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Théophane de Flaujac : « Pour sauver notre agriculture, notre mobilisation montera en intensité jusqu’à obtenir des réponses concrètes »

novembre 15, 2024 16:21, Last Updated: novembre 15, 2024 18:01
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ENTRETIEN – Après des semaines de mobilisation historique en janvier et février dernier, les agriculteurs s’apprêtent à reprendre le chemin de la révolte, au même moment où l’accord de libre-échange que négocie la Commission européenne avec le bloc des pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay, Bolivie) se trouvera de nouveau sur la table à l’occasion du G20, qui aura lieu les 18 et 19 novembre. Théophane de Flaujac, agriculteur, entrepreneur et chef d’exploitation, également membre de la Coordination rurale, revient sur les actions prévues à partir de la semaine prochaine pour interpeller les pouvoirs publics et obtenir gain de cause sur des revendications qui n’ont toujours pas obtenu satisfaction.

Epoch Times : Lors de votre périple depuis Agen jusqu’à Paris en début d’année au côté de vos confrères, vous nous avez fait part des ordalies rencontrées par le monde paysan dans son quotidien. Bureaucratisation excessive, fiscalité étouffante, concurrence déloyale… En réponse à la colère des agriculteurs, le gouvernement avait annoncé une batterie de mesures, qui se sont manifestement révélées insuffisantes pour répondre à vos besoins. Pouvez-vous nous rappeler quelles sont vos principales revendications ?

Théophane de Flaujac : Effectivement, après notre mobilisation en début d’année, le gouvernement a multiplié les annonces pour calmer la colère du secteur agricole. Mais il ne faut pas se leurrer : il s’agissait surtout d’un exercice de communication. Nous avons l’habitude, malheureusement, de ces effets d’annonce qui se traduisent par peu de choses concrètes sur le terrain.

Prenons deux exemples. Certes, ils ont renoncé à augmenter le prix du gazole non routier (GNR), et nous n’avons plus à faire l’avance de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).

C’est bien, mais ce ne sont que des ajustements marginaux, loin de répondre à l’ampleur de la crise. Pendant ce temps, les importations de poulets ukrainiens et de céréales continuent de déferler sur le marché français, sans respecter nos normes sanitaires, sociales ou environnementales. Ces produits sont vendus à des prix défiant toute concurrence, et nous, les producteurs locaux, nous ne pouvons pas rivaliser.

À cela s’ajoute une année météorologique catastrophique. Vous savez, il y a un dicton chez nous : « Année de foin, année de rien. » Eh bien, cette année, c’était exactement ça : les rendements ont été désastreux. Et dans ces conditions, l’augmentation de l’impôt foncier a été la goutte de trop. On est étranglés de toutes parts : par la météo, les charges, la concurrence déloyale et les politiques publiques.

La grogne est là, et elle est profonde. Les paysans sont à bout : un animal blessé est toujours plus dangereux qu’un animal en bonne santé, et c’est un peu l’état d’esprit actuel. Beaucoup d’entre nous sont désespérés.

Aujourd’hui, notre revendication principale, celle qui revient sur toutes les lèvres, c’est la mise en place d’une exception agriculturelle. Comme il existe une exception culturelle pour protéger notre patrimoine et notre identité, nous demandons une reconnaissance spécifique pour l’agriculture française, qui est plus qu’un secteur économique.

Il s’agit tout d’abord de reconnaître la souveraineté alimentaire comme une priorité nationale : on ne peut pas continuer à sacrifier notre agriculture sur l’autel du libre-échange. Nous demandons donc que les produits étrangers respectent les mêmes règles que les nôtres, et des mécanismes pour réguler les importations.

Ensuite, de garantir des prix justes. Il faut instaurer un prix plancher pour nos productions, pour que chaque paysan puisse vivre dignement de son travail. Les marges des intermédiaires doivent être encadrées.

Enfin, alléger les charges et stabiliser la fiscalité. L’augmentation de l’impôt foncier cette année a été un coup de massue de plus, totalement incompréhensible au vu de la situation.

Pour nous, cette exception agriculturelle n’est pas un luxe, c’est une question de survie : celle de nos exploitations, de nos territoires ruraux, et de l’indépendance alimentaire de la France.

