, alors que pour nous, ce délai est trop long. Les impacts sont suffisamment importants et démontrés pour justifier une action réglementaire rapide », soutient Mme Nadine Bachand, chargée de projet sur les pesticides et produits toxiques.
Car bien que leur usage ne soit pas dans tous les cas justifié, leur retrait complet suscite la polémique : « Ce retrait de l’imidaclopride au niveau canadien n’est pas encore entériné, mais a été proposé et soulève beaucoup d’objections, même au Québec. Parce que, par exemple, l’imidaclopride est très utilisée dans la culture du canola. Or, pour certaines régions, sans enrobage de semences, le canola est complètement ravagé par les altises. En Europe, c’est ce qui est arrivé avec le moratoire, il y a des endroits où ils ont perdu carrément tous les champs de colza. De là la difficulté du processus d’évaluation, de tenir compte de la réalité de tous les producteurs », explique Mme Labrie.
En Ontario, dans le but de protéger les pollinisateurs, une réglementation sur la vente et l’utilisation de semences traitées aux néonicotinoïdes est entrée en vigueur en juillet 2015 et s’avère très restrictive : la province a visé une réduction de 80 % des superficies de maïs et soya traitées pour 2017.
Quant au Québec, la loi qui devait être proposée en 2017 se fait toujours attendre, mais il est prévu que, sans en bannir complètement l’usage, les néonicotinoïdes devront faire l’objet d’une prescription d’un agronome pour pouvoir être utilisés. Ils devront aussi être inclus au registre des pesticides du MDDELCC.
La voie du milieu
Pourrait-on se départir complètement des pesticides ? « Si on regarde les agriculteurs bio qui déjà n’utilisent aucun pesticide ni semences traitées, on peut voir que des alternatives existent et que d’autres modes de cultures sont possibles », souligne Mme Bachand. En effet, il ne fait plus de doute que l’agriculture biologique est plus respectueuse de l’environnement que l’agriculture conventionnelle, de par son plus haut taux de matière organique au sol, les plus faibles risques d’érosion et de contamination de l’eau par les pesticides, l’amélioration de la biodiversité, les moindres émissions de gaz à effet de serre, etc., peut-on lire sur le site du Centre d’expertise et de transfert en agriculture biologique et de proximité (CETAB) de Victoriaville.
Quant à l’agriculture conventionnelle, tout effort pour réduire son impact sur l’environnement peut aussi être salué : «Dès qu’on s’est rendu compte qu’il y avait une utilisation qui était systématique, on s’est mis à aller chercher des connaissances, on a publié le Guide d’identification des ravageurs de sol, plusieurs conférences furent données, il y a eu une mobilisation, je dirais. C’est beaucoup d’argent investi et plusieurs années de recherche pour arriver à la stratégie de lutte intégrée. Même si le gouvernement arrive avec une législation, nous avons des outils en place ou qui vont être bientôt prêts pour aider les producteurs à faire face à ce qui s’en vient », conclut la chercheure.
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