AFRIQUE

Selon des experts, le crime organisé en Afrique est en train de consolider les réseaux terroristes

Les agents des services de renseignement affirment que le monde ne prend pas la mesure de la menace.
septembre 28, 2023 16:10, Last Updated: septembre 29, 2023 16:14
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JOHANNESBURG – Selon des experts en sécurité et en terrorisme, et d’anciens ou actuels agents des services de renseignement, le terrorisme et le crime organisé « convergent » en Afrique, et le soutien international destiné à lutter contre ce phénomène se réduit comme peau de chagrin. Ils déplorent également l’état des politiques des différents gouvernements d’Afrique, qui selon les experts sont « peu efficaces» voire « inexistantes ».

« L’Occident verse de l’argent pour l’Ukraine et c’est compréhensible. Mais en même temps, le monde ignore à ses risques et périls le lien entre le terrorisme et le crime organisé en Afrique », selon Martin Ewi, coordinateur de l’Observatoire du crime organisé à l’Institut d’études de sécurité (ISS) de Pretoria.

Il n’y a pas assez de soutien au niveau national et international face à la montée du terrorisme en Afrique, disent-ils, ce qui laisse le champ libre au groupe Wagner et à la Russie qui, sous prétexte de « lutter contre le terrorisme », y contribuent pleinement, puisqu’ils sont eux-mêmes en lien direct avec le crime organisé, en particulier dans l’exploitation minière illégale.

M. Ewi, interrogé par Epoch Times, explique que les djihadistes opèrent en Afrique depuis les années 90, mais que leur nombre a augmenté de façon spectaculaire après les attentats du 11 septembre, face au succès d’Oussama ben Laden et de son organisation, Al-Qaida.

« Les attentats du 11 septembre n’auraient pas pu avoir lieu sans le financement et la préparation fournis par les réseaux du crime organisé, et à ce jour, les terroristes en Afrique suivent la recette de Ben Laden », dit-il.

« Pour les terroristes, le gain financier provenant du crime organisé n’est pas une fin en soi, c’est un moyen d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique plus important. Cela signifie que la criminalité organisée n’est plus le domaine exclusif des racketteurs, des syndicats du crime ou des consortiums attirés par l’argent, mais qu’elle attire surtout les terroristes ».

La Commission du 11 septembre, créée par le gouvernement américain pour enquêter sur les attentats, a été en mesure de prouver que l’ensemble de l’opération, y compris le financement, la planification, les stratégies, l’approvisionnement en matériel et les itinéraires de voyage, s’appuyait sur des réseaux de criminalité organisée.

La commission estime que les attentats ont nécessité un budget d’environ 400.000 ou 500.000 dollars, et que 300.000 dollars ont transité par des banques américaines. Les fonds provenaient de différentes sources, notamment d’organisations caritatives et de dons d’individus et de groupes douteux.

Une photo fournie par la Force multinationale mixte dans la région du lac Tchad montre 17 terroristes de Boko Haram détenus. (MNJTF)

L’argent a été acheminé par l’intermédiaire de divers intermédiaires financiers, notamment des banques et des systèmes informels de transfert d’argent.

« Ces transactions étaient manifestement frauduleuses et suspectes, mais les institutions ont fait semblant de ne rien voir ou n’ont pas appliqué les règles qu’elles avaient elles-mêmes établies. C’est exactement ce qui se passe en ce moment dans une grande partie de l’Afrique », déplore M. Ewi.

« Certains pays, comme l’Afrique du Sud, prennent des mesures pour réglementer et contrôler, mais la plupart ne font rien. »

Il ajoute que le 11 septembre a « légitimé » le recours au crime organisé par les terroristes djihadistes.

« De nombreux terroristes suivent l’exemple d’Al-Qaida et se procure de l’argent grâce au trafic de stupéfiants à la contrefaçon. Avant le 11 septembre, les fondamentalistes islamiques n’étaient jamais impliqués dans le trafic de drogue, estimant que cela allait à l’encontre de leurs croyances ».

Jeannine Ella Abatan, chercheuse au bureau régional de l’Institut d’études de sécurité pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad, reconnaît que le 11 septembre continue d’être une source d’inspiration pour les groupes terroristes basés en Afrique.

C’est notamment le cas d’Al-Shabaab en Somalie, de Boko Haram dans le bassin du lac Tchad, de Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin en Afrique de l’Ouest, de l’Armée de résistance du Seigneur et des Forces démocratiques alliées en Ouganda et en République démocratique du Congo, ainsi que des groupes Seleka et Anti-Balaka en République centrafricaine.

Des femmes marchent à côté d’une maison détruite et de l’épave d’une voiture après une explosion par des terroristes d’Al-Shabaab lors d’une attaque contre un poste de police à la périphérie de Mogadiscio, en Somalie, le 16 février 2022. (Hassan Ali Elmi/AFP via Getty Images)

« Ces groupes et de nombreux autres affiliés d’Al-Qaïda et de l’État islamique sont fortement impliqués dans le crime organisé », dit-elle.