À l’approche du G20, qui aura lieu le 20 novembre, la fronde agricole commence à prendre forme. La Coordination rurale, par la voix de Lionel Candelon, a annoncé des actions bien « plus fortes » que celles menées au début 2024, et envisage jusqu’à un « siège » de Paris. Les agriculteurs engageront-ils cette fois-ci un bras de fer avec l’État jusqu’à ce que ces revendications soient satisfaites ?

La mobilisation qui se prépare sera marquée par une montée en puissance. Il est important de comprendre que nous n’avons pas pour objectif de bloquer immédiatement Paris ou de perturber la vie de nos concitoyens. Ce ne sont pas eux qui nous rendent la vie impossible : c’est un système bureaucratique déconnecté, dépourvu de toute logique et de toute morale, qui s’acharne sur notre profession.

Aussi, nous avons choisi une approche graduelle. Si nous devons commencer par occuper des préfectures ou des administrations locales pour faire entendre notre voix, nous le ferons. Ces lieux symbolisent cette machine administrative qui nous étouffe à coups de normes absurdes et de décisions incohérentes. Ce sont ces structures, et non les Français, qui sont responsables de la situation désastreuse de l’agriculture.

Notre objectif est clair : nous voulons éviter d’impacter directement nos concitoyens, car nous savons que beaucoup d’entre eux soutiennent notre cause. La dernière mobilisation a montré que près de 86 % des Français comprennent l’importance de notre combat. Cette fois encore, nous veillerons à ce que notre colère s’adresse à ceux qui la provoquent : l’État et ses institutions.

Si le gouvernement persiste dans son immobilisme ou continue à ignorer nos revendications, nous passerons à des actions plus fortes. Chaque étape de notre mobilisation sera réfléchie et mesurée, mais la détermination sera totale. Nous ne voulons pas en arriver à bloquer Paris ou le pays tout entier, mais si c’est nécessaire pour sauver notre agriculture, alors nous le ferons.

Pour l’instant, nous restons focalisés sur des actions locales et régionales, où l’impact sera ciblé sur les responsables de nos difficultés : préfets, administrations agricoles, ou structures politiques inactives. Mais nous ne reculerons pas. Et si la situation l’exige, nous monterons en intensité jusqu’à obtenir des réponses concrètes.

Nous espérons encore que les décideurs entendront la colère qui gronde et prendront enfin les mesures nécessaires avant que la situation n’atteigne un point de non-retour. Les agriculteurs ne demandent pas des privilèges : ils demandent une reconnaissance juste et des conditions pour exercer leur métier dignement.

Le message est simple : nous n’avons pas envie d’embêter nos concitoyens. Ce ne sont pas eux qui nous rendent la vie dure, mais une bureaucratie dénuée de logique et incapable de répondre aux réalités du terrain.

Le gouvernement avait opposé la France qui protège, incarnée par les forces de l’ordre, et la France qui nourrit, représentée par les agriculteurs, estimiez-vous lors de la gronde agricole qui s’est manifestée en début d’année. Vous attendez-vous à une répression politique en cas de montée en intensité de vos actions de protestation si l’État « continue à ignorer vos revendications » ? 

Franchement, on ne s’attend à rien de la part du gouvernement. La plupart des collègues sont simplement « blasés ». Nous savons déjà comment les gouvernements français successifs se sont comportés face aux différentes crises récentes : ils sont paralysés par la peur et n’hésitent pas à utiliser la force dès qu’ils se sentent menacés. Alors oui, je suis convaincu qu’ils n’hésiteront pas à réagir durement si notre mouvement prend de l’ampleur.

L’affrontement, ce n’est pourtant pas ce que nous voulons. Nous ne sommes pas dans une logique de confrontation avec les forces de l’ordre ou avec les institutions. Ce que nous recherchons, c’est simplement d’être entendus, compris, et surtout respectés. Mais nous savons aussi qu’en face, les gouvernements successifs ont montré qu’ils préfèrent souvent réprimer les mobilisations plutôt que de répondre aux problèmes de fond.

