Sur l’une des avenues engorgées de , la capitale de la république russe de Tchétchénie, Fatima Djamboulatova double en vérifiant son angle mort. Dans cette société musulmane aux mœurs très conservatrices, elle est l’une des premières conductrices de taxi.
Au volant d’une berline blanche, cette femme de 49 ans travaille pour la compagnie de taxis Mekhkari lancée au printemps et qui propose ses services uniquement aux femmes, accompagnées ou non d’enfants. Ce positionnement commercial séduit toute une clientèle, explique Fatima: les maris qui refusent de laisser monter leur femme dans une voiture avec un autre homme; des hommes et des femmes persuadés que les femmes conduisent plus prudemment…
Dans les bureaux spartiates de Mekhkari, qui veut dire « filles » en tchétchène, la fondatrice Madina Tsakaïeva dit avoir eu cette idée en réalisant qu’elle préférait être conduite par des femmes, qui sont rarement au volant de taxis dans les rues de Grozny, tout comme ailleurs en Russie. « C’était très rare pour notre ville. On a donc fait une étude sur les réseaux sociaux pour voir comment les gens accueilleraient l’idée de taxis réservés aux femmes », explique-t-elle.
Le projet a finalement pu voir le jour grâce à un financement du fonds émirati Zayed, qui a ouvert une filiale en Tchétchénie en 2017. Le montant de ce soutien financier n’a pas été précisé. La compagnie de taxis Mekhkari dispose pour le moment de cinq voitures et emploie cinq conductrices. Le fonds Zayed a jugé cette initiative de taxis pour femmes « commode du point de vue des normes religieuses et des traditions« , sur son compte Instagram en mars.
« A l’époque soviétique, on pouvait compter le nombre de femmes au volant sur les doigts d’une main. Toute la république les connaissait, elles et l’histoire de leurs vies », souligne Libkan Bazaïeva, coordinatrice de l’ONG locale « Les femmes pour le développement ». Pour changer les choses, son organisation a commencé en 2008 à donner des leçons de conduite gratuites à une centaine de femmes, dont la moitié s’est mise à conduire dans les rues de Grozny, provoquant la surprise chez les policiers de cette ville de 270.000 habitants dans le Caucase russe.
Aujourd’hui, les femmes sont nombreuses au volant en Tchétchénie, mais très peu en font leur profession dans cette société musulmane conservatrice. Pour Mme Bazaïeva, « l’apparition de conductrices de taxi dans cette profession dominée par les hommes est un grand pas en avant et une grande réussite ». Elle veut aussi y voir une initiative « symbolique » pour l’émancipation des femmes, dont les droits sont limités dans la société tchétchène.
Théâtre de deux guerres dévastatrices opposant l’armée russe à des séparatistes, puis à des islamistes, la Tchétchénie a été reconstruite à grand frais et connaît depuis plusieurs années une résurgence de l’islam encouragée par Ramzan Kadyrov, dirigeant à poigne de fer de la république et protégé du président Vladimir Poutine. Loin de quelconques considérations religieuses, certaines clientes expliquent apprécier ces conductrices de taxis pour leur style de conduite qu’elles jugent moins agressif, dans une région qui dénombre beaucoup de morts sur les routes.
« Les hommes conduisent de manière plus erratique, les femmes sont plus prudentes. Je me sens plus en sécurité avec une femme », explique Kheda Ioussaïeva, 29 ans, l’une des passagères de Fatima Djamboulatova. Un service réservé aux femmes leur permet aussi d’éviter de potentiels conflits avec des maris qui voient d’un mauvais œil que leurs compagnes soient transportées par un inconnu, affirme Libkan Bazaïeva, de l’ONG « Les femmes pour le développement ». Elle évoque des cas de violences domestiques pour la simple raison qu’une femme avait le numéro d’un chauffeur de taxi enregistré dans son carnet d’adresse.
La fondatrice de Mekhkari, Madina Tsakaïeva, espère pouvoir bientôt étendre son parc à 20 véhicules et prévoit aussi de s’occuper de livraisons et d’autres services à domicile pour les femmes ne pouvant quitter leur foyer. Elle affirme n’avoir eu aucun mal à recruter des conductrices depuis le lancement de son affaire, de nombreuses candidates s’étant manifestées. « C’est un métier attractif pour moi », confirme Fatima. « J’aime beaucoup parler avec mes clientes. Et j’aime être derrière le volant ».
D.C avec AFP
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