« Ils font de la contrebande et vendent de la drogue, des armes et des munitions. Ils se livrent de plus en plus à la traite des êtres humains. Ils dirigent des réseaux d’extorsion, des syndicats spécialisés dans le vol de bétail et ils possèdent et exploitent des mines illégalement ».

Mais, selon M. Ewi, alors que les terroristes et les groupes criminels établissent des liens « de plus en plus étroits », les réponses politiques des gouvernements africains sont « faibles ».

« Si nous voulons éviter un nouvel attentat catastrophique en Afrique, comme celui qui a frappé le Kenya et la Tanzanie en 1998, les gouvernements de chaque région doivent coordonner et intégrer des stratégies qui considèrent le crime organisé et le terrorisme comme les deux faces d’une même pièce, et non comme des actes sans rapport commis par des organisations criminelles spécifiques.

Le 7 août 1998, des bombes ont explosé presque simultanément devant les ambassades américaines de Nairobi (Kenya) et de Dar es Salaam (Tanzanie).

Selon le FBI, 224 personnes ont été tuées dans ces explosions et plus de 4.500 personnes ont été blessées.

Ben Laden avait revendiqué ces attentats.

Pour Mme Abatan, la plupart des gouvernements africains ne s’attaquent pas aux causes profondes du terrorisme, que sont le manque de développement et la pauvreté, et ne réagissent pas assez vite, voire pas du tout, face aux personnes, y compris les imams, qui « prêchent la haine et le djihad ».

« Les bases de soutien et les écosystèmes qui permettent à la terreur de prospérer en Afrique se développent », déplore-t-elle.

Elle cite l’exemple du Bénin, petit pays d’Afrique de l’Ouest, où des contrebandiers, des chasseurs illégaux et des groupes extrémistes violents ont tissé des liens entre eux.

Elle indique que les attaques terroristes dans le nord du pays ont augmenté depuis 2019, et sont le fait du Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (GSIM) et de l’État islamique dans le Grand Sahara (ISGS).

« Ces groupes bénéficient d’activités illicites qui existaient bien avant le début des attaques terroristes au Bénin. Les transactions entre terroristes et criminels portent notamment sur la contrebande de carburant, le trafic de chanvre indien et la chasse illicite d’espèces sauvages rares », dit-elle.

« Les groupes extrémistes violents ont forgé des alliances avec les personnes impliquées dans ces activités criminelles, ce qui leur permet d’assurer leur approvisionnement en ressources humaines, opérationnelles et financières ».

« Les extrémistes exploitent le ressentiment des populations à l’égard de l’État et leur besoin de protéger et de préserver leurs moyens de subsistance.

Un rebelle de la Seleka porte des cartouchières autour du cou à Bangui le 29 mars 2013. (Sia Kambou/AFP/Getty Images)

« Ils permettent l’accès à certaines zones, offrant des services et des garanties de sécurité à ceux qui collaborent avec eux, et facilitent la commercialisation des produits trafiqués ».

La collaboration entre les trafiquants et les extrémistes dans la région de Kourou-Koualou, dans l’est du Bénin, a permis aux groupes terroristes d’obtenir le carburant dont ils avaient besoin pour le transport et pour lancer des attaques.

« Elle permet également aux terroristes de se procurer de l’argent grâce aux trafiquants qui les payent pour protéger et sécuriser la zone de contrebande », ajoute-t-elle.

« Les extrémistes collaborent également avec les braconniers des parcs forestiers. Ils achètent de la viande aux chasseurs et recrutent nombre d’entre eux pour le terrorisme. »

Au Nigeria, les organisations terroristes recrutent des femmes pour le trafic d’armes, selon l’analyste de la sécurité Oluwole Ojewale.

Il explique à Epoch Times que des groupes tels que Boko Haram ont également des liens étroits avec les nombreux groupes de criminels du Nigeria, eux-même impliqués dans des vols à main armée, des enlèvements, des meurtres, des viols, et la détention illégale d’armes à feu.

« Nous assistons à une recrudescence des mouvements et des ventes d’armes illégales dans le nord-ouest du Nigeria, qui impliquent des trafiquants de femmes », dit-il.

Selon lui, les forces de sécurité sont « moins méfiantes » à l’égard des femmes, qui sont de plus en plus poussées à la criminalité en raison de la pauvreté.

« Les femmes cachent des fusils AK-47 sous leurs voiles ou dissimulent des engins explosifs improvisés sur leur dos comme si elles portaient des bébés. Ces femmes font circuler les armes et les munitions entre les bandits et les terroristes.

« Le nord-ouest du Nigeria est un bon endroit pour se cacher, car les forces de sécurité n’y sont pas très présentes. Les frontières du Nigeria sont également très mal gérées ».

L’ancien ministre nigérian de l’information, Lai Mohammed, a déclaré à Epoch Times que 95 % des armes utilisées pour le terrorisme et les enlèvements étaient acheminées à travers les frontières poreuses du pays, à partir de la Libye et d’autres États d’Afrique subsaharienne déchirés par la guerre.

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