Ce qui rend notre mouvement différent, et peut-être plus difficile à contrer, c’est que nos revendications sont indiscutables. Nous ne demandons pas des privilèges ; nous demandons seulement de pouvoir vivre décemment de notre travail et de jouer à armes égales avec nos voisins européens et les producteurs étrangers.

C’est une exigence de bon sens. Un pays ne peut pas laisser mourir son agriculture tout en ouvrant grand ses marchés à des produits étrangers qui ne respectent pas nos normes. Et les agriculteurs ne peuvent pas être soumis à une telle pression fiscale et réglementaire tout en devant supporter des charges croissantes.

Toute personne ayant une once de logique ou de bon sens peut comprendre cela. Il ne s’agit pas d’un caprice, mais de la survie de toute une profession, et, au-delà, de l’indépendance alimentaire de la France.

Alors oui, nous nous attendons à une réponse musclée si notre mobilisation devient trop visible ou trop gênante, mais cela ne nous détournera pas de notre objectif. Nous espérons que, cette fois, ceux qui nous gouvernent prendront conscience que notre lutte est juste, légitime, et qu’elle concerne non seulement les agriculteurs, mais aussi l’ensemble de la société française.

L’utilisation de la force ne résoudra rien, et nous, agriculteurs, préférerions cent fois un dialogue constructif plutôt qu’une confrontation stérile. Mais si c’est ce que le gouvernement choisit, il devra en assumer la responsabilité.





L’accord de libre-échange avec le Mercosur pourrait bientôt être signé par l’Union européenne, malgré l’opposition affichée par Paris. Comment, selon vous, réagirait le monde paysan à l’adoption de cet accord ? Avez-vous le sentiment que notre classe politique a choisi de sacrifier l’agriculture française plutôt que de s’opposer aux conséquences de la construction européenne ?

Soyons clairs : l’opposition affichée par Paris n’est qu’une posture de communicant. Si cet accord est signé, le gouvernement se contentera de le justifier, de minimiser ses impacts, et de trouver quelques mesures cosmétiques pour calmer les esprits. Aujourd’hui, nous prévenons : cet accord est un coup de poignard pour l’agriculture française. Si nos dirigeants ne nous écoutent pas, la situation risque de devenir incontrôlable, et ce sera leur responsabilité.

Ce traité Mercosur, c’est bien plus qu’un simple accord commercial. On parle de faire entrer en Europe des quantités massives de produits agricoles : un tiers de la production de maïs, des tonnes de viande bovine, et tout cela dans des conditions qui défient toute concurrence.

Ces produits ne respectent pas nos normes, ni sanitaires ni environnementales. Par exemple, les maïs produits là-bas sont souvent des OGM interdits chez nous.

Les conséquences de ces importations seront en outre désastreuses pour nos filières : la filière semencière, une des grandes fiertés françaises, risque d’être balayée, entraînant des pertes d’emplois massives dans l’industrie et l’agriculture. Et ce n’est pas qu’une question économique : c’est aussi une question d’éthique et de souveraineté. On détruit nos emplois pour remplir les supermarchés de produits low cost fabriqués à des milliers de kilomètres.

Est-ce ça, le rêve européen ? Être le dindon de la farce de toute la planète ?

L’Union européenne, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, sacrifie ses agriculteurs au nom d’un dogme du libre-échange à tout prix. Mais cet idéalisme, c’est vouloir être « dans le vent », comme une feuille morte portée par un courant qu’on ne maîtrise pas. Si la France continue à sacrifier ses paysans par et pour l’Europe, ce sera aussi la fin de cette hyperstructure.

Il faut sortir de cette logique absurde où on privilégie des intérêts commerciaux à court terme au détriment de nos savoir-faire, de nos emplois et de notre souveraineté alimentaire. L’agriculture française ne demande pas des passe-droits, mais une concurrence équitable, des règles communes respectées par tous et une reconnaissance de son rôle essentiel.

Si cet accord passe, je crains que la colère du monde paysan atteigne un point de rupture. Nous sommes déjà à bout, et ce traité serait perçu comme une trahison de plus.

La Coordination rurale est donc déterminée à ne pas laisser passer pareille forfaiture. Pour nous faire entendre et mener jusqu’au bout le bras de fer avec nos dirigeants, nous ne misons pas d’espoirs dans la FNSEA, syndicat agricole dont le patron est également le président du conseil d’administration du géant agroalimentaire Avril, une multinationale prédatrice du revenu paysan. Le conflit d’intérêts est manifeste.

Il est impératif de faire comprendre à nos dirigeants que nous ne sommes pas là pour être sacrifiés au nom d’une idéologie ou d’un traité signé à Bruxelles. Il est encore temps d’agir pour éviter le chaos, mais pour cela, encore faudrait-il un courage politique qu’on ne voit pas souvent.

Aux États-Unis, Donald Trump, une fois installé à la Maison-Blanche, semble décidé à ne pas lésiner sur les moyens pour favoriser la production agricole américaine, en s’attaquant « à la tronçonneuse » à la prolifération des normes établies par les démocrates et en renforçant substantiellement le protectionnisme, notamment pour préserver l’indépendance alimentaire du pays. Souhaiteriez-vous que nos dirigeants, souvent critiqués pour préférer des mesures cosmétiques en doses homéopathiques même face aux mouvements de colère, adoptent une approche similaire ?

Je pense que Donald Trump a tout compris. Il a compris que ce « nouveau socialisme de connivence » — cette accumulation de normes, de bureaucratie et de règles absurdes — doit être abattu pour laisser les entrepreneurs, et donc les agriculteurs, faire leur métier.

En France, nous sommes dans une spirale inverse. Les chiffres sont édifiants : le nombre d’agriculteurs est passé de 1,2 million en 1980 à seulement 400.000 aujourd’hui. Dans le même temps, le nombre de fonctionnaires du ministère de l’Agriculture a doublé, passant de 18.000 à 36.000.

On est face à un système où les producteurs disparaissent pendant que la bureaucratie prospère. C’est une aberration : -66 % d’agriculteurs, +100 % de fonctionnaires. La conséquence ? Une agriculture qui meurt à petit feu, et une administration qui étouffe ceux qui restent.

Mais cette bureaucratie n’a pas seulement des effets économiques : elle a des conséquences humaines dramatiques. Savez-vous qu’en France, plus de 200 agriculteurs se suicident chaque année ? Et encore, ce ne sont que ceux qui « réussissent » à mettre fin à leurs jours. Combien d’autres tentent de commettre l’irréparable, mais en sont heureusement empêchés ou échouent ?

Ce chiffre terrifiant témoigne d’un désespoir profond. Derrière ces normes, ces charges écrasantes, et cette pression insoutenable, il y a des vies brisées, des familles en deuil, et des exploitations qui disparaissent. C’est une tragédie nationale qui ne suscite pourtant que peu de réactions de la part de nos dirigeants.

Ce que les États-Unis montrent, c’est qu’en simplifiant les règles et en réduisant la bureaucratie, on peut redonner de l’élan à un secteur stratégique comme l’agriculture. Là-bas, ils ont compris qu’un pays ne peut pas se développer s’il entrave ses entrepreneurs. Ici, en France, c’est tout le contraire.

Pour avoir traité à de nombreuses reprises avec l’administration agricole, j’ai souvent eu l’impression qu’elle ne cherche pas à nous aider, mais plutôt à nous pénaliser. Ce sont des « tickets de rationnement » qu’on distribue à l’entrepreneuriat, pas des solutions. À chaque nouvelle norme, c’est un obstacle de plus à surmonter, une pénalité supplémentaire, au lieu d’un soutien pour avancer.

Il est impératif que nos dirigeants comprennent que l’agriculture française ne peut pas continuer à porter ce fardeau. Nous avons besoin d’une simplification massive, d’une réduction des charges inutiles, et d’une reconnaissance de notre rôle stratégique.

Les chiffres ne mentent pas : si rien ne change, les agriculteurs continueront de disparaître. Ce n’est pas une fatalité : c’est le résultat d’un choix politique. Si nos gouvernements n’agissent pas, ils auront sur les mains non seulement la fin d’un secteur clé, mais aussi des drames humains de plus en plus fréquents.

Aux États-Unis, ils ont eu le courage d’agir. En France, nous attendons encore ce courage politique. Mais combien de temps pourrons-nous encore attendre ?

